21 février 2018

Amélie Hutt : illustratrice et bédéiste autopubliée

Amélie Hutt : illustratrice et bédéiste autopubliée
Cet article fait partie du dossier Portraits professionnels

Nous vous présentons aujourd’hui le travail d’Amélie Hutt, illustratrice belge vivant aux États-Unis depuis dix ans. Elle vient de terminer le premier tome de sa BD, Angels’ Power (disponible en ligne en français et en anglais). Introvertie, elle aime s’exprimer via le dessin, la peinture, la sculpture ou tout medium de narration visuelle. Amélie nous présente son processus créatif et la question de l’autoédition de son travail.

Quel est ton parcours ? Comment en es-tu venue à l’illustration et à la BD ?

J’ai commencé l’illustration en 2012, et j’ai essayé de faire de la BD à partir de 2013, en étant inspirée par des BD en ligne comme Spindrift et d’autres. Après plusieurs échecs et une période difficile sur le plan personnel, j'ai commencé à étudier la 3D et la sculpture. J'ai également investi dans une Cintiq (une tablette graphique avancée, qui permet de dessiner directement dessus) ; j'ai reçu des projets d'illustration beaucoup plus complexes, qui m'ont mise au défi. In fine, j'avais enfin réuni assez de compétences pour lancer ma BD. Quand ça m’est venu, ça a été comme une révélation : j’avais trouvé mon style. J’ai dessiné trois pages dans la même soirée.

Amélie Hutt, dessinant une planche de sa BD sur une tablette graphique.

Comment définirais-tu ton style graphique ? Comment travailles-tu ?

Pour trouver mon style, j'ai longtemps cru qu'il me faudrait dessiner ma BD pour que ce soit efficace : c'était une fausse impression. La majorité des artistes dans ce milieu travaillent en noir et blanc, au trait et au dessin, mais cela ne me convenait pas. Après avoir expérimenté longuement et petit à petit détruit la notion de line art (le contour, le dessin en trait) dans mon rendu, c’est alors que j’ai trouvé mon style. En fait, j’ai jeté une étape entière du procédé : je passe du storyboard, du croquis rapide directement au rendu peint. Je ne passe pas par le dessin.

Le style de ma BD, c’est exclusivement de la silhouette et des couleurs, c’est ce qui me plaît le plus. Je préfère peindre que dessiner même si les deux sont liés. Chaque personnage doit se lire via sa silhouette avec une ou deux couleurs dedans. Elle doit nous indiquer qui est le personnage, ce qu’il fait, son attitude. Les couleurs sont une information de plus mais la palette est très limitée pour augmenter l’efficacité. Le style est un compromis entre un rendu illustratif qui me satisfasse et la vitesse à laquelle je peux produire une page dans la journée.

Pour les visages j’ai une approche différente. Tous mes personnages sont différents dans les détails de leur physionomie et pour que les proportions restent au point, j’ai sculpté chaque personnage sous le logiciel Zbrush sous forme de buste décoloré et sans cheveux. Je les pose sans lumière et je dessine par dessus. Les couleurs et la lumière sont apportées par la peinture pour aller plus vite. La sculpture me sert à conserver les proportions exactes de chaque visage, et je prends soin de donner à chaque personnage une anatomie complètement différente. Même leurs oreilles sont différentes. Pour moi on doit les reconnaître même sous des angles improbables.

Visages des personnages Evadrion, Falkron et Hydron de la BD Angels’ Power réalisés en sculpture 3D.

Quels sont tes thèmes de prédilection ? Pourquoi ?

Les thèmes de ma BD, c’est vraiment la tolérance et l’ignorance, le pouvoir que ça engendre sur celleux qui sont en position de manipuler l’information. Les Anges ne sont pas les gardien·nes qu’iels prétendent être. Les Diaboliques ne sont pas limité·es à leurs apparences. Ça nous touche tou·tes un peu à différents niveaux d’être jugé·es pour notre apparence.

Qui sont les artistes qui t’ont le plus influencée ? Dont tu aimes le plus le travail ?

En grandissant, les artistes qui m’ont vraiment influencée sont Tsutomu Nihei et Yukito Kishiro. Blame! et Gunnm sont des oeuvres qui m’ont profondément marquée. Naoki Urasawa également avec Monster. Elsa Kroese, qui fait Spindrift, m’a donné envie de faire une BD plus illustrative que dessinée. Minna Sundberg, l’autrice de Stand Still Stay Silent m’a ouvert l’horizon quant à la forme que mes pages pouvaient prendre, et j’adore Unsounded, d’Ashley Cope, qui a une écriture fabuleuse.

Agathron, personnage de la BD d’Amélie Hutt.

Qu’est-ce qui a motivé ton choix de travailler en indépendante, et de passer par la diffusion de ta BD en accès gratuit sur internet ?

C’est Tyler James qui m’a procuré les outils nécessaires au travail en indépendant. Il a créé le ComixLaunch Course, qui m’a énormément aiguillée. Une fois tous les outils en main, je n’avais plus de raison de passer par une maison d’édition, qui aurait son mot à dire sur mon contenu. J’aime travailler en solitaire et contrôler tout ce que je fais.

As-tu des conseils à donner aux jeunes illustrateurices qui voudraient se lancer en indépendant·e et/ou en autopublication ?

Oui, prenez des cours de business et d'entrepreneuriat d’abord, c’est encore plus important que le reste.

Quel est le travail/projet dont tu es la plus fière jusqu’ici, ou que tu voudrais mettre en avant, et pourquoi ?

C’est le premier tome de ma BD, que j’ai complété l’année passée et qui est en cours d’impression. C’est un roman graphique de 320 pages que j’ai vraiment hâte de tenir en main. C’est mon premier à projet long terme que je mène à complétion et que j’ai pu financer sur Kickstarter avec succès. Je serai très fière de pouvoir envoyer leurs copies à plus de 500 backers dans quelques mois quand les livres arriveront. Et la BD est désormais en pré-commande.

Quels sont tes futurs projets ? As-tu des choses en cours ?

Je travaille sur le second tome de ma BD, qui sera probablement aussi long que le premier. J’en suis à près de 60 pages dessinées et il me faudra sans doute encore un an ou deux pour le terminer. Après, si j’arrive à réunir plus de patrons sur Patreon pour m’aider à continuer, j’aimerais pouvoir dessiner une seconde BD en parallèle qui s’appelle Mordigor le Maudit et que j’ai déjà pu commencer. Le souci c’est que je dois encore travailler sur des commandes d’illustrations à côté et tout ensemble ça me prend trop d'énergie. Du coup cette BD-là est en pause mais elle attend.

Deux anges, une femme et un homme, avec le texte « Authorities that be » (les forces établies).

Si vous souhaitez en savoir plus sur le travail d’Amelie Hutt, rendez-vous sur son Instagram et sur la page de sa BD Angel’s Power Comic. N’hésitez pas à soutenir son travail via Patreon.