11 février 2017

44e Festival international de bande dessinée d’Angoulême : la repentance ?

44e Festival international de bande dessinée d’Angoulême : la repentance ?

Suite au scandale de 2016 quant à la représentation des femmes au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD), nous avons voulu jeter un œil à l’édition de 2017 et voir où en étaient nos chères consœurs dessinatrices. Petit tour d’horizon de la vitrine du milieu qu’est ce festival.

À quoi s’attendre ?

Franck Bondoux, le directeur délégué général du FIBD, semble s’être fait discret sur cette 44e édition. Probable que la douche froide de l’an dernier ait calmé l’auteur du « je ne vais pas réécrire l’histoire » (source) quand on lui demandait pourquoi il n’y avait aucune femme dans la sélection 2016. Il s’est cependant permis un éditorial pour 2017, dans lequel sont annoncées des expositions centrées, ô surprise, uniquement sur des auteurs masculins (Hermann, Eisner, Mézières, Christin et Franquin) dont il ajoute qu’ils sont « des maîtres dont les œuvres incarnent à elles seules l’archétype de genres fondateurs du 9e art ». Sympa pour leurs consœurs, absentes de cette liste. Deux expositions font tout de même exceptions à la règle : une sur Sophie Guerrive, qui fait partie, en parallèle, de la sélection du palmarès, et une autre sur la scénariste Loo Hui Phang. Exposition notable également, Knock Outsider Komiks, sur « la production de bande dessinée d’auteurs dont le handicap n’entrave en rien la créativité » selon les termes de Bondoux.

Le directeur délégué a même fait l’effort (incommensurable) d’utiliser le mot autrice dans son éditorial. Dommage que le reste soit au « neutre » masculin. Dommage aussi que la relation entre 7e et 9e art de cette édition soit principalement mise en avant via l’adaptation de Luc Besson Valérian et la Cité des mille planètes, qui supprime Laureline du titre. Heureusement, Seuls remonte quelque peu le niveau avec son univers et ses personnages version cinéma sur lesquels nous fondons beaucoup d’attente.


Prix et palmarès : des œuvres contrastées

Parmi la sélection 2017, on remarque une plus grande présence d’autrices et de propos engagés, ne serait-ce qu’avec Bitch Planet de Valentine De Landro et Kelly Sue Deconnick, sur la survie de femmes dites « non conformes » dans une planète-prison, une dystopie pas si lointaine de notre univers. Le titre L’Essentiel des gouines à suivre, d’Alison Bechdel, la compilation de strips enfin sortie en français, est quant à elle porteuse d’un message fort, celui de la présence des lesbiennes sur la scène BD.

Cet album n’est pas le seul à s’attacher aux problématiques LGBT+ : Le Mari de mon frère, de Gengoroh Tadame, les mêle aussi, tout comme l’œuvre de Bechdel, à des questions sociales, d’actualité, comme la xénophobie et la tolérance envers ceux qui sont différents, que ce soit par le physique, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle. Ce dont parle également Shangri-La, de Mathieu Bablet, via des thématiques futuristes et une toile dystopique des plus convaincantes.

C’est bien beau tout ça, mais il n’empêche que sur les 41 bandes dessinées sélectionnées, 9 sont du fait de femmes, dont 1 dessinée (SAGA tome 6), 3 scénarisées (Perceval, Les Coquelicots d’Irak et Le Dernier Assaut) et 5 réalisées en solo ou duo féminin (Bitch Planet, L’Essentiel des gouines à suivre, La Légèreté, Mauvaises filles et Tulipes). Cela représente à peine 22 % de la sélection annuelle. On avance par rapport aux éditions passées mais encore bien lentement.


Grand Prix de cette édition, l’auteur suisse Cosey a été récompensé pour son univers onirique, de voyages à travers les neiges éternels, plutôt respectueux des civilisations et communautés réelles qu’il traverse dans ses albums. Deux hommes aussi pour le Fauve d’Or de l’année, Éric Lambé et Philippe de Pierpont, primés pour Paysage après la bataille. Les trois auteurs sélectionnés pour ce Grand Prix étaient, bien entendus, tous masculins : Manu Larcenet et Chris Ware, ainsi qu’Alan Moore, étaient pressentis. Seule femme du Palmarès, Ancco remporte le prix Révélation. En parallèle, le Prix Goscinny, qui n’avait pas été remis depuis 2008, seule année où une femme l’avait remporté (Chloé Cruchaudet pour Groenland Manhattan), a été décerné cette année à Emmanuel Guibert.

Bon, on peut vous l’avouer, on n’a pas tout lu : ni le temps, ni le budget pour. Quelques titres ressortent tout de même des sélections, comme Roller Girl, de Victoria Jamieson, qui questionne le genre et la norme, en catégorie jeunesse, ou Rio, tome 2 : Les Yeux de la Favela, de Louise Garcia, en catégorie Polar SNCF. Julie Maroh, l’autrice du Bleu est une couleur chaude, était également présente pour dédicacer son dernier album Corps Sonores (en dédicace dans toute la France). Enfin, à noter, comme moment phare de cette édition 2017, le concert dessiné de China Moses et Pénélope Bagieu, une grande première pour la dessinatrice qui sortait en parallèle le très attendu tome 2 des Culottées.


Derrière le festival, une veille de fond militante

Le Collectif des créatrices de bandes dessinées contre le sexisme (BD Égalité) a beaucoup fait pour cette édition 2017 puisqu’on leur doit l’établissement de la parité femme/homme au sein des deux jurys de sélection existants. Posy Simmonds que nous avions été nombreuxes à réclamer pour le Grand Prix 2016, a été invitée à présider le jury de cette 44e édition. Mais tout n’est pas rose au pays de la bande dessinée, quoique : l’association officiel du FIBD a posté, comme l’a dénoncé le collectif Artemisia, un nouveau logo pour 2017, avec la mascotte de Trondheim, associée cette fois-ci à une consœur rosifiée, sous-entendant ainsi que le personnage d’origine était déjà doté d’un sexe et non agenre comme beaucoup le pensait. À voir l’image, on se demande bien l’intérêt d’un tel ajout et d’un tel parti pris. Pourquoi genrer une mascotte qui faisait jusqu’ici très bien l’affaire en ne l’étant pas ? Pourquoi ce besoin, quitte à introduire du féminin, d’en faire « l’autre », de lui ajouter des attributs pour le différencier du neutre, défini comme masculin ? Jointe par BD Égalité, l’association s’est cependant excusée de ce geste maladroit à l’origine voulu comme positif. Une journée d’étude a par ailleurs été mise en place cette année à l’École européenne supérieure de l’Image (EESI) en parallèle du festival, sur « interroger le sexisme en bande dessinée ». L’autrice Johanna Schipper, membre de BD Égalité, s’est exprimée sur le sujet et en fait un compte-rendu complet sur son blog.

Il ne faut pas oublier que le FIBD, c’est un peu la partie émergée de l’iceberg qu’est le milieu de la bande dessinée en France. Nous avons joint à ce sujet Marie Gloris Bardiaux Vaïente, autrice membre de BD Égalité (voir aussi la page Notes d’Intentions féministes et en fin d’article, une interview récente de Sud-Ouest). Elle nous rappelle avant toute chose que comme tous (ou presque) les milieux professionnels, celui de la bande-dessinée n’est pas tendre avec les femmes. Moins visibles, moins présentes aux postes décisifs dans les maisons d’édition, subissant une discrimination à la publication et bien plus précaires que leurs confrères, elles sont beaucoup plus nombreuses que ces derniers à vivre en dessous du seuil de pauvreté (depuis la hausse de la cotisation pour leur retraite complémentaire en 2014 notamment). BD Égalité se veut alors un organe de veille, pour travailler sur le long terme à l’amélioration de la condition des femmes dans la BD et à leur représentation dans celle-ci. Les États généraux de la bande dessinée (EGBD) ont récemment mis à jours d’importantes disparités de revenus entre hommes et femmes dans le milieu, mettant des chiffres vérifiés sur des vécus de nombreuses autrices.

Révélé par le buzz impromptu de 2016 sur le FIBD, le collectif a préféré cette année saluer l’effort (relatif) du festival, mais veille au grain quant aux éditions à venir. La 44e édition est aussi l’occasion pour les autrices de se retrouver, de partager et de préparer l’année. Des prises de parole et des actions concrètes sont d’ailleurs attendues en 2017. Elles s’attaqueront notamment au sexisme ordinaire subi par les autrices BD à tous les niveaux (auteurices, éditeurices, scénaristes) et mettront en avant les avancées du milieu. Elles comptent aussi toucher au langage non sexiste dans la BD, à l’aide d’un premier soutien des éditions Vide Cocagne.

Comme dans la plupart des milieux professionnels, artistiques ou non, il y a encore beaucoup de travail pour faire reculer le sexisme et les discriminations en tout genre de manière durable. En bande-dessinée comme ailleurs, Marie GBV rappelle que la parole des femmes doit se faire entendre, surtout dans un contexte socio-professionnel où « l’homme vaut 200 femmes » au regard de la société, selon ses mots. Si le FIBD a fait cette année un effort notable dans sa programmation, il ne faut pas pour autant en rester là et continuer de lire et de partager des autrices et des œuvres aux personnages diversifiés. Des collectifs travaillent en parallèle à dénoncer le sexisme ambiant et à y améliorer les conditions de travail des femmes. Nous continuerons quant à nous, chez Simonæ, à vous conseiller des bandes dessinées toujours plus originales, toujours plus différentes, et toujours moins discriminantes et stéréotypées !