17 décembre 2016

L’archéologie au féminin : treize personnalités qui ont marqué l’histoire de la discipline

L’archéologie au féminin : treize personnalités qui ont marqué l’histoire de la discipline
Cet article fait partie du dossier Archéologie

Lors de ces cinq années passées sur les bancs de la fac, deux choses m’ont toujours frappée : un, le manque d’investissement financier manifeste dans les prises électriques ; deux, la quasi-absence de mention de femmes archéologues dans mes cours. Si pour le premier point, je ne peux malheureusement pas faire grand-chose, il n’en va pas de même pour le second. Je vais par conséquent vous dresser ici une liste non exhaustive de femmes archéologues qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’enrichissement de la discipline. L’objectif est moins de présenter en détail ces femmes et leurs accomplissements, que de susciter l’intérêt et la curiosité pour ces grands noms relativement peu évoqués.

Anna Åkerhjelm

Comme je vous l’ai déjà mentionné dans cet article, l’archéologie en tant que science ne se constitue réellement qu’à partir du XIXe siècle. Cela étant, dès le XVe siècle en Europe, un intérêt pour les antiquités grecques et romaines se développe. Des érudit·es et des amateurices, que l’on désigne sous le terme d’« antiquaires », se mettent alors à collectionner et à étudier les objets et les monuments anciens. Parmi celleux-ci, on peut notamment citer John Aubrey (1626-1697) qui tenta de réaliser un classement de tous les vestiges archéologiques de la Grande-Bretagne, William Stukeley (1687-1765) qui entreprit notamment une étude de Stonehenge ou encore Anna Åkerhjelm (1642-1698)  [1]  [2]. Son parcours est singulier. Née dans une famille aisée mais roturière, elle est employée à la cour royale suédoise où elle se fait très tôt remarquer pour ses connaissances en sciences. Mariée à un officier militaire, elle effectue de nombreux voyages en Europe, dont en Grèce où elle entreprend entre autres une étude des ruines de l’Acropole d’Athènes. Un moyen comme un autre de rentabiliser son temps en somme. Par l’entremise de son frère, ses écrits et travaux sont publiés par la suite dans la Gazette officielle suédoise et elle devient la première femme suédoise anoblie grâce à ses propres actions et non pas grâce à celles d’un parent masculin, ce qui est plutôt classe, on ne va pas se le cacher.

Zelia Nuttall

On fait à présent un petit bond dans le temps, de l’autre côté de l’Atlantique. Zelia Nuttall  [3]  [4] est née à San Francisco en 1857 dans une famille aisée. Amenée très tôt à voyager en Europe dans le cadre de son éducation, elle devient rapidement polyglotte. Suite à une visite de Mexico en famille en 1884, elle développe un intérêt pour les cultures mexicaines pré-aztèques et est par la suite nommée assistante honoraire en archéologie mexicaine au musée Peabody d’archéologie et d’ethnologie (université d’Harvard) puis professeure honoraire d’archéologie au musée national de Mexico. Ses dons en linguistique lui permettent notamment d’identifier deux manuscrits précolombiens – l’un d’eux porte d’ailleurs toujours son nom (le Codex Zouche-Nuttall, ça en impose ou pas ?). Elle est aujourd’hui reconnue comme une des pionnières de l’archéologie mexicaine.

Gertrude Bell

Pendant ce temps à Veracruz… Enfin, plutôt au Moyen-Orient, on retrouve Gertrude Bell (1868-1926)  [4]  [5]. Surnommée « la mère de l’archéologie mésopotamienne », Bell est à la fois écrivaine, voyageuse, agente du gouvernement britannique, espionne et archéologue. Oui, rien que ça. À une époque où l’accès à l’université était encore restreint pour les femmes en Grande-Bretagne, Bell suit un cursus en histoire moderne à l’université d’Oxford. Grâce à ses compétences en archéologie et en art, elle participe ensuite à la fouille de nombreux sites en Turquie, en Syrie et en Irak, pays qu’elle aide activement à créer en œuvrant en tant qu’agente administrative. Nommée directrice des Antiquités, elle fonde le Musée archéologique national à Bagdad. Jusqu’à la fin de sa vie, elle lutte pour la préservation de l’héritage national dans son pays d’origine.

Harriet Boyd-Hawes

Lorsque je mis pour la première fois les pieds sur le site de Gournia en Crète, un des premiers établissements minoens mis au jour, j’étais loin de me douter qu’il avait été découvert et fouillé entre les années 1901 et 1904 par une célèbre archéologue (oui, je suis quelqu’une qui se renseigne à l’avance sur ses visites, tout à fait) : Harriet Boyd-Hawes  [6]  [7] (1871-1945). Originaire de Boston, Boyd suit des études en archéologie classique. Destinée par son genre à rester cloîtrée dans les couloirs poussiéreux de son université et découragée par ses professeurs, elle se rebelle néanmoins contre l’institution en place et décide de partir en Crète, sa bourse universitaire en poche, pour démarrer ses propres recherches. Elle laisse son empreinte sur les sites de Kavousi, Vronda, Kastro et Azoria. Nommée professeure d’archéologie grecque au Smith College, elle se consacre ensuite pleinement aux fouilles de Gournia. Elle est alors la première femme à diriger un projet archéologique d’une telle ampleur en Grèce et devient également la première femme à présenter le résultat de ses recherches devant l’Archaeological Institute of America. Don’t mess with me comme on dit.

Anna Osler Shepard

La première fois que je suis tombée sur le nom d’Anna O. Shepard (1903-1973)  [8]  [9], j’étais en train de compulser de la bibliographie pour mon mémoire, en envisageant sérieusement de tout abandonner pour débuter un élevage de lamas au Pérou. La belle époque donc. Shepard est une archéologue américaine spécialiste de la céramique mésoaméricaine et du sud-ouest du continent. Elle est remarquable pour plusieurs raisons. Tout en s’occupant de son père malade et en travaillant chez elle dans un laboratoire de la taille d’un placard, elle devient une des pionnières de l’analyse pétrographique (description et analyses des roches) appliquée aux poteries archéologiques. Cette technique lui permit notamment de déterminer avec exactitude leur lieu d’origine. Elle réussit également à démontrer que les femmes jouaient un grand rôle dans leur production, ce qui était novateur à cette époque. Bien que sa théorie n’ait pas été d’emblée acceptée, elle influença néanmoins de nombreux travaux par la suite. Respect.

Marie Parmentier

Marie Parmentier, Marie Hackin (1905-1941) ou Ria Hackin  [10] est une archéologue française d’origine allemande. Si j’ai tenu à la mentionner dans cette liste, ce n’est pas tant pour ses travaux d’archéologie en Afghanistan (1937) et son intérêt pour les légendes et coutumes afghanes que pour ses actions en tant que résistante française lors de la Seconde Guerre mondiale. Devenue officière en 1940, elle participe notamment à l’organisation d’un corps féminin des volontaires françaises au sein de la France libre. Elle ne survit malheureusement pas à la guerre, le cargo dans lequel elle avait embarqué avec son mari pour rejoindre l’Inde sera torpillé le 24 février 1941 et iels disparurent tou·tes deux dans le naufrage. (J’ai ruiné l’ambiance ? Certainement.)

Kathleen Kenyon

Kathleen Kenyon (1906-1978)  [11 12] est une archéologue anglaise. Elle est née dans une famille aisée, dans une maison proche du British Museum. Son père, paléographe, qui devient par ailleurs le directeur et le bibliothécaire principal du musée (point de vue style, ça se pose là), insiste pour qu’elle reçoive une excellente éducation, à Londres d’abord, à Oxford ensuite. Elle y deviendra la première femme présidente de l’Archaeological Society.

Après ses études, elle travaille sur une série de sites archéologiques, notamment au Grand Zimbabwe, à Verulamium (Grande-Bretagne), à Samarie (Cisjordanie/Palestine), à Jérusalem et à Jéricho (Palestine) aux côtés de Mortimer Wheeler. Ses travaux sur le début de l’âge du bronze en Palestine font d’elle une des plus importantes figures de référence en archéologie en Angleterre.

Jacquetta Hawkes

Écrivaine et archéologue anglaise, Jacquetta Hawkes (1910-1996)  [13]  [14] est la première femme à avoir étudié l’anthropologie et l’archéologie au Newnham College de Cambridge mais elle est surtout connue pour ses travaux sur la société minoenne, une civilisation s’étant développée sur les territoires de la Crète et de l’île de Santorin entre grosso-modo la fin du 4e millénaire et la fin du 2e millénaire avant J.-C. Si vous avez bien suivi jusqu’ici, c’est également à cette civilisation que s’est intéressée Harriet Boyd-Hawes avec ses travaux sur le site de Gournia. Mais trêve de suspense : si le nom de Hawkes vous évoque quelque chose, c’est parce qu’elle est une des premier·es archéologues à avoir suggéré l’idée que la société minoenne pourrait avoir été en réalité matriarcale et non patriarcale (Dawn of Gods, 1968). Elle base principalement sa théorie sur deux aspects : une absence de preuve de l’existence de dirigeants masculins, pourtant abondantes dans les civilisations voisines contemporaines (les Égyptiens par exemple), et sur la présence de représentations de femmes « puissantes » dans les productions artistiques minoennes. Alors que les questions de genre n’étaient pas encore réellement d’actualité en archéologie à l’époque où son ouvrage est sorti (voir cet article), Hawkes a le mérite d’avoir soulevé la question dans un climat peu ouvert à ce type de réflexions.

Ruth Amiran

Alors que je voguais de sites Internet en ouvrages biographiques à la recherche d’archéologues pour cet article (oui, force est de constater que de mémoire, la liste n’aurait pas été très longue), j’ai fini par tomber sur le nom de Ruth Amiran (1914-2005)  [15]. Diplômée de l’université hébraïque de Jérusalem, Amiran est une archéologue israélienne spécialiste de la céramique des territoires compris entre le Jourdain et la mer Méditerranée (à savoir les actuelles Israël, Palestine, Jordanie, Libye et Syrie). Elle est notamment l’autrice d’un ouvrage de référence sur le sujet, publié en 1970, dans lequel elle a effectué une classification typologique de la poterie en fonction des périodes : Ancient Pottery of the Holy Land: From Its Beginnings in the Neolithic Period to the End of the Iron Age (que l’on peut traduire par Les anciennes céramiques de la Terre Sainte : du début du Néolithique à la fin de l’âge du fer). Le lobby céramologue est partout, oui.

Muazzez İlmiye Çığ

Née dans la province de Bursa au nord-ouest de la Turquie en 1914 et diplômée de l’université d’Ankara en 1940, Muazzez İlmiye Çığ  [16]  [17] est une archéologue turque, spécialiste de la civilisation sumérienne, une importante civilisation s’étant développée sur les territoires de l’actuel Iraq entre la fin du 4e millénaire et le 3e millénaire. Vous en avez peut-être entendu parler car en 2006, elle fut poursuivie en justice pour « insulte à l’islam » et « incitation à la haine raciale et religieuse » après avoir comparé dans un de ses ouvrages le voile islamique au voile que portaient les prêtresses sumériennes qui initiaient les jeunes hommes au sexe. Elle fut cependant rapidement acquittée. Cette affaire mise à part, elle est principalement reconnue dans le milieu pour avoir catalogué et déchiffré tout au long de sa carrière environ 5 000 tablettes en cunéiforme, ce qui constitue – on ne va pas se mentir – un apport considérable pour la discipline.

Honor Frost

Parmi les nombreuses facettes de l’archéologie, l’une d’entre elles m’a toujours fascinée : l’archéologie sous-marine, et pas uniquement parce que je sais à peine mettre les pieds dans une pataugeoire sans hyperventiler (j’exagère à peine !). On rapproche généralement l’archéologie sous-marine de l’étude des épaves, mais le domaine d’action s’étend également aux ports, aux bords de mer, aux villages lacustres, aux sites submergés en raison d’une catastrophe naturelle, etc. Les techniques d’investigation diffèrent de celles de l’archéologie terrestre (emploi de plongeureuses avec bouteilles d’oxygène, de robots ou encore de sous-marins pilotés à distance) mais certains équipements restent relativement identiques (utilisation d’appareil photo, de cadres de carroyage, de truelles, de pinceaux, etc.). Une des pionnier·es de cette discipline se nomme Honor Frost (1917-2010)  [18]. Originaire de Chypre, cette archéologue écossaise a d’abord suivi une formation artistique avant de s’intéresser à l’archéologie sous-marine. Elle fit ses premiers pas avec une épave romaine au large des côtes françaises et travailla ensuite aux côtés de Kathleen Kenyon à Jéricho (tout est lié, oui). De là, elle se rendit ensuite au Liban où elle explora les anciens ports de Byblos, Sidon et Tyr. Elle participa également à la fouille de l’épave phénicienne de Gelidonya au large de la Turquie, dans le projet d’étude du phare d’Alexandrie ainsi qu’à l’exploration et à l’étude de l’épave d’un bateau de guerre punique mis au jour non loin de Marsala en Sicile. Elle travailla toute sa vie à la promotion de l’archéologie sous-marine, la Fondation Honor Frost a depuis repris cette mission.

Sada Mire

Last but not least, je vais terminer en vous parlant de Sada Mire  [19]. Née en 1977 à Mogadishu en Somalie, Mire est une archéologie suédoise et somalienne. En 1991, elle et sa famille sont contraintes de quitter la Somalie pour fuir la guerre civile. Elle se réfugie alors en Suède où elle débute son cursus universitaire à l’université de Lund. Elle poursuit ensuite ses études à l’université en Angleterre et réalise son doctorat à la University College de Londres. Elle s’intéressa à l’histoire de son pays natal où elle dirigea notamment de nombreuses campagnes d’étude ayant permis d’identifier plus d’une centaine de représentations artistiques préhistoriques sur roches. Un autre fait intéressant est qu’elle est l’unique archéologue de la République du Somaliland, un territoire ayant auto-proclamé son indépendance par rapport à la Somalie en 1991, dont elle est par ailleurs devenue directrice des antiquités de 2007 à 2012. Elle enseigne actuellement à l’université de Leiden aux Pays-Bas.

De la voyageuse suédoise archéologue en herbe à la pionnière de la pétrographie appliquée à la céramique en passant par cette archéologue membre de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, les parcours de ces femmes archéologues ne cesseront jamais de m’impressionner. J’aurais également pu vous parler de Dorothy Garrod, cette archéologue anglaise qui fut la première femme à occuper une chaire de Préhistoire à l’université de Cambridge, de Virginia Randolph Grace, cette archéologue américaine qui fait figure d’autorité dans l’étude du commerce des amphores romaines ou encore de Tatiana Proskouriakoff, cette archéologue et ethnologue américaine spécialiste de la civilisation maya, mais je n’aurais pas eu assez de place pour pouvoir rendre correctement justice à leur travail. Comme je vous l’ai déjà précédemment mentionné, les femmes archéologues sont toujours sous-représentées dans la discipline, cela valait donc la peine que l’on s’attarde quelque peu sur les réalisations de certaines d’entre elles.

Bibliographie

[2] STALBERG W. et BERG P.G., 1864-1866. Anteckningar om svenska qvinnor (Notes sur les femmes suédoises).

[3] TOZZER A. M., 1933. Zelia Nuttall, American Anthropologist, New Series 35 (3), p. 475-482.

[4] ADAMS A., 2010. Ladies of the Field: Early Women Archaeologists and Their Search for Adventure, Vancouver.

[5] WINSTONE H. V. F., 1978. Gertrude Bell, Londres.

[6] Smith College Archives, notice sur Harriet Boyd Hawes.

[7] BOLGER D. L., 1994. Ladies of the Expedition: Harriet Boyd Hawes and Edith Hall in Mediterranean Archaeology, dans C. Claassen, Women in Archaeology, Philadelphie, p. 41-50.

[8] Revealing our routes. Women of Boulder County, Anna O. Shepard biography.

[9] MORRIS E. A., 1974. Anna O. Shepard, 1903-1973, American Antiquity 39, p. 448-451.

[10] Musée de la résistance 1940-1945 en ligne, Marie Hackin, compagnon de la Libération.

[11] CALLAWAY J. A., 1979. Dame Kathleen Kenyon, 1906 -1978, The Biblical Archaeologist 42.2, p. 122–125.

[12] DAVIS M. C., 2008. Dame Kathleen Kenyon: Digging up the Holy Land, Londres.

[13] FINN Ch., 2005. A life on line: Jacquetta Hawkes, archaeo-poet (1910 – 1996), Université de Stanford.

[14] HAWKES J., 1968. Dawn of the Gods: Minoan and Mycenaean Origins of Greece, Londres.

[15] Jewish Women’s Archive, Ruth Amiran (1914-2005).

[16] DEMIR G., 2008. Muazzez Çığ stands among the world’s best Sumerologists, Hürriyet Daily News.