24 janvier 2017

Circée Peloux : portrait d’une escrimeuse handisport

Circée Peloux : portrait d’une escrimeuse handisport
Cet article fait partie du dossier Portraits professionnels

Circée Peloux est une escrimeuse lyonnaise. Elle a commencé l’escrime il y a 5 ans, et fait désormais partie du collectif France pour l’escrime handisport, qui regroupe les personnes qui peuvent être sélectionnées pour l’Équipe de France lors des compétitions.

L’escrime handisport, qu’est-ce que c’est ?

Circée Peloux et une autre escrimeuse lors de la prise de distance réglementaire précédant tous les combats.

L’escrime handisport est une discipline sportive avec un dispositif spécial permettant aux personnes en situation de handicap physique de pratiquer l’escrime.

On appelle ce dispositif le handifix.

L’escrime handisport respecte les règles de la Fédération Internationale d’Escrime, la seule différence étant le dispositif d’adaptation. Il existe trois catégories en escrime handisport :
A : avec équilibre du tronc,
B : sans équilibre du tronc,
C : tétraplégique.

Les compétitions amicales et nationales sont ouvertes aux valides. Dans ce cadre, la personne valide intégrera le même dispositif et tirera en fauteuil roulant. Les compétitions internationales d’escrime handisport sont elles uniquement ouvertes aux athlètes en situation de handicap.
Ces compétitions sont aussi divisées en catégories femmes/hommes, sauf pour les compétitions nationales dans le cas où il n’y aurait pas assez d’athlètes.

En France, l’escrime handisport peut être pratiquée par les personnes non voyantes et malvoyantes, mais les compétitions sont séparées, il existe une vraie scission, ce que regrette Circée.
D’une manière générale, l’escrime non voyant est très mal reconnu.
Le handicap mental est aussi séparé, rentrant dans la catégorie du sport adapté.

Dans l’escrime de façon générale, il n’y a pas d’athlètes vivant de leur pratique, les athlètes ne sont rémunéré·es ni sur les stages ou les entraînements, ni sur les compétitions.

Chacun·e doit donc trouver des mécènes ou des sponsors pour soutenir sa pratique sportive.

Le parcours de Circée

Quand Circée est retournée s’installer en Ardèche, son département d’origine, elle souhaitait trouver un club de danse pour continuer sa pratique. Malchance ou heureux hasard, l’association de danse n’était pas présente au forum des associations où elle s’était rendue. Elle a vu le stand de l’escrime, et ça a été le coup de cœur.

À l’époque, déjà en fauteuil roulant, elle commence à échanger avec les personnes présentes et le maître d’armes.

« J’avais déjà fait de la danse mais il n’y avait pas vraiment d’adaptation. […] Et là c’était pas du tout ça, [le maître d’arme] s’adaptait vraiment, il a vraiment tout de suite mis en place les trucs qu’il pouvait, tout le monde a été vraiment agréable et vraiment sympa. Et du coup j’y suis allée une fois, deux fois, et puis j’y suis restée. »

Au début, Circée ne souhaitait pas faire de compétition, ayant peur que cela enlève la partie « loisir et plaisir » en la remplaçant par des impératifs. Elle s’est d’abord essayée à la compétition dans son club ardéchois, dans lequel elle était la seule personne handicapée. Mais c’est après son déménagement à Lyon que tout s’est envolé pour elle. Si elle avait déjà décidé de se lancer de façon sérieuse dans la compétition, ce changement de ville lui a permis de réaliser pleinement son objectif.

Et l’année dernière, Circée a obtenu sa première médaille aux championnats de France et s’est classée 5e au championnat du monde à Pise en novembre dernier. Elle avait précédemment participé aux championnats du monde de Varsovie, où elle avait obtenu son classement en catégorie B (avant de participer à des championnats d’une telle envergure, les athlètes sont catégorisés par défaut en A, ce qui ne correspond pas forcément à la catégorie dans laquelle iels devraient être).

« J’ai essayé et effectivement je me suis prise au jeu. Il y a une espèce d’émulation. […] Tu rencontres plein de gens. […] Maintenant je fais le tour du monde pour ça. »

Photographie de Circée avec sa première médaille.

Circée est toujours en lien avec son ancien club d’escrime, et elle les aide actuellement à créer une section handisport. Sa présence sur le forum des associations a amenée une nouvelle personne en situation de handicap à s’inscrire et cela a continué. Depuis, certain·es sont parti·es, d’autres sont arrivé·es, et la section se développe réellement, notamment avec de l’investissement en matériel et l’organisation de démonstrations.

Dans son nouveau club lyonnais, le Masque de Fer, Circée est dans une section entièrement handisport. Cependant, deux des trois entraînements hebdomadaires sont mixtes valides/non-valides.

La mixité avec les valides est un aspect de l’entraînement que Circée trouve très enrichissant.

Escrime et handisport

La pratique de l’escrime handisport est liée à la pratique de l’escrime valide. En effet, il n’existe pas en France de club uniquement ouvert aux personnes en situation de handicap, à l’exception des Invalides.

Cependant, malgré cette mixité, on note des différences de traitement entre les deux déclinaisons de la même discipline.

Quelles passerelles ?

« Il y a des passerelles dans un sens et pas dans l’autre » explique Circée. Par exemple, un·e athlète valide peut automatiquement participer à une compétition handisport (jusqu’au niveau national), car cela a été créé en ce sens, par manque de compétiteurices handisport aux débuts de la discipline. En revanche, certaines compétitions sont interdites aux athlètes handisports. L’ouverture n’est que dans un sens. Circée explique que la raison avancée est que cela fausserait le classement, cependant « si t’es fort·e en escrime, tu seras fort·e sur un fauteuil aussi » ajoute-elle.

Mais les choses évoluent progressivement, Circée note notamment l’augmentation du nombre de clubs d’escrime qui ont ouvert une section handisport, et où le travail se fait en mixité avec les personnes valides. L’idéal serait d’avoir des athlètes handisport dans tous les clubs, mais ce n’est pas encore le cas, et on ne peut pas forcer les choses. « Je veux croire que tous les clubs sont ouverts au handicap, après il faut être réaliste, je ne pense pas que ça soit le cas » ajoute-elle.

Rendre un club accessible dépend de plusieurs facteurs : il faut déjà savoir si le gymnase est accessible physiquement ou pas. Ensuite les démarches administratives sont longues et compliquées pour ouvrir officiellement une section d’escrime handisport. Cependant, il est toujours possible de trouver une solution pour accueillir des personnes en situation de handicap dans un club sans avoir ouvert de section. La question du matériel est importante aussi. L’escrime handisport demande un investissement de matériel coûteux. Il est possible de l’emprunter aux comités régionaux, mais le club dépend d’une autre instance, et n’est pas assuré d’avoir accès au matériel en permanence. Après, il est possible d’obtenir des aides pour équiper le club, ou de faire des demandes de sponsoring. Cependant, là encore, il faut compter sur des volontés personnelles.

Circée fait aussi remarquer que l’escrime handisport n’est pas reliée à la Fédération Française d’Escrime (FFE), mais à celle du handisport. Pour elle, l’idéal serait que les fédérations de handisport soient intégrées à celles de leur discipline. Cependant, pour l’instant ce n’est pas possible, car la Fédération Handisport permet notamment de gérer les problématiques liées aux situations de handicap, ce que la FFE ne serait pas apte à faire telle qu’organisée à l’heure actuelle. Il y a cependant des partenariats réguliers entre les fédérations, mais pas assez selon Circée.
On ne voit par exemple jamais la Fédération Française d’Escrime relayer les résultats des compétitions handisport, à part peut-être sur les Jeux Paralympiques, regrette-elle.

« Je pense que les passerelles ont évolué, donc maintenant on va dire qu’il y a le trait des passerelles. Il y a juste les fils, il n’y a pas encore les rondins de bois qui permettraient que la passerelle soit solide. »

Faire connaître le handisport

La sensibilisation autour de l’escrime handisport se développe aussi, notamment au sein des établissements scolaires, ou des structures en lien avec des enfants. « Les enfants adorent que je tire avec [ell]eux » observe Circée, en ajoutant que ces moments de partages autour de l’escrime handisport sont des moyens efficaces de sensibiliser la population, puisqu’iels voient la « vraie sportive », au contraire de certaines actions uniquement centrées sur le handicap.

Mais cela reste dépendant de volontés personnelles, notamment des professeur·es et enseignant·es, pour le milieu scolaire. La couverture médiatique de la discipline est aussi différente pour les compétitions valides et handisports.
« À quel moment tu entends parler d’une compétition sportive handi ? » me demande-t-elle. On n’entend jamais parler de l’escrime handisport en dehors des Jeux Paralympiques, et de manière générale, le handisport est beaucoup moins bien traité que le sport valide. On peut principalement noter le scandale des derniers Jeux de Rio où une partie de l’argent destiné à l’organisation des Jeux Paralympiques avait été utilisée pour celle des Jeux Olympiques.
Circée reste optimiste, et explique qu’il y a des améliorations, mais que pour l’instant la différence de traitement entre le sport valide et le handisport reste importante.

La première étape pour Circée, est de reconnaître le handisport d’abord comme un sport.

« Souvent quand on parle de sport handi, on parle même pas de sport en fait, c’est les handi, on est pas vu comme des athlètes. Ce qui est mis en avant en premier c’est le handicap. […] On est des athlètes comme les autres. »

Il faudrait organiser des actions de sensibilisation intégrées aux autres pratiques sportives, ne pas cantonner le handisport avec le handisport, mais au contraire intégrer les handisports aux manifestations sportives de leur discipline.
Il faut faire connaître le handisport, insiste Circée, car le problème est bien là, la plupart des gens n’ont pas conscience que cela existe. Le rôle des médias est ici évidemment essentiel, mais chacun·e a un rôle à jouer.

« C’est les petites choses qui font les grandes choses » rappelle Circée.

Circée lors d’une démonstration d’escrime handisport dans un supermarché.

Circée note aussi qu’il est difficile de s’atteler au problème du handisport sans s’atteler au problème du handicap, et là encore, il y a énormément de choses à changer dans la façon dont le sujet est abordé.

« On a un peu trop tendance à mon goût à parler uniquement de l’accessibilité. C’est très important l’accessibilité, je suis d’accord. Mais moi je ne me résume pas à ça, et c’est pas le seul problème que j’ai dans ma vie. »

Circée énumère différents sujets qui pourraient être traités, en lien avec le handicap, autres que l’accessibilité. Le handisport évidemment, mais aussi l’égalité homme/femme, les sexualités, les luttes LGBT+, car le problème des représentation existe aussi chez les personnes en situation de handicap. « On est réduit·es uniquement au problème du handicap. […] On est trop dans une case. […] Tout est clivé. »

« Une fois que tu es handicapé·e, tu perds toutes tes autres identités. »

Chacun·e est dans une case, selon sa « différence » mais les cases ne sont pas liées entre elles, on ne crée pas de lien entre les gens.

On associe aussi souvent le fait que le handicap serait quelque chose à « dépasser », et que le sport aiderait à cela. Pour Circée ce n’est pas le cas. Elle explique que les sportifes handisport qu’elle côtoie ne se voient pas comme personnes en situation de handicap, ils se voient comme des athlètes.

« Je pense que ça peut aider à trouver sa place et à trouver quelque chose qui te fasse du bien, mais comme pour un valide. […] Moi l’escrime m’a aidée […] ça m’a aidé à trouver ma place, à trouver une place, à trouver quelque chose qui me plaisait et du coup à m’engager là dedans. Mais je pense qu’il faut faire attention en disant ça parce que […] c’est un peu réducteur de dire que ça aide à dépasser le handicap. »

Photographie de Circée Peloux, en pleine concentration pendant une compétition.

Le sponsoring, élément essentiel de la vie sportive

Les athlètes, en situation de handicap ou valides, doivent dans la grande majorité des cas faire appel à des sponsors pour mener à bien leur pratique sportive.

Tout le monde est en recherche de sponsoring car tou·tes les athlètes ne sont pas soutenu·es financièrement par leur fédération, même en Équipe de France iels ne sont pas constamment rémunéré·es. Une partie des frais est en général prise en charge, notamment les déplacements, mais le reste reste à la charge de læ sportife. Les athlètes handisport ont en plus bien souvent des coûts supérieurs aux athlètes valides, notamment pour ce qui est des déplacements, car beaucoup ne peuvent pas effectuer les déplacements seul·es. Les athlètes handisports sont aussi parfois en invalidité, ce qui ne leur permet pas d’avoir un emploi qui pourrait aider à subvenir aux besoins financiers de la pratique sportive. Tout dépend des personnes, des handicaps, « les gens ont tendance à oublier cela ».

Circée explique qu’il est assez difficile de trouver un sponsor dans le milieu de l’escrime car c’est un sport très peu médiatisé et donc très peu visible, et que cette difficulté est encore évidemment plus importante dans l’escrime handisport puisqu’il est encore moins présent dans les médias. Et trouver un sponsor quand on est une femme est encore plus complexe.
C’est pourquoi Circée a créé avec une de ses amies une association, L’Épée de Circée, destinée, entre autres, à aider les sportifes à trouver des sponsors.
Il est possible notamment de travailler sur le sponsoring en proposant des contreparties liées à des démonstrations sportives ou à de la sensibilisation au handisport.

Photographie du premier podium de Circée, lors des championnats de France d’escrime handisports, qui ont eu lieu à Lyon en juin 2016.

L’escrime, un monde sexiste ?

Des différences de traitements selon le genre

« C’est à changer dans la tête des gens que les filles ne sont pas “des filles”, ce sont des athlètes […] elles sont des sportives comme n’importe qui. »

Circée se souvient notamment d’une compétition d’escrime à destination des valides à laquelle elle avait participé, où les hommes étaient classés par niveau de pratique, et les femmes n’avaient qu’une seule catégorie, une sorte de « niveau filles », comme s’il n’y avait pas de disparités de niveaux. Cela entraînait une injustice dans la constitution des équipes, puisque certaines étaient composées presque intégralement d’athlètes d’un excellent niveau, alors que d’autres non.

Circée n’est pas la seule à se rendre compte des inégalités de traitement selon le genre au sein de l’escrime handisport. Les femmes partagent régulièrement ce ressenti, mais quand le sujet est évoqué avec les hommes, ceux-ci expliquent ne pas voir ce genre de comportement autour d’eux. Cependant, les différences de traitement sont à tous les niveaux, on peut par exemple voir que la proportion de femmes en Équipe de France est bien moindre que celle des hommes. Pour Circée, cela ne s’explique pas seulement par le niveau des personnes.

« S‘il n’y a qu’une question de niveau, c’est peut-être parce que le niveau on ne leur permet pas de l’avoir au départ. »

Et au niveau de la représentation dans les instances, il y a désormais plus de femmes, 5 sur les 13 personnes composant la commission escrime.

Qu’en est-il de la mixité ?

Sur certaines compétitions amicales, la mixité est de mise. En revanche, à partir d’un niveau national, hommes et femmes sont séparé·es. Mais Circée explique que, si elle est en faveur de la mixité sur les autres plans, en compétition son avis est différent. La mixité entraîne des inégalités de force, et si en technique les femmes valent très bien les hommes, ceux-ci ont une force plus développée et une agressivité qui biaise les affrontements. « C’est des a priori et en même temps des réalités » explique-t-elle.

Cependant, contrairement aux compétitions valides qui organisent des compétitions hommes et des compétitions femmes séparées, dans l’escrime handisport, si les catégories sont différenciées, les compétitions ont lieu en même temps, ce qui permet une autre forme de mixité pour Circée.

Quelles actions pour aller vers l’égalité des genres ?

Circée explique que la seule initiative en faveur des femmes dans l’escrime handisport sont les actions mises en place pour la lutte contre le cancer du sein. Seulement, c’est encore une fois un moment où l’on voit la femme uniquement comme malade. Il est important que ces actions existent, mais selon elle ce n’est pas le type d’action qui va amener vers l’égalité femmes/hommes.

Mais faire évoluer les choses peut être très compliqué. Le premier endroit où travailler est selon elle l’éducation.
De manière générale, il faut développer la représentation et la présence des athlètes femmes pour œuvrer en direction de l’égalité. Par exemple, faire attention à la parité lors des démonstrations sportives, inclure le sport féminin dans les manifestations de sport de façon générale, et en parler aux enfants, leur donner des modèles sportifs autres que masculins. Elle explique que beaucoup d’enfants ne savent même pas qu’ils peuvent aller voir du basket féminin par exemple.

Tout comme la visibilité du handisport ne passera pas uniquement par des manifestations dédiées au handisport, il est nécessaire selon Circée, de ne pas se focaliser uniquement sur la création d’évènements de sport féminin, mais aussi d’inclure ces sportives de manière paritaire dans les évènements.

Quels objectifs pour la suite ?

Pour l’instant, Circée n’a pas encore fait partie de l’Équipe de France. Elle souhaite donc être sélectionnée pour les grands évènements : championnats d’Europe, du Monde et les prochains Jeux Paralympiques. Les objectifs sportifs se déclinent souvent par olympiades, pour Circée c’est aussi le cas, notamment parce que sa maladie évolue et qu’elle ne souhaite pour l’instant pas se projeter encore après les jeux de Tokyo. Mais avant tout, elle souhaite continuer à parcourir le monde et à rencontrer de nouvelles personnes.

Son meilleur souvenir est d’ailleurs sa première Coupe du Monde à Varsovie, et les rencontres qui se sont faites à ce moment. Même sans parler la même langue il est toujours possible de communiquer, et d’échanger…

« Mon objectif c’est d’aller le plus haut que je pourrais, le plus longtemps possible. »

Photographie de Circée en robe rouge, assise sur son fauteuil roulant, en bord de mer.