
On entend énormément de choses sur la schizophrénie, surtout négatives, parce que le mot et ce que ça sous-entend fait souvent peur.
En tant qu’individu concerné par cette maladie depuis 10 ans, j’ai eu le temps de me renseigner, de me faire mes propres opinions sur les différentes idées reçues, et d’en décortiquer le vrai du faux. Je vous propose aujourd’hui non pas une potentielle expertise, mais des réponses simples et factuelles aux questions les plus courantes.
La schizophrénie est une maladie organique, l’organe qu’elle affecte étant le cerveau. C’est en effet une affection psychique qui se caractérise principalement par la désorganisation, que ce soit dans les idées, les actes, les sensations. C’est la perte de la cohésion entre les émotions, comme la perte d’unité entre le corps et l’esprit.
La maladie peut s’accompagner de phases délirantes, à savoir une perception erronée et déstructurée de la réalité ; cela peut arriver intensément lors de crises, ou plus quotidiennement à un degré moindre. Il y a plusieurs autres caractéristiques possibles sur lesquelles je reviendrai plus en détail.
La schizophrénie, c’est la perte de la cohésion entre les émotions, comme la perte d’unité entre le corps et l’esprit.
Au fil du temps, plusieurs théories ont été proposées par le corps médical, pour essayer de percer l’origine de cette maladie, mais rien n’est réellement concluant. À ce jour, les chercheureuses s’accordent cependant pour dire que cette pathologie trouve sa source dans une combinaison de facteurs : des périodes de stress psychologique intense, une fragilité naturelle ou qui s’installe, des traumas divers, et une prédisposition génétique.
D’ailleurs, la génétique n’a pas une part aussi importante qu’on le penserait dans le développement de cette maladie. Par exemple, si les deux parent·es sont concerné·es, les enfant·es ont entre 30 et 40 % de risques de développer la maladie au cours de leur vie. Si un·e seul·e des parent·es est concerné·e, les risques tombent à moins de 10 %. Et dans le cas des jumelleaux, si l’un·e des deux en est atteint·e, il y a 50 % de risques que læ deuxième la développe également. Donc parler d’un facteur d’hérédité n’est pas aussi simple que cela.
Dans ma famille par exemple, je suis le premier à en être atteint. Enfin, disons le premier pour qui c’est suffisamment gênant, et pour qui il a fallu envisager une médication et un suivi.
En sachant qu’environ 1 % de la population vit quotidiennement avec cette maladie, il y a plus ou moins autant de « façons » d’être schizophrène qu’il y a de personnes qui en sont atteintes. Pour schématiser, c’est un peu comme une palette de couleurs, avec tous les symptômes possibles. On en coche quelques-uns au hasard, mais aucune personne, ou très peu, ne déploie l’intégralité des couleurs sur la palette des possibilités. La maladie peut être classée sous plusieurs grandes « familles » de symptômes associés. En France, on en compte 6 types, tandis que le DSM en distingue 5.
Le DSM est le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux, l’ouvrage de référence mondial sur les différentes terminologies et classifications des affections mentales et psychiques, bien que celui ci demeure controversé sur certains aspects dans ses classifications sur d’autres choses [NDLR : notamment à propos de la transidentité].
Pour ma part, j’ignore dans quelle catégorie ma psychiatre a décidé de classer la mienne. Je sais simplement que je souffre d’hallucinations de trois types différents (visuelles, auditives et sensorielles), associées à de la paranoïa et des délires de persécution. Il m’est arrivé d’avoir des phases de violence lors de crises, mais la plupart du temps cette violence était dirigée uniquement vers moi. J’ai également planifié mon suicide, sans avoir eu le temps de le mettre en œuvre : les pensées suicidaires m’ont habité un certain temps, et j’en garde encore aujourd’hui des traces, certains « réflexes » dans mes raisonnements. Quand quelque chose ne va pas dans ma vie, je finis toujours par me dire que « au pire je mourrai », même si je ne compte pas nécessairement faire en sorte que cela soit le cas.
Je fais également de l’anxiété sociale, associée à des phobies d’impulsion [1] ; j’ai des troubles de la mémorisation et de l’attention ; et depuis quelques années, il m’arrive de bégayer légèrement.
Très souvent, dans l’imaginaire collectif, la personne atteinte de schizophrénie a forcément une « double personnalité ». Cette image faussée est énormément véhiculée par les médias et la culture populaire. On visualise immédiatement Dr Jekyll et Mr Hyde. Mais en pratique, c’est un peu plus complexe que cela. Ce que l’on appelle communément le dédoublement de la personnalité désigne en réalité le trouble dissociatif de l’identité (TDI), et si cela peut être un symptôme en comorbidité [2] avec la schizophrénie, c’est un trouble psychique à part entière. On peut être atteint·e d’un TDI sans être schizophrène, et être schizophrène sans la moindre trace du TDI.
On visualise immédiatement Dr Jekyll et Mr Hyde. Mais en pratique, c’est un peu plus complexe que cela.
Plus récemment, il y a eu le film Split et son héros aux 23 personnalités distinctes. Il faut savoir que c’est un cas extrêmement rare, mais qui a malheureusement alimenté la confusion entre schizophrénie et TDI. Même chez les personnes atteintes de TDI, 23 n’est pas un chiffre commun. J’ai refusé de voir ce film, parce que je suis concerné par le TDI, et que j’avais bien trop peur d’être trigger par un traitement faussé de cette question-là. Je n’ai pour ma part qu’un seul « autre » qui, contrairement à moi, n’a pas vraiment de genre : iel s’adapte à mon apparence physique au fil des années. Iel avait un jour expliqué que, comme pour les planètes dont on parle au féminin mais qui n’ont pas de genre réellement, dans son cas, le genre n’est qu’une question de linguistique.
S’il y a bien une chose que l’on entend constamment à propos de la schizophrénie, c’est celui de la consommation de cannabis et de son influence potentielle sur la maladie. Je vais clarifier les choses très rapidement : le cannabis ne crée pas la schizophrénie. En revanche, s’il y a déjà un terrain propice à cette pathologie, la drogue peut effectivement accélérer les choses et révéler la schizophrénie d’une personne. Je me souviens assez bien de la très grosse crise qui m’a mené aux urgences psychiatriques, et la question du cannabis est venue très rapidement, alors que je n’en consommais pas. Disons simplement que cela peut être un facteur déclencheur, ou aggravant, mais rarement seul à l’ouvrage dans l’installation de la maladie.
Ma psychiatre m’a un jour calmement expliqué que, s’il était possible que je prenne de la drogue, il fallait en revanche que je reste judicieusement sélectif dans mes consommations (sans parler bien sûr de l’aspect illégal). Tout ce qui est susceptible de créer des hallucinations est assez dangereux, puisque cela peut faire sortir de l’ombre des symptômes jusque-là inédits, ou au contraire en aggraver d’autres déjà présents.
Pour dire ça simplement, le cannabis active temporairement certaines zones du cerveau, qui chez une personne atteinte de schizophrénie sont déjà actives naturellement. Le produit va donc chercher à activer d’autres parties « éteintes », et ça peut vite dégénérer.
Donc le cannabis, c’est fortement déconseillé, et à juste titre.
Ce qu’il y a de surprenant avec les drogues justement, c’est que celles-ci agissent différemment sur moi. Je n’en ai pratiquement pas consommé de ma vie, mais les quelques fois où j’ai souhaité braver la science, j’ai pu constater que certains produits avaient des effets différents par rapport à ce que l’on en attend. Et pour en avoir discuté avec d’autres personnes atteintes de schizophrénie et/ou de bipolarité, cette variation des effets ne concerne pas que moi. Surtout lorsqu’on cumule lesdits effets avec une médication quotidienne : cela peut vraiment être aléatoire.
Je terminerais là-dessus en disant qu’il faut vraiment être vigilant·e vis-à-vis de ses addictions, notamment à la cigarette, qui se développe d’autant plus chez les personnes avec ce type de troubles psychiques. On critique facilement le fait que, dans les cliniques et hôpitaux psychiatriques, les patient·es passent le plus clair de leur temps à fumer des cigarettes. Mais, outre le gros facteur d’ennui dans ces établissements, certaines études ont prouvé que la nicotine améliore l’activité des interneurones. Cela dit, fumer reste globalement mauvais pour la santé, pour toutes les raisons que nous connaissons.
Des pilules.
La maladie se déclare, en moyenne, entre 15 et 25 ans. Il existe également des formes qui se manifestent plus tard, ou à l’inverse plus tôt, chez l’enfant par exemple.
Il y a très souvent des signes annonciateurs dans la préadolescence, mais ceux-ci peuvent être soit trop subtils, même si l’on est suffisamment vigilant·es sur ces questions-là, soit au contraire pas subtils du tout, mais mis sur le dos d’une éventuelle « crise d’adolescence ». Également, il peut arriver qu’un·e individu·e développe des symptômes de façon temporaire, puisque les connexions du cerveau finissent de se faire véritablement durant le premier tiers de la vingtaine. Certaines personnes ne vont vivre qu’un seul et unique épisode au cours de leur adolescence, et ne jamais en rencontrer d’autres jusqu’à la fin de leur vie. Mais celles-ci ne représentent que moins d’un quart des cas statistiques. Le reste du pourcentage se partage entre les personnes qui ont un suivi suffisant et des symptômes stabilisés et qui pourront travailler, et celles pour qui la vie active est impensable, pour tout un tas de raisons différentes et individuelles.
Généralement, la prise en charge débute tardivement, lorsque la maladie est déjà relativement installée. Suite à un épisode psychotique, la personne se rend (ou est emmenée) devant un·e professionnel·le de santé (ou aux urgences du secteur psy). À partir de là, selon son âge, le diagnostic peut prendre un certain temps à être posé. Au minimum plusieurs mois, au mieux quelques années, et au pire c’est l’errance médicale qui peut s’avérer vraiment très longue.
J’ai pour ma part débuté la prise en charge à mes 17 ans, et c’est seulement à mes 21 ans que le diagnostic définitif a été établi.
Avant toute chose, on ne peut pas guérir de la schizophrénie. C’est une maladie chronique, c'est-à-dire qu’elle évolue tout au long de la vie, et ne disparaît jamais réellement. Cependant, cela ne veut pas dire qu’aucun espoir n’est de mise. Avec un bon suivi, il est possible de limiter les excès indésirables de la maladie, et si certains symptômes ne sont pas totalement supprimés, il est possible de les faire se résorber, et d’atteindre la stabilité psychique.
Le suivi se présente sous plusieurs formes. La thérapie tout d’abord, avec un·e psychiatre, éventuellement cumulé·e avec un·e psychologue, puisque leur approche est différente. Il est d’ailleurs possible de changer de soignant·e si cellui-ci ne vous convient pas, puisqu’un bon relationnel avec saon médecin·e est capital pour assurer la qualité du suivi.
On ne peut pas guérir de la schizophrénie, c’est une maladie chronique.
Et surtout, le point qui fâche : la médication.
Je parlais plus haut d’errance médicale, et celle-ci passe aussi par la multiplication des tentatives médicamenteuses. Puisque chaque personne réagit différemment aux traitements, il est malheureusement fréquent de devoir en essayer plusieurs avant de parvenir à trouver celui qui conviendra sur le long terme. Entre effets secondaires importants (prise de poids, perte d’appétit et/ou de libido, apathie, etc.) et inefficacité totale, on peut vite être tenté·e d’arrêter les frais et de stopper la prise de traitement. Malheureusement, un arrêt soudain de ce genre de médicament déclenche une accélération brutale des symptômes, et c’est assurément une violente rechute qui va poindre à l’horizon.
L’aspect fourbe d’un traitement efficace, d’ailleurs, c’est que l’on peut en arriver à se convaincre que nous sommes guéri·es et arrêter de prendre les comprimés : la rechute est au coin de la rue également.
Il est malheureusement dangereux de compter uniquement sur le fait que la vie se passe suffisamment bien pour ne plus jamais prendre de traitement. Un accident de la vie arrive toujours sans prévenir, et c’est ne pas prendre en compte l’aspect très aléatoire de l’existence que de se dire que nous allons très bien gérer sans le moindre suivi.
Lorsqu’un médicament nous convient bien, il n’y a pas de honte à le prendre, après tout, le cerveau, au même titre que n’importe quel organe, a besoin d’être soigné et bien entretenu. Et selon le mode de vie de la personne concernée par la maladie, il n’est pas interdit de discuter avec le personnel soignant qui la suit, pour modifier la prise de médication. Que ce soit en comprimés quotidiens, ou en injection tous les mois, les modes de prise s’adaptent aux possibilités de chacun·e.
L’important, c’est « juste » d’avoir un bon suivi.
Une personne au yeux fermés tenant son cœur et une fleur entre les mains.
J’ai, par chance, une lucidité qui sort de l’ordinaire, vis-à-vis de ma maladie. Il m’arrive d’avoir des crises où je délire et perds ainsi pied, mais au quotidien, je suis plutôt bien ancré dans le réel. Malheureusement, ma vérité n’est pas celle de tou·tes les personnes atteint·es par cette pathologie. Je connais mes limites, j’arrive à sentir quand une crise s’approche, et je suis excessivement précautionneux pour que celles-ci restent au maximum encadrées. Je suis stable depuis 5 ans, et malgré quelques risques de rechute, je tiens le cap, même si cela reste un exercice quotidien. J’ai également pleinement conscience que je ne suis pas à l’abri de trébucher du jour au lendemain.
J’ai fini par comprendre que je fonctionne de façon relativement cyclique, et que mes phases de dépression ne sont pas éternelles ; mais en même temps, mes phases où tout va bien m’angoissent parce que je sais qu’elles aussi ne sont pas éternelles.
Si je devais finir sur une note positive, je n’irais pas jusqu’à dire que je suis heureux d’être atteint de schizophrénie, mais que ça m’a néanmoins forgé et beaucoup appris. J’ai sacrifié énormément de choses depuis que la maladie s’est déclarée : mes projets, certaines envies et autres désirs pour la suite, et très souvent ma propre vie, ne serait-ce qu’en pensée. Mais j’ai néanmoins appris à me connaître très intensément ; j’ai touché du bout des doigts la fibre de ce qui me constitue, humainement, émotionnellement, physiquement.
Le sujet de la schizophrénie est passionnant, et je tenais à en témoigner. Parce que nous sommes 1 % de la population, nous ne sommes pas des fol·les dangereuxes, ni des monstres. Nous sommes juste un peu plus fragiles que la moyenne, sur beaucoup de plans.
Un TEDx de Cecilia McGough – Je ne suis pas un monstre [sous titres disponibles] :
Une vidéo du PsyLab :
Un chouette court-métrage sur la sensation d’être en décalage permanent :
[1] Les phobies d’impulsion, ou pensées intrusives, sont un symptôme médical qui se traduit par l’angoisse obsédante de réaliser un acte transgressif, violent ou dangereux, pour soi ou pour autrui. Ce symptôme est classé dans les Troubles Obsessionnels Compulsifs.