
Le 17 mai est la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Depuis 2005, son objectif est de rendre visible et de promouvoir les actions de sensibilisation et de prévention pour lutter contre l’homophobie, la lesbophobie, la biphobie et la transphobie.
Cette journée, fondée par le militant anti-raciste et anti-homophobie Louis-George Tin, également président du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), se déroule à la date anniversaire de la suppression de l’homosexualité de la Classification Internationale des Maladies (CIM) par l’Organisation Mondiale de la Santé, le 17 mai 1990.
Publié début mai, le Rapport sur l’homophobie 2017 contient des chiffres « alarmants »
, annonçait Joël Deumier, président de SOS Homophobie, à Yagg : « Triste et malheureux constat : après deux années consécutives de baisse des témoignages, les LGBTphobies progressent à nouveau en 2016 avec une augmentation de 19,5 % des témoignages reçus par SOS Homophobie »
. Le rapport constate une augmentation de 76 % des actes transphobes rapportés, de 48 % des actes biphobes rapportés, de 16 % des actes lesbophobes et de 15 % des actes gayphobes rapportés. Une agression physique se déroule tous les trois jours en France, un seuil qui n’a jamais diminué en dix ans. Deux éléments d’explication à cette hausse sont avancés par la vice-présidente Véronique Godet : d’une part, le contexte politique avec la remobilisation de la Manif pour tous et de Sens commun pour la campagne présidentielle ; d’autre part, une certaine avancée des droits qui encourage les victimes à livrer leur témoignage sur des situations vécues comme étant inacceptables.
Le comité de l’IDAHOT a annoncé que le thème central de cette journée s’articulerait autour des « Familles »
. Le comité français a suivi et lancé son mot d’ordre « L’amour est notre famille »
. L’objectif est de mettre en avant le « rôle des familles dans le bien-être physique et émotionnel des personnes LGBTQI* »
et « la reconnaissance juridique et sociale des Familles arc-en-ciel, les familles où au moins un parent est LGBTQI »
. La page du site de l’IDAHOT propose bon nombre de ressources (en anglais) sur ces deux sujets.
Ce 17 mai 2017, c’est aussi la date de libération de la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, condamnée à 35 ans de prison pour avoir fourni à WikiLeaks des informations confidentielles sur les agissements de l’armée états-unienne en Iraq (Collateral Murder) et en Afghanistan (Afgan War Diary). Les conditions de son emprisonnement et sa mise en isolement avant son procès avaient été dénoncées par le rapporteur des Nations-Unies Juan Mendez qui décrivait « au minimum, un traitement cruel, inhumain et dégradant en violation de l’article 16 de la convention contre la torture »
. Le 17 janvier 2017, la peine de Manning a été réduite de 35 à 7 ans par le Président Obama.
Détenue depuis son arrestation le 29 mai 2010 dans une prison militaires pour hommes et connue jusqu’alors sous son deadname, la lanceuse d’alerte avait annoncé publiquement après sa condamnation qu’elle était une femme et entamé plusieurs combats judiciaires pour que son identité soit reconnue. Comme le titre un article du Huffington Post datant de janvier 2017, « Le cas Chelsea Manning rappelle le calvaire des personnes trans en prison »
, une situation très problématique également dénoncée en France.
Les dispositifs industriels militaire et pénitentiaire sont des lieux où s’exercent de manière privilégiée la surveillance, le contrôle et la répression sur certains corps. Dans un texte paru en septembre 2015 alors qu’elle était en prison, Manning en soulignait les dynamiques transphobes, racistes et classistes : « Les deux systèmes [industriels militaire et carcéral] impactent les femmes et les autres minorités sexuelles et de genre : l’imposition de normes genrées strictes de féminité aux femmes, et la glorification de la masculinité et du machisme au détriment de la féminité, qui est considérée comme une “faiblesse”. Les deux systèmes affectent les immigrant·es par la criminalisation de celleux qui sont perçu·es comme “inconnu·es”. Le complexe militaro-industriel cible également les personnes perçues commes “étrangères” en les désignant comme de potentiel·les terroristes et menaces pour la sécurité nationale. Les deux systèmes affectent les personnes qui vivent dans la pauvreté par la criminalisation des personnes à faible revenu ».
Cette analyse est à inscrire plus généralement dans le contexte de nos sociétés néolibérales et post-coloniales. Certains discours et certaines formes de luttes pour les droits LGBT+ passent en effet à côté d’une critique rigoureuse plus globale, et plus radicale, de la société dans son ensemble. Pour citer Gianfranco Rebucini qui reprend le concept d’homonormativité conçu par la chercheuse Lisa Duggan, « des pans entiers de la culture gay et lesbienne sont passés d’une condition de contestation à une croissante “normalisation”. C’est le cas, notamment, du travail d’une population gay largement blanche, de classe moyenne, […] centrée de plus en plus sur la seule revendication de droits civiques, et particulièrement sur l’accession au mariage »
. Ces politiques homosexuelles transcrivent une volonté d’intégration à la société de consommation : en revendiquant le droit à être des consommateurices comme les autres, en défendant leur intégration dans des institutions dominantes comme l’État, l’armée ou l’Église sans les remettre en question. En cela, elles rejoignent « les politiques mainstream des droits humains, qui dans une large mesure, sous couvert d’universalité, masquent les oppressions, les inégalités et la violence du capitalisme néolibéral et expansionniste »
.
Or, comme le rappelle le collectif Queer & Trans raciséEs contre le racisme et le néocolonialisme dans son manifeste « Pour une lutte queer révolutionnaire en France », porter un discours politique en tant que queer « ce n’est pas seulement revendiquer son appartenance aux minorités de genre et de sexualité mais c’est aussi avoir un positionnement politique militant contre des systèmes de domination (raciste, capitaliste, hétéro-patriarcal) dans une perspective révolutionnaire »
. C’est, pour reprendre les termes de l’incisif « Vers la plus queer des insurrections » du gang Mary Nardini, partir d’une perspective queer pour « critiquer et attaquer l’appareil du capitalisme »
en analysant comment « la médecine, le système pénitentiaire, l’Église, l’État, le mariage, les médias, les frontières, l’armée et la police sont utilisés pour nous contrôler et nous détruire »
.
La militante Angela Davis, lors de la première marche du 8 mars 2017 sous l’ère Trump aux États-Unis, avait salué la libération prochaine de Chelsea Manning et d’Oscar López Rivera, militant pour l’indépendance portoricaine. Son appel à résister collectivement, également valable à suivre dans un contexte français, énumérait les multiples lignes de front à tenir : « Résistons face aux milliardaires profiteurs des prêts immobiliers et de la gentrification. Résistons face à ceux qui privatisent le système de santé. Résistons face aux attaques contre les musulman·es et les immigrant·es. Résistons face aux attaques contre les personnes en situation de handicap. Résistons face à la violence d’état perpétuée par la police et à travers le complexe industriel de la prison. Résistons face aux violences institutionnelles et personnelles de genre, particulièrement celles qui s’exercent contre les femmes trans racisées »
.
Difficile de finir cet article sans parler de ce qui se passe en ce moment même en Tchétchénie. Fin mars 2017, le journal russe indépendant Novaïa Gazeta a révélé que le gouvernement tchétchène emprisonne des hommes en raison de leur orientation sexuelle. Bien que les entrées et sorties du pays – dirigé d’une main de fer par le tyran Ramzan Kadyrov – soient restreintes, des homosexuels ont réussi à fuir et à se réfugier à Moscou. Ils ont livré des témoignages terrifiants sur le sort de cette communauté : arrestations, incarcérations et tortures. Plusieurs hommes ont trouvé la mort lors de crimes d’honneur, c’est-à-dire qu’il a été demandé aux familles de tuer elles-même leur enfant gay afin de « laver la honte »
. Si, début avril, l’ONG ADC Memorial recensait 160 personnes arrêtées et au moins trois morts, le nombre exact de victimes n’a toujours pas été établi.
Le dictateur en place, a nié toute accusation en arguant que l’homosexualité n’existait pas dans son pays. La Tchétchénie étant une république constitutive de la Russie, tous les regards se sont portés sur Vladimir Poutine. Ce n’est que le 6 mai que celui-ci s’est finalement exprimé sur le sujet, affirmant qu’il soutenait l’enquête ouverte le 1er mai par le Parquet général russe. Une enquête qui n’aboutira surement nulle part étant donné que pour qu’une plainte soit recevable, il faut que les plaignants abandonnent tout anonymat sans garantie de sécurité.
On observe également un immobilisme de la part des instances internationales et des gouvernements sur cette question. Seuls quatre pays (le Canada, la Suède, l’Allemagne et la Finlande) ont mis en place des visas d’urgence pour les personnes LGBT+ tchétchènes. Nous attendons encore que le « pays de l’égalité et des droits de l’homme » se bouge.
Plusieurs pétitions ont été mises en place exigeant la liberté des homosexuels tchétchènes emprisonnés.
Pour cette journée mondiale de lutte contre l’homophobie et transphobie, voici quelques suggestions de lectures, écoutes et visionnages :
« Le queer est un territoire en tension, défini en opposition au récit dominant du patriarcat blanc-hétéro-monogame, mais aussi en affinité avec touTEs cELLeux qui sont marginaliséEs, exotiséEs et oppriméEs. »;
« Le seul moyen de prouver que l’on est bien homosexuel·le et persécuté·e pour cette raison afin d’obtenir l’asile en France, c’est de convaincre par le récit de son expérience intime. Mais réussir à mettre les bons mots sur ce qu’on a vécu et persuader de l’authenticité de son histoire n’est pas simple. Soir après soir, avec l’aide des bénévoles de l’association ARDHIS, ces paroles sont accouchées et sculptées pour reconstituer des histoires de vie et d’amour qui seront confrontées à l’administration française »;
Le calendrier de SOS homophobie recense quelques évènements se déroulant la journée du 17 mai 2017 en France, notamment à Bordeaux, Limoges, Lyon, Montpellier, Nantes, Paris et Saint-Étienne.
Pour celleux qui pourront se déplacer, la saison des marches des fiertés s’amorce, d’ailleurs déjà entamée dans certaines régions de France. Soulignons aussi le retour cette année du festival Loud & Proud du 6 au 9 juillet 2017 à Paris. Pour cette deuxième édition, il mettra en lumière « des artistes dont le travail, parfois très radical, interroge les normes sociales et sexuelles, dénonce les rapports de domination qui sont à l’oeuvre dans la société et permet d’imaginer un futur meilleur ». Enfin, les rencontres féministes autogérées InterLesBiGay-TransAsexQueer (UEEH) auront lieu du 20 juillet au 2 août 2017 à Vic-en-Bigorre.