4 mars 2019

Quand archéologie rime avec discriminations : focus sur l’exposition Archéo-Sexisme

Quand archéologie rime avec discriminations : focus sur l’exposition Archéo-Sexisme
Cet article fait partie du dossier Archéologie

La mise en lumière du sexisme et des biais de genre dans le monde de l’archéologie francophone est indispensable. Contrairement à d’autres disciplines (nous vous en parlions déjà dans un article en décembre 2017), l’archéologie ne s’est ouverte que relativement tard au féminisme, entre le début des années 1980 et le début des années 1990 selon les pays [1]. Une forte sous-représentation des femmes dans le domaine en est alors l’une des raisons principales [2]. Trente ans plus tard, malheureusement, la situation n’a que peu changé…

Le plafond de verre demeure tenace, que ce soit en termes d’égalité salariale, d’obtention de poste à temps plein, ou encore de montée en grade. Le travail de terrain reste également souvent l’apanage des hommes, alors que les tâches administratives et pédagogiques, ainsi que le travail de laboratoire sont en majorité géré·es par les femmes [3]. Et ce n’est pas fini… Les remarques sur l’apparence physique fusent. La remise en question des compétences professionnelles est fréquente, de même que les commentaires paternalistes. Les cas de harcèlement et d’agressions sexuelles ne sont pas rares [4]. L’ensemble est également parfois couplé à du racisme, du classisme, du validisme, de l’homophobie, de la biphobie ou de la transphobie. Après plus de deux ans de collecte de témoignages sur Paye ta truelle, le rapport est navrant mais pas surprenant.

En stage dans un service régional, je travaille sur une plaquette de communication pour les journées nationales d'archéologie.

Un archéologue passe à côté de moi et me dit « Tu joues la prude, mais on voit que tu aimes ça. »

J'ai arrêté mon stage plus tôt que prévu.

Le projet Paye ta truelle

Mis en ligne en janvier 2017, le projet Paye ta truelle puise son inspiration de deux grands projets. Il s’inscrit, d’une part, dans la lignée des autres projets « Paye ton/ta » créés à la suite de Paye ta Shnek, fondé en 2012 par la militante féministe Anaïs Bourdet pour lutter contre le harcèlement sexiste dans l’espace public. D’autre part, il est le pendant francophone du projet EveryDIGsexism, mis en ligne en 2015 par la Dre Hanna Cobb (université de Manchester) et Cath Poucher (Chartered Institute for Archaeologists/Institut agréé des archéologues – Groupe de promotion de l’Égalité et la Diversité) pour compiler les témoignages de sexisme au sein de l’archéologie et des autres métiers du patrimoine.

Paye ta truelle n’est pas non plus tout à fait inconnu à SimonæEn parallèle de cet article portant sur la place des femmes au sein de la discipline archéologique publié en novembre 2016 sur le magazine, un appel à témoignages avait été lancé sur les réseaux sociaux pour récolter quelques exemples de situations sexistes vécues par des étudiantes en archéologie ou des archéologues. Notamment relayé par Terriennes-TV5 Monde, il avait finalement engrangé des dizaines et des dizaines de réponses, dont le compte-rendu est toujours disponible ici. Face à l’ampleur du phénomène, la création de Paye ta truelle devint une évidence pour poursuivre l’action sur une plateforme indépendante.

Sur mon premier chantier, les filles avaient été un peu « testées ».

Par exemple, j'ai passé les 10 premiers jours à porter des seaux, c'est tout. Ni pelles ni pioches (c'étaient les garçons qui les avaient), ni brouette (il n'y en avait pas). J'étais également la seule à vider les seaux que les six garçons remplissaient...

J'ai été sauvée lorsqu'unE responsable de secteur m'a prise sous son aile pour le reste du chantier.

L’association Archéo-Éthique

Fondée par deux doctorantes en archéologie, Béline Pasquini et Ségolène Vandevelde, l’association Archéo-Éthique a pour objectif la promotion de l’éthique en archéologie. Le sujet est vaste, complexe et encore relativement peu abordé dans le monde francophone. Pourtant, les archéologues sont confronté·es dans leur quotidien à une série d’interrogations liées à l’éthique, de leur problématique de recherche aux rapports avec leurs pairs, en passant par la publication et la médiatisation des résultats des fouilles. Conscientes de la nécessité de développer davantage ces réflexions en France, les deux jeunes chercheuses ont organisé les 25 et 26 mai 2018 un colloque sur la thématique. (Vous pouvez également retrouver les vidéos des interventions sur YouTube.) La question du sexisme notamment n’avait alors pas pu y être abordée. Un manque qui peut être à présent comblé grâce à…

L’exposition Archéo-Sexisme

Co-organisée par le projet Paye ta truelle et l’association Archéo-Éthique, cette exposition a pour objectif de libérer le discours et sensibiliser en partageant des témoignages anonymes de sexisme dans le monde archéologique. Ces récits difficiles mis en valeur par des professionnel·les de l’illustration (vous retrouverez notamment le fabuleux travail d’Elléa Bird, Jane dans la Jungle, Laurier the Fox, Madeleine Sassi et Yetea, mais découvrirez également celui de Julia Leblanc ou encore Rosalie Loncin) permettent de dresser un tableau percutant et sans équivoque de la situation. À l’heure actuelle, la minimisation des faits et la culpabilisation des victimes demeurent courantes en archéologie. Les structures d’encadrement font aussi toujours défaut. Nous devons travailler sur cela. Cette exposition est un pas dans cette direction.

Affiche de l'exposition.

Toutes les informations

  • Inauguration le vendredi 8 mars 2019 à midi. Elle se maintiendra jusqu’au 8 avril.
  • À la Maison archéologie & ethnologie, bâtiment René-Ginouvès, Campus de l’université Paris Nanterre ; 21, allée de l’université, 92000 Nanterre.
  • Entrée gratuite.

Vous pouvez également retrouver le projet Paye ta truelle et l’association Archéo-Éthique sur les réseaux sociaux :

Projet Paye ta truelle : FacebookTwitter

Association Archéo-Éthique : FacebookTwitter

Notes de bas de page

[1] CONKEY M. W. et SPECTOR J. D., 1984. « Archaeology and the Study of Gender », dans M. Schiffer (dir.), Advances in Archaeological Method and Theory, t. 7, p. 1-38.

[2] KOKKINIDOU D. et NIKOLAIDOU M., 2009. « Feminism and Greek Archaeology: an encounter long over-due », dans K. Kopaka (éd.), FYLO. Engendering Prehistoric «Stratigraphies» in the Aegaean and the Mediterranean, Aegaeum 30, p. 25-37.

[3] CONKEY M., 2003. « Has Feminism Changed Archaeology? », Signs 28, p. 867-880. GELLER P. L., 2016. « This is not a Manifesto: Archaeology and Feminism », dans M. C. Amoretti et N. Vassalo (éd.), Meta-Philosophical Reflection on Feminism Philosophies of Science, Boston, p. 151-170 HART J., 2006. « Women and Feminism in Higher Education Scholarship: An Analysis of Three CoreJournals », The Journal of Higher Education 77, p. 40-61. NELSON M., NELSON S. et WYLIE A., 1994. Equity issues for women in archaeology, Arlington. VAN DEN BRINK M. C. L., 2015. « Myths about Meritocracy and Transparency: The Role of Gender in Academic Recruitment », Research Gate. Enquête du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, octobre 2016. Observatoire 2016 de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, site officiel du Ministère de la Culture. Projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche : À la recherche d’un nouvel équilibre hommes-femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche, rapport de 2013, site officiel du Sénat.

[4] BOHANNON J., 2013. Survey Finds Sexual Harassment in Anthropology. FLAHERTY C., 2014. ’What Happens in the Field’: Following a study, scientists call for more attention to sexual harassment and assault prevention at off-campus research sites. GEWIN V., 2015. « Social behaviour: Indecent advances », Nature 519, p. 251-253. MEYERS M. et al., 2015. « Preliminary Results of the SEAC Sexual Harassment Survey. Horizon and Tradition », The Newsletter of the Southeastern Archaeological Conference 57 (1), p. 19-35. WRIGHT R. P., 2008. « Sexual Harassment and Professional Ethics », The SAA Archaeological Record, p. 27-30.