
Le début du siècle est marqué par un art qui se fait l'outil de la modernité et du progressisme féminin. Berthe Weill et Gertrude Stein comptent notamment parmi les mécènes, galeristes et collectionneuses qui changent l'image qu'ont les hommes artistes des femmes. Weill, en tant que marchande de tableaux, défend les œuvres des peintresses à même hauteur que celles de leurs confrères : on l'appelle « la pourfendeuse héroïque du dragon de la banalité » [1].
Si l’on ne peut pas réellement parler d'art féministe occidental avant la fin des années 1960, lorsque se forgent les écrits et courants féministes occidentaux, les artistes européennes ne les ont pas attendus. Elles réclament leur place au sein des courants novateurs qui pullulent alors en Occident : Alice Halicka, Marevna, Angelina Beloff… des artistes de toute l'Europe venues profiter de la scène parisienne rayonnante en ce début de siècle.
Marevna, Autoportrait, 1929.
En France, la Première Guerre mondiale est l'occasion d'un immense bond en avant pour la cause féministe, mais également d'un soutien non genré entre artistes désargentés à Montmartre et Montparnasse. On se partage ateliers, manteaux, matelas, repas et poses, dans une convivialité mixte libre. La fin de la guerre n'a pas raison de cette solidarité entre classes, nationalités et genres de la bohème artistique, même si la misogynie des contemporains a la vie dure. Beaucoup d'artistes russes, arrivées juste avant ou suivant la Révolution de 1917, ont un impact immense sur les mouvances artistiques parisiennes, parmi lesquelles Natalia Gontcharova, Nadia Khodossievitch, Liubov Popova, Nadezhda Udaltsova.
Le krach boursier de 1929 et la crise économique qui s'ensuit, Franco puis Hitler ternissent cette fresque mixte parisienne. Les Américaines rentrent chez elles et de nombreuses artistes juives [2] ne pouvant fuir meurent déportées, sombrant par la même occasion dans l'oubli historique.
N'oublions pas qu'au-delà des peintresses et sculptrices, les chanteuses, intellectuelles, danseuses de l'entre-deux-guerres inspirent et impactent tout autant leur époque, telle la flamboyante Kiki de Montparnasse. Beaucoup de femmes choisissent également le médium photographique comme support de témoignage : elles documentent leur temps et les révolutions sociales en photographiant la rue ou choisissant de représenter des minorités. L'artiste lesbienne norvégienne Marie Høeg s'habille par exemple ouvertement en homme, la clope au bec et revendique ainsi (selon les canons esthétiques de l'époque) ses revendications sexuelles et sociales.
Marie Høeg, Autoportrait photographique, 1895-1903.
Restent aussi plusieurs peintresses en dehors des avant-gardes mais qui déjà s'attaquent à représenter différemment les femmes, au-delà des carcans patriarcaux et hétérocentrés. Agnes Noyes Goodsir peint par exemple la communauté parisienne lesbienne des années 1920 et 1930.
La fin de la Seconde Guerre mondiale marque un nouvel élan des femmes artistes en Europe comme en Amérique du Nord. « Affirmer leur art comme la forme de transgression la plus positive allait être le sens de leur combat : elles le menèrent toutes, femmes artistes, femmes d'artistes, muses et modèles. » [3] Entre-temps, la scène artistique s'est déplacée de Paris à New York. La seconde moitié du XXe siècle sera alors marquée par des artistes guerrières, engagées et militantes. Les États-Unis commencent donc à accueillir des femmes au sein de leur cercle d'artistes reconnu·e·s [4] : elles s'imposent petit à petit auprès de leur pairs, dans les galeries et les salons d'après-guerre.
Nombreuses sont les artistes contemporaines, vidéastes, sculptrices, performeuses ou peintresses, à parler de sexe, d’identité et de traumatisme liés à leur genre. Mais il ne faudrait pas réduire à cela l’art féministe. Certaines, comme Marina Abramović, refusent par ailleurs de coller cette étiquette sur leur production artistique, leur message étant selon elles plus universel et global.
Les sujets abordés vont durant les années 1980 bien au-delà du vécu personnel et individuel de la décennie précédente. Elle traite du SIDA, des premières thématiques queer, d'avortement : des thèmes extrêmement politisés donc, surtout dans l'Amérique conservatrice de Reagan. Kiki Smith est peut-être la plus représentative de cette mouvance, autant en tant que militante qu'artiste. [8] Elle explore notamment le corps humain et ses fluides dans des sculptures qui rappellent la peur du SIDA et le méconnaissance de l'intimité des corps.
Kiki Smith, Ovum and Sperm, 1992.
Les années 1980 marquent aussi en Occident le début des études de genre (chez les anglo-américains) et des réflexions sur la construction des masculinités et des féminités. Dans le même temps, les artistes féministes s’opposent à l’essentialisme des années 1970. Une plus grande importance est donnée à la plasticité des identités ainsi qu’à la remise en question des codes et des normes de genre.
La décennie voit également la création d'un groupe phare : les Guerilla Girls. Activistes visuelles, elles se sont données pour mission de dénoncer l'inégalité de traitement et de représentation des femmes artistes dans les institutions américaines. Le groupe se forme à l’occasion de l'ouverture d'une galerie du MoMA en 1985, dédiée aux artistes contemporain·e·s les plus renommé·e·s. Cette galerie ne compte alors que 13 femmes sur les 169 créateurices présenté·e·s par le musée. Elles dénoncent de manière frontale sexisme et racisme, via des campagnes visuelles chocs, inspirées de la publicité.
Do women have to be naked to get into the Met. Museum? Less than 5% of the artists in the Modern Art Sections are women, but 85% of the nudes are females. [NdlA : « Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Metropolitan Museum of Art ? Moins de 5 % des artistes à la section de l'art moderne sont des femmes, mais 85 % des nus y sont féminins. »]
Des revendications plus sociales émergent en parallèle. Les œuvres passent du témoignage à la dénonciation des inégalités et discriminations. Barbara Kruger dénonce ainsi le male gaze dans Your Gaze Hits the Side of My Face. Les artistes sont nombreuses à s'emparer du verbe pour se faire entendre. Il faut communiquer aux masses, créer des slogans, des affiches reconnaissables de loin, qui frappent l'esprit. Elles sont en cela héritières du Pop Art et adoptent tout autant le néon, le graffiti, la télévision, les projections lumineuses... pour être le plus visible possible.
Barbara Kruger, Your Gaze Hits the Side of My Face, [NdlA : « Ton regard me frappe le côté du visage »] 1981.
Dans cette optique, on commence aussi à intégrer des œuvres et des artistes auparavant rejeté·e·s par la culture dominante patriarcale. Une nouvelle diversité artistique commence à percer, sans être encore reconnue par les institutions et encore moins par le marché de l’art. Culture d’élite et culture populaire s'entrecroisent, l'artisanat et les arts domestiques côtoient les arts classiques. Raymonde Arcier crée par exemple des œuvres tricotées pour symboliser la restriction des travaux féminins aux travaux domestiques. Le relativisme culturel, qui passe par une agrégation des luttes les unes avec les autres dans le champ artistique, ouvre la porte à une intégration d’arts multiples, plus diversifiés. Il permet aussi de remettre constamment en question les biais de perception et d’interprétation des œuvres.
La fin des années 1960 et ses révolutions sociales marquent un tournant pour les femmes artistes occidentales. Aux États-Unis, dès le début des années 1970, on voit apparaître un questionnement sur la place de la femme artiste, alors que la décennie précédente s’interrogeait essentiellement sur le rôle de la femme dans la société. « Avant les années 1970, on pensait qu’il n’y avait eu aucune grande femme artiste. » explique Linda Nochlin dans son article fondateur Why Have There Been No Great Woman Artist? [NdlA : Pourquoi n'y-a-t-il pas eu de grande femme artiste ?] en 1971. Elle essaye d’apporter des explications à cette absence supposée : le système patriarcal exclut les femmes des carrières artistiques, les empêchant de développer leur talent et gêne la reconnaissance des exceptions passées entre les mailles du filet (voir le second article de notre série).
Dans la lignée, les théories de Lucy R. Lippard sont marquées par le marxisme et posent les bases, après le texte de Nochlin, d’un besoin de déconstruction du canon occidental et patriarcal. Son propos est d’autant plus intéressant qu’elle vient elle-même de la critique de l’avant-garde américaine. Ses écrits passent par sa propre déconstruction graduelle, remettant en question ses acquis et a priori.
The Feminist Art Program, dont le but était de produire de l’art féministe, est la première initiative majeure de regroupement artistique féminin aux États-Unis , montée par Judy Chicago et Miriam Schapiro en Californie. L'idée est de créer une émulation féministe et artistique en collaborant sur les démarches artistiques et les œuvres des créatrices. S'ensuit la création de nombreux groupes non mixtes : il était important de créer des endroits safe pour permettre l’expression libre de chacune. La Womanhouse est finalement créée : une maison totalement dédiée à des performances artistiques féministes, et un lieu d’exposition, qui finit par s'adjoindre The Feminist Art Program. Les participantes accordent une grande importance à la performance, au travail collectif, à l’exploration de l’image sexuelle des femmes et à la valorisation de l’autobiographie.
Cette première vague artistique féministe insiste aussi sur la revalorisation des techniques et formes dites féminines (couleurs pastel, géométrie ronde, tissus, vaisselle, etc.), qu’il s'agisse d'éléments propres à une communauté ou traditionnellement considérés comme féminins. Valoriser la culture et le corps des femmes est alors un acte politique. L’initiative de la Womanhouse s’est ensuite transformée en Womanbuilding : une école d’art indépendante à Los Angeles, qui restera ouverte jusqu'en 1991. Des mouvements comme WAR (Women Artists in Revolution) et des galeries non mixtes s’ouvrent, des revues comme The Feminist Art Journal apparaissent : les États-Unis développent leur pensée féministe dans l'art en passant à la fois par la création, le marché et la théorisation.
Judy Chicago, The Dinner Party (1979).
Suzanne Lacy et Leslie Labowitz, In Mourning and Rage (1977) - performance.
Le cas français est légèrement à part, dans un contexte différent, du fait du déplacement de la scène internationale artistique de l'autre côté de l'Atlantique. Pourtant, plusieurs collectifs se montent pour mettre en place un réseau artistique alternatif : la Spirale, de 1972 à 1992, qui veut « lutter contre la passivité de la femme, saper ses préjugés, rechercher les inhibitions de la créativité féminine, inventer un langage nouveau » [5] ; ainsi que Féminie-Dialogue, de 1975 à 2009, et Collectif Femmes/Art, de 1976 à 1980 (entre autres), la plupart non mixtes. Toutes ne défendent pas exactement les mêmes idées, certaines craignant notamment qu’une communauté fermée ne revienne à former un ghetto de création nuisant à la reconnaissance globale des artistes. [6]
Les femmes artistes reprennent aussi du terrain sur les arts classiques : la sculpture et la peinture. Leur pratique devient une revendication, une réappropriation artistique (puisque pratiquée et reconnue majoritairement chez la gente masculine). Ces artistes se forgent une place sans nécessairement mettre en avant leur vécu féminin, comme Phyllida Barlow et ses sculptures. Cela n'empêche aucunement ces artistes d'être pleinement conscientes de leur statut minoritaire et déprécié dans le milieu artistique.
On assiste alors à un schisme entre artistes, critiques et théoriciennes qui se revendiquent toutes féministes mais en ont une interprétation diverse. Certaines refoulent purement et simplement l’avant-garde, qu’elles considèrent comme machiste. Elles prônent un art dit féminin, mettant en avant des qualités associées au genre comme la douceur, l’authenticité, l’engagement personnel. Les œuvres créées insistent plus sur l'aide, l'explication de la situation des femmes artistes : elles ne critiquent pas à proprement parler. Ce courant permet notamment de redécouvrir des peintresses perdues, comme Lee Krasner, qui peignit en dripping au moins un an avant son célèbre mari Jackson Pollock, via des expositions dédiées comme « Women Painters ; 1550-1950 » [7].
Le dripping est une technique d'art abstrait consistant à éclabousser un support avec de la peinture (ou autre) de manière à créer une toile de gouttes et traînées superposées les unes aux autres.
Une avant-garde artistique correspond à un mouvement ou courant artistique qui émerge et s'impose sur la scène artistique sur une période donnée, et regroupe plusieurs artistes dans une même optique stylistique ou discursive.
D'autres embrassent les courants artistiques contemporains et ne claquent pas les portes des communautés artistiques masculines. La peintresse canadienne Mary Meigs, ouvertement lesbienne, fréquente le cercle de l'expressionisme abstrait. Elle reste une artiste figurative (dans le sens où elle ne peint pas d'abstraction) mais ne rejette pas pour autant l'intérêt qu'elle porte à certains de ses contemporains. Lynda Benglis s'inspire pour sa part de la pop culture et des artistes masculins qui la composent pour créer des sculptures aux matériaux originaux et pour moquer, tout en reconnaissant leur talent, les artistes minimalistes.
Lynda Benglis, EAT MEAT, 1969-1975.
La dernière décennie du XXe siècle marque l'arrivée d'une troisième vague d’art féministe. Cette dernière intègre les discours postcoloniaux et queer (au-delà du questionnement de genre) qui manquaient alors à la dynamique de groupe [9]. Des artistes, peintre·sse·s britanniques et américain·e·s et photographes comme l'autrichienne Birgit Jürgenssen s'étaient déjà emparé·e·s de ces sujets avant-guerre mais sans les textes théoriques et la reconnaissance du milieu artistique.
Ce multiculturalisme amène à la fois une hybridation culturelle bienvenue et une appropriation par certain·e·s artistes. On avait déjà observé ce pillage culturel dans la récupération des sculptures africaines par les artistes des avant-gardes européennes (Picasso en est un exemple parmi d'autres), mais dès les années 1970, plusieurs artistes (blanc·he·s) influent·e·s s'opposent à l'idée d'originalité et d'authenticité des œuvres, favorisant ainsi une récupération et une réappropriation artistique aux dépens des personnes issues des cultures extra-occidentales.
Il existe pourtant de nombreuses combinaisons culturelles réussies, sans réappropriation, parmi lesquelles celles de Renee Stout. Cette artiste afro-américaine mêle par exemple des figures sacrées d’Angola à des moulages de son corps, mais aussi à différents collages photographiques américains. Elle se fait connaître en 1993 via l'exposition au National Museum of African Art à Washington D.C., « Astonishment and Power » [NdlA : « Stupéfaction et Pouvoir »] et questionne la diaspora afro-américaine dans son rapport au monde. Ses œuvres encouragent l'introspection, l'émancipation et la guérison des crises identitaires.
Renee Stout, Fetish #2, sans date.
Les questions trans et les rôles associés aux genres sont également de plus en plus au centre des créations artistiques : Rineke Dijkstra fait notamment une étude photographique d’adolescents et d’adultes de la légion étrangère autour du concept de masculinité forcée et toxique. Nil Yalter a documenté sa transition MtF avec une série de photographies intitulées Le Chevalier d’Éon. Globalement, la question du genre et des sexualités devient centrale chez beaucoup de plasticien·ne·s et photographes. Jenny Saville travaille sur l'ambiguïté du genre dans sa perception sociale via des nus monumentaux. Dans ses œuvres, on passe d'un corps transgenre à une multitude de corps, non binaires, intersexes, transgenres, visibles et chacun unique.
Les artistes Del LaGrace Volcano et Catherine Opie questionnent le genre en photographie, notamment via les drag-kings. Volcano touche à la fois aux personnes intersexes, non binaires et aux couples queer. Certains de ses clichés rejoignent par leur intimité ceux de Cindy Sherman. Par des autoportraits parfois ensanglantés, Opie joue des clichés genrés pour flouter les limites des genres dans des portraits en buste ou en très gros plan.
Jenny Saville, Shift, 1996–1997.
Suite logique de la récupération des pratiques publicitaires des années 1980, l'affiche devient un médium de prédilection pour les artistes engagées. Elles se réapproprient l'espace public en passant également par le graffiti et les performances et cherchent à interpeller et déranger leur public. Le Street Art se fait un support grandissant des revendications queer, dans la suite de ce que faisait Keith Haring dans les années 1980. C'est à la fois une manière d'imprégner l'espace public et d'aller contre les institutions et lieux d'art classiques qui rechignent encore à leur ouvrir leurs portes. Beaucoup de ces artistes sont anonymes et il est parfois difficile de retracer leur histoire et celles de leurs œuvres, majoritairement éphémères.
Internet et les réseaux sociaux ont permis, non pas de multiplier les artistes (puisqu'iels étaient déjà nombreuxes) mais de rendre plus visibles leurs créations et revendications. Les styles et les discours sont extrêmement diversifiés, allant du cancer du sein, comme chez la photographe Christine Benjamin, à l'uniformisation occidentale de la culture, comme chez Barabara Walker. Elle met notamment en avant l'absence de représentations racisées dans la culture populaire.
Christine Benjamin, I of the Beholder (c.2005-2008).
Ce sont alors de nouvelles voix qui se font entendre dans le champ artistique, des voix auparavant effacées, invisibilisées et encore peu encouragées selon les contextes socio-politiques actuels. Shirin Neshat, par la photographie et la vidéo, questionne les rapports sociaux et psychologiques des femmes dans les sociétés islamiques, notamment l'Iran, dont elle est originaire. Si elle se lance dans l'aventure artistique dans les années 1990, c'est la reconnaissance de la biennale de Venise, en 1999, qui la lance sur la scène internationale.
Quel que soit le médium, de nombreuses artistes questionnent de manière intersectionnelle les discriminations, les injustices et le monde qui les entourent. Mais il est encore difficile d'avoir accès au travail des artistes queer et/ou racisé·e·s, surtout quand leur engagement transparaît dans leurs productions, le milieu artistique, que ce soit du côté des institutions ou du marché de l'art, restant pour le moins sclérosé.
Certaines artistes racisées, notamment afro-descendantes et afro-américaines, peinent à percer sur une scène mondiale du fait d'un racisme institutionnel persistant. Même des artistes ayant débuté leur carrière dans l'immédiate après-guerre ne connaissent une notoriété qu'à partir des années 2010, comme Faith Ringgold. Elle a paradoxalement participé à la reconnaissance de nombre de ses consœurs [10], comme Adrian Piper. Cette dernière travaille par exemple dès 1970 sur le rejet de sa différence raciale et sexuelle dans l’espace public. À travers diverses mises en scène où elle s’enduit de différents produits organiques, elle explique la peur et la répulsion qu’engendre sa peau noire dans la culture WASP (White anglo-saxon protestant) :
« Je suis le cauchemar des racistes, l'obscénité du métissage. Je suis […] une incarnation vivante du désir sexuel qui traverse les barrières raciales et se reproduit. » [11]
Favianna Rodriguez, une artiste américaine queer, aux origines afro-péruviennes, se sert également de l'art comme d’un outil militant. Elle milite au sein de diverses associations et ONG pour les droits civiques, contre le racisme et la xénophobie, via des affiches. Très riche, son œuvre touche également à l'environnement et la responsabilité des artistes à faire passer des messages engagés.
Favianna Rodriguez, The Artist Must Fight for Justice & Peace [NldA : « L'artiste doit se battre pour la justice et la paix »], 2017, Oakland.
Cette mondialisation de l'image ne signifie donc non pas son uniformisation mais l'ouverture à d'autres discours et supports artistiques, auparavant dépréciés car minoritaires et/ou artisanaux. Le tissage, la broderie reviennent ainsi de manière récurrente chez les femmes artistes, mais de nouveaux médiums sont aussi utilisés : l'artiste ivoirienne Laetitia Ky se sert par exemple de ses cheveux et de ses coiffures figuratives pour dénoncer les violences conjugales. L'œuvre ci-dessous a d'ailleurs été faite dans le cadre de la campagne en ligne #MeToo à laquelle a elle activement participé. Cette visibilité nouvelle permet à la fois la découverte, pour un public européano-centré, de styles et médiums différents, porteurs de messages forts, et le développement de nouvelleaux créateurices issu·e·s de ce melting-pot artistique.
Laetitia Ky, #MeToo, 2017 : coiffure figurant un agresseur soulevant la jupe d'une personne identifiée comme femme.
Outre le retard des historien·ne·s français·e·s sur les gender et queer studies appliquées au domaine artistique, on peut regretter que nombre des ouvrages anglophones disponibles n’aient jamais été traduits et soient même rarement disponibles dans leur langue originale dans l’Hexagone. Mais cela fera l’objet d’un nouvel article, sur la disponibilité du savoir à l’ère de la numérisation. En attendant, il vous est toujours possible de participer à l’art féministe, en dépassant les limites atteintes par les artistes passées. Nombreuses sont déjà les femmes à produire au-delà des codes artistiques, classistes et patriarcaux, mais peu nombreuses sont celles parvenant à se faire entendre.
[1] Sylvie Buisson, Femmes artistes, Éditions Alternatives, 2012.
[2] Notamment Sophie Blum-Lazarus, Erna Derm, Francia Hart, Alice Hohermann, Chana Gitla-Kowalska, Nathalie Kraemer, Jane Lévy, Bela Meszoly, Elisabeth Polak, Gela Seksztain et Rahel Szalit-Marcus.
[3] Sylvie Buisson, Femmes artistes, Éditions Alternatives, 2012.
[4] Notamment Tamara de Lempicka et Georgia O'Keeffe. Hermine David, Madeleine Luka, Marie Vassilieff, Marevna, Clara Orloff, Sonia Delaunay.
[5] Fabienne Dumont, Des sorcières comme les autres. Artistes et féministes dans la France des années 1970, Presses Universitaires de Rennes, 2014.
[6] Données disponibles sur ces mouvements aux archives de la bibliothèque Marguerite Durand et sur les sites : http://journals.openedition.org/genrehistoire/1912 et http://www.archivesdufeminisme.fr/ressources-en-ligne/articles-et-comptes-rendus/articles-historiques/quinby-d-lart-du-feminisme-en-france-les-annees-1970/
[7] Los Angeles County Museum of Arts, 1976.
[9] Trois textes constitutifs de la théorie queer de la décennie : Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité (1990); Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard (1990); un numéro spécial de revue dirigé par Teresa De Lauretis, « Queer Theory : Lesbian and Gay Sexualities » Differences : A Journal of Feminist Cultural Studies, n°3, 1991. Ainsi que, en français : Monique Wittig, La Pensée straight (1992); Judith Butler, Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du « sexe » (1993); Eve Kosofsky Sedgwick, « Construire des significations queer », in Didier Eribon (dir.), Les Études gay et lesbiennes (1998); Judith Butler, Défaire le genre (2004) ; Teresa De Lauretis, Théorie queer et cultures populaires. De Foucault à Cronenberg (2007); Marie-Hélène Bourcier, Queer zones ; politique des identités sexuelles et des savoirs (2001).
[10] Beverly Buchanan, Elizabeth Catlett, Howardena Pindell, Adrian Piper, Deborah Willis, et Joyce Scott
[11] Adrian Piper, « Flying », in Adrian Piper : Reflections 1967-1987, catalogue de l’exposition organisée par Jan Farver, New York, Alternative Museum, 1987, p.23.
Et pour toujours plus de découvertes artistiques, nous vous conseillons une nouvelle fois le compte Twitter @womensart1 qui poste quotidiennement des œuvres d'artistes du monde entier, passées et contemporaines.