12 septembre 2016

Aïd el-kebir : Le makroud de Proust

Content Warning : Cet article évoque des sacrifices d’animaux.
Aïd el-kebir : Le makroud de Proust

L’Aïd el-Adha (fête du sacrifice) est aussi appelé Aïd el-kebir (le grand Aïd, par opposition à l’Aïd el-seghir, le petit Aïd qui marque la fin du mois de Ramadan). Cet évènement est célébré dans le monde entier car, j’enfonce une porte ouverte, il n’y a pas que les arabes ou maghrébin·es qui ont l’islam pour religion, loin de là. Cette fête porte différents noms selon que l’on se situe en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, etc. : Tabaski, Aïd Hejaj, Aïd Qurban, Tafaska, Lebaran Hji… Et le socle commun est qu’il s’agit d’une des célébrations les plus importantes du calendrier musulman qui a lieu tous les ans lunaires, le dixième jour du mois Dhu el-Hidja.

C’est un évènement clef : une fête religieuse, spirituelle et familiale.

Il se trouve que nous le célébrons avec ma famille. Ce jour a toujours eu pour moi une saveur spéciale, festive et chaleureuse ; bien avant que cela devienne pour certain·es un indice de ma pseudo radicalisation-express ou de ma non-assimilation à notre sacro-saint État laïc. C’était juste un jour de fête et c’est ce que j’essaie de retrouver chaque année. C’est mon makroud de Proust que je vais tenter de partager.

L’Aïd, c’est le jour où, lorsque je me lève, je trouve déjà ma mère au téléphone avec le bled. Parce qu’il faut appeler tôt, sinon après les lignes sont saturées car beaucoup de gens appellent leurs proches pour leur souhaiter « aïdek mabrouk » (bonne fête). Je me retrouve alors à peine réveillée à parler avec mon accent ridicule à toute ma famille qui m’envoie du love alors que je suis encore en pyjama. Car en effet, c’est un moment de partage avec sa famille et ses proches. On se rencontre ou on s’appelle, on tente de se réconcilier si tensions il y a. Si elle est à proximité, toute la famille débarque et c’est la grande réunion pour deux voire trois jours à certains endroits.

Partage avec les siens

L’Aïd est surtout connu pour son emblématique sacrifice du mouton. Ce rite est un hommage au sacrifice d’Abraham. Celui-ci s’apprêtant à sacrifier son fils en signe de dévotion totale à Dieu, aurait reçu un mouton à sa place pour épargner l’enfant. C’est pourquoi les musulman·es sacrifient un mouton le jour de l’Aïd. Généralement, chaque famille effectue ce geste symbolique en fonction de ses possibilités financières ou physiques, sinon cela peut être substitué par un don, il n’y a pas de souci. Le mouton n’est pas entièrement consommé, il y a un tiers que l’on offre aux personnes nécessiteuses, un tiers que l’on partage avec la famille et les ami·es et enfin un tiers que l’on garde. Car l’Aïd est également une occasion d’aider les personnes dans le besoin, par le partage d’une partie du sacrifice et par un don d’argent.

Partage avec les siens, partage avec les gens

Pour la petite fille que j’étais, c’était un de mes jours préférés parce que c’était aussi ma fête. Les enfants sont choyé·es le jour de l’Aïd. Les parents leur offrent de nouveaux habits, des cadeaux. Les membres de la famille leur glissent des sous quand iels arrivent et c’est la grosse effervescence de voir la maison remplie de cousin·es. Bref, j’étais sapée comme jamais et j’étais la reine du jour.

L’Aïd marque également la fin du pèlerinage à la Mecque, un évènement extrêmement important pour les croyant·es, étant donné que c’est un des cinq piliers de l’islam.

Partage avec les siens, partage avec les gens, partage spirituel

Ce n’est pas tout mais « mon diabète n’est pas là pour rien » comme dirait ma vieille tante Moulkheir, il y a aussi la culture culinaire. En tant que végétarienne pratiquante radicalisée, ma partie préférée ce sont les gâteaux : je glisse les recettes en bas, c’est ça la générosité du grand remplacement.

Chez les gens qui effectuent le sacrifice du mouton, on consomme d’ordinaire cette viande, souvent sous forme de grillades ou de plats à base de mouton. Chez moi on ne le fait plus donc c’est couscous : parce que c’est traditionnel et bon et facile à faire en grandes quantités vu qu’il y a du monde à la maison. Parce qu’il ne faut pas oublier que cela représente énormément de travail pour les personnes qui se chargent de cuisiner. J’imagine que chaque famille a ses petites traditions, les habitudes sont très riches et diverses selon les régions.

Intermède anecdote moutonesque :
J’avais une voisine, appelons-la Micheline (sans rancune les Micheline). Micheline donc, se réveille un beau midi de printemps et ouvre ses volets pour respirer l’air frais mais… fichtre ! La voilà tout à fait éveillée car elle aperçoit un filet de fumée s’élevant au bout de la rue. Micheline calcule le temps qu’il lui faut pour fuir avec ou sans charentaises et décide finalement d’appeler les pompiers. Voilà donc la brillante escadrille qui débarque toutes sirènes dehors, camion brillant dans le soleil à la rescousse de Micheline. Ces braves héros sonnent donc avec hâte à la porte de la maison, dans l’urgence de sauver des vies. C’est ainsi que ma mère a ouvert, tablier sur les hanches et une tête de mouton à moitié grillée entre les mains, interrompue en plein barbecue de l’Aïd. Voilà comment je me suis retrouvée avec une demi-douzaine de pompiers hilares dans mon salon ce jour-là.

Malheureusement ceci ne se serait probablement pas déroulé ainsi dans le climat actuel, il y aurait eu le GIGN sur le coup et soyons honnête, il n’y aurait pas eu assez de makrouds pour tout le monde.

Plus sérieusement, ceci me permet d’enchaîner sur un message qui me tient à cœur. Je sais que ce n’est pas facile en ce moment. On nous somme d’être discret·es. On nous enjoint à adhérer à un régime de conditionnalité qui veut gommer nos cultures sans pour autant nous octroyer les droits fondamentaux qui nous reviennent. Des personnes sont agressées, humiliées, écrasées chaque jour parce qu’elles sont musulmanes ou perçues comme telles. Et comme l’Aïd est entre autres une célébration du partage, j’aimerais envoyer de l’affection et du courage à toutes les personnes qui fêtent l’Aïd, ou qui ne la fêtent pas mais pour qui cela signifie quelque chose, peu importe que ce soit culturel, éminemment religieux ou bien une tradition familiale qui vous est chère.

Je vous dis saha aïdkoum, profitez de vos proches.