
Cet article constitue une version traduite, condensée et abrégée du mémoire de recherche intitulé « Queering Video Games - Marginalized Identities in Animal Crossing: New Leaf », réalisé et soutenu dans le cadre du master d’études sur le genre de l’université Bordeaux Montaigne en 2019. Il présente la genèse, les principaux axes de réflexion et conclusions de ce travail de recherche.
« Queer » est un adjectif polysémique. Dans le cadre de mon travail de recherche, il désigne les pratiques socio-culturelles non-conformes aux normes en vigueur dans la société occidentale blanche. Il peut ainsi englober les performances propres à la communauté LGBTQIAP+, aux personnes racisées, en situation de handicap, à celles susceptibles d’être discriminées pour leur jeune et leur grand âge, ou encore aux individu·es touché·es par la grossophobie. Queer n’est toutefois pas une étiquette que l’on peut appliquer à des individu·es sans qu’iels l’aient revendiquée. Il ne s’agit pas d’affirmer que toutes les personnes racisées sont queer, mais que toutes ont la légitimité de revendiquer ce terme pour désigner leurs pratiques afin d’opérer une convergence des luttes. En somme, il s’applique aux expériences marginalisées et comporte une dimension politique. Queer désigne une posture militante.
Nos vies sont jalonnées par des rites de passage. Ces paliers nous offrent un temps d’introspection, ils nous permettent de donner un sens à notre parcours. Nous en profitons pour regarder en arrière, réinterpréter les événements qui nous ont menés là où nous sommes, et définir une nouvelle trajectoire. C’est un travail de mémoire qui nous induit souvent à penser notre histoire individuelle avec une approche déterministe. À force de relire notre genèse, nous la réécrivons. Nous identifions, a posteriori, des signes précurseurs de ce qui allait advenir.
Nous passons notre existence à nous demander : qui suis-je ? Les personnes qui appartiennent à des minorités sociales interrogent peut-être encore davantage leur identité. Cet examen inquisiteur est parfois imposé par notre entourage. « Quand as-tu compris que tu étais pansexuel·le ? Quand as-tu commencé à te définir comme non-binaire ? »
sont ainsi des questions auxquelles il m’a été demandé de répondre.
La rédaction de mon mémoire a coïncidé avec une période charnière de ma vie. J’ai replongé dans mes souvenirs d’enfance. Je me suis rappelé·e que j’ai commencé à jouer aux jeux vidéo chez ma nourrice. Elle avait deux filles plus âgées et de nombreuses consoles : la Nintendo NES, la Game Boy, la Game Boy Color, la PlayStation 1, et un ordinateur fixe. J’ai fait mes premières gammes sur Duck Hunt, Tetris, Kirby’s Dream Land, Super Mario Land DX et Adibou. Je détestais Rayman et Pac-Man. Le premier était probablement trop difficile pour mon âge, le second générait un stress excessif. J’avais huit ans lorsque ma mère m’a offert ma première console de jeu : la Nintendo Advance SP. Je reçus plus tard la Nintendo DS Lite et, avec elle, Animal Crossing: Wild World.
Ces détails peuvent sembler anecdotiques. Ils sont pourtant déterminants au regard des conclusions de la thèse [1] soutenue par Frédérique Krupa, professeure en Transdisciplinary New Media à l’École des Arts de la Sorbonne et doctorante à Paris 1, qui travaille sur le genre, le design et la technologie. Ses recherches ont permis de démontrer que les enfants assignés fille à la naissance ont accès à moins d’équipements vidéoludiques que les enfants assignés garçon. [2] Elle relève également que les filles sont moins susceptibles d’avoir accès à un réseau constitué de paires, c’est-à-dire d’autres joueuses, qui permettrait de maintenir leur intérêt pour le medium vidéoludique. [3] Ces éléments sont selon elle des freins qui participent à la sous-représentation et au manque d’engagement professionnel des femmes dans le secteur des nouvelles technologies. Mon parcours semble ainsi faire figure d’exception.
À l’époque, je jouais souvent à Animal Crossing avec deux ami·e·s proches. Nous « l’ignorions » alors mais, aujourd’hui, iels appartiennent également à la communauté LGBTQIAP+. En me remémorant ces souvenirs, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que les jeux vidéo, et celui-ci en particulier, avaient joué un rôle dans la construction de mon identité. J’avais la certitude qu’Animal Crossing était un jeu queer sans pour autant être en mesure de l’expliquer. J’ai décidé d’étudier Animal Crossing pour vérifier cette intuition.
Lorsque j’ai commencé à étudier cette licence (c’est-à-dire la franchise Animal Crossing) pour mon mémoire de recherche, je me suis heurté·e au scepticisme et au dédain de certains interlocuteurs. D’une part, les jeux vidéo sont souvent considérés comme un divertissement enfantin aussi bien en dedans qu’en dehors du milieu universitaire. La culture populaire dans son ensemble souffre encore d’un certain élitisme et inspire de la défiance. J’étais, d’autre part, perçu·e comme une femme – autant dire une anomalie – opérant des recherches dans un domaine dominé par des hommes. Pour ne rien arranger, j’avais choisi de consacrer mon travail à un jeu de fille. Ma légitimité de chercheureuse et de joueureuse était remise en question. Comble de l’hérésie : j’étais masterant·e en gender studies, une discipline encore méconnue voire méprisée en France.
On me demandait régulièrement de justifier ma connaissance du médium vidéoludique. On réclamait que je nomme les titres sérieux auxquels j’avais joué et le nombre d’heures de jeu que j’avais à mon actif. Un de mes pairs et proche ami, qui effectuait son mémoire sur la licence Pokemon, m’a confirmé qu’il n’avait pas rencontré ces obstacles et que sa légitimité n’avait jamais été interrogée. Paradoxalement, ces résistances m’ont aidé·e dans mes recherches.
En tant que champ d’étude universitaire, les études féministes emploient des méthodes interdisciplinaires afin de remettre l’expérience des minorités sociales au cœur de leurs recherches tout en examinant les mécanismes de (dé/re)construction de normes socio-culturelles. J’ai eu recours à cette approche afin de comprendre la relation qu’entretiennent les minorités sociales avec l’industrie vidéoludique, et vice versa. L’expression minorités sociales ne désigne pas seulement les femmes mais aussi les personnes LGBTQIAP+, les personnes racisées, les personnes en situation de handicap ou encore les personnes grosses. J’ajoute à cette liste les personnes issues de la classe ouvrière.
Pour vérifier mon intuition concernant la dimension queer d’Animal Crossing, je me suis posé·e plusieurs questions. Animal Crossing offre-t-il un espace sain propice à la performativité des identités marginalisées ? Est-il possible de se réapproprier un jeu qui n’aurait pas été conçu pour être inclusif ? J’ai commencé par réaliser un état des lieux de la recherche en game studies afin de prendre connaissance de ce que les universitaires avaient déjà établi et de trouver les limites de leurs conclusions pour faire progresser la recherche. Dans un deuxième temps, j’ai réalisé une étude de cas d’Animal Crossing: New Leaf. J’ai d’abord analysé le character design pour déterminer comment les minorités sociales étaient représentées. J’ai ensuite étudié la manière dont ce titre a été développé et marketé afin de comprendre l’influence de la chaîne de production sur sa réception commerciale. Enfin, je me suis intéressé·e aux stratégies de résistance queer qui permettent l’émergence d’une contre-culture vidéoludique.
Selon la définition des auteurices de Understanding Video Games: The Essential Introduction (2012), Simon Egenfeldt-Nielsen, Jonas Heide Smith et Susana Pajares Tosca, la ludologie et la narratologie sont des approches formalistes du medium vidéoludique. Ces deux perspectives se sont longtemps affrontées dans le champs des game studies. Frans Mäyrä les résume comme suit : la narratologie relève de la semiosis et consiste à faire sens des messages et des représentations, tandis que la ludologie appartient à la ludosis et consiste à faire sens des actions autorisées par les mécaniques de jeu. La narratologie implique essentiellement l’étude des scénarios et les enjeux de représentation tandis que la ludologie s’intéresse aux dynamiques entre les règles du jeu et les stratégies qui permette de les satisfaire ou de s’en affranchir. Les ludologistes reprochent parfois aux narratologistes d’étudier les jeux vidéo comme la somme de média culturels anciens plutôt que de les considérer comme un nouveau medium à part entière. La particularité des jeux vidéo réside en effet dans le gameplay qui permet des interactions complexes entre les joueureuses et le jeu. De leur côté, les narratologistes considèrent qu’abandonner l’étude des représentations reviendrait à nier la responsabilité de l’industrie vidéoludique dans la perpétuation de normes socio-culturelles oppressives.
Ces tensions entre deux écoles universitaires sont corrélées à une tension au sein de la communauté des joueureuses même. Comme l’explique Braxton Soderman dans son article « No time to dream: Killing time, casual games, and gender » [4], la hiérarchie entre le hardcore et le casual gaming est liée à ces perspectives : « en game studies, les éléments narratifs et visuels sont dévalués tandis que les mécaniques de jeux sont valorisées et considérées comme l’essence et la définition même du medium vidéoludique. C’est l’une des conséquences du débat entre les narratologistes et les ludologistes qui a introduit l’idée que les enjeux de représentation relevaient du casual, c’est-à-dire du contingent / secondaire, tandis que le gameplay relèverait du hardcore, soit de la forme la plus pure (la quintessence) du jeu. »
[5]En vérité, ces deux aspects des jeux vidéo pourvoient des outils d’oppression et de résistance. L’étude des jeux vidéo requiert d’avoir recours à des méthodes d’analyse plurielles. Il me paraît paradoxal de vouloir introduire une binarité/dualité alors que nous cherchons à introduire davantage d’inclusivité dans la culture vidéoludique. Les joueureuses expérimentent les jeux vidéo à travers leurs scénarios ET leur gameplay. Ces deux aspects de l’étude des jeux vidéo me paraissent indissociables. Laisser l’une ou l’autre de côté n’offrirait qu’une analyse partielle et biaisée.
Animal Crossing ne bénéficie pas de la même notoriété que des licences comme Pokemon ou Mario. Pourtant, depuis la sortie d’Animal Crossing: Wild World sur la Nintendo DS en 2005, son succès ne se dément pas. Il s’agit de la neuvième meilleure vente sur cette console. Animal Crossing: New Leaf, l’épisode suivant, est quant à lui le septième jeu le plus vendu sur la Nintendo 3DS. Il ne s’agit donc définitivement pas d’un petit titre développé par un studio indépendant faisant figure d’outsider. Pourtant, Animal Crossing transgresse les codes traditionnels du jeu vidéo mainstream.
Les pink ou purple games ont une histoire controversée. En 1996, Brenda Laurel créa le studio Purple Moon. Sa démarche s’inscrivait dans le girl games movement. À l’époque, l’industrie vidéoludique ne s’adressait pas aux filles et aux femmes comme à de potentielles consommatrices. Elle conduisit des entretiens avec un large panel de filles afin de prendre connaissance de leurs principaux centres d’intérêt et de les incorporer à ses jeux. Elle vint à la conclusion que ces dernières désiraient des jeux qui leur permettent de développer leur habileté sociale, comme l’aptitude à prendre des décisions dans des contextes où des valeurs morales sont engagées. Brenda Laurel accusa toutefois un retour de bâton de la part d’autres féministes qui considéraient que son approche était essentialiste. Ce modèle devint d’autant plus problématique lorsqu’il fut récupéré par l’industrie vidéoludique traditionnelle qui occulta pour de bon la notion d’empouvoirement.
J’ai analysé le packaging d’Animal Crossing: New Leaf et une demi douzaine de publicités diffusées sur des chaînes de télévision en France, en Australie, en Grande Bretagne et au Japon afin de déterminer si la stratégie marketing de Nintendo s’adressait davantage aux filles qu’aux garçons. La segmentation de produit est une pratique qui consiste à adapter des produits et la manière dont ils sont promus afin de s’adresser à une clientèle précise. De nombreux critères, dont notamment le genre et l’âge, entrent alors en compte.
Lorsqu’on s’intéresse de près aux illustrations de la boîte de jeu, on s’aperçoit que les couleurs dominantes sont le bleu, le vert et le marron, c’est-à-dire des couleurs traditionnellement assimilées à la masculinité. La couleur rose est principalement présente dans le character design de personnages féminins. Bien que les personnages joueurs féminins et masculins soient tous les deux représentés, on constate que l’avatar masculin semble plus grand que le féminin alors qu’ils se situent au même plan de l’image et que tous les avatars font la même taille dans le jeu. L’avatar masculin est le point de convergence des lignes directrices dans la composition de l’image. Il occupe ainsi un rôle plus important, la figure du joueur par défaut.
Dans Animal Crossing: New Leaf, seul le premier personnage créé obtient le statut de maire et est habilité à prendre des décisions concernant les équipements publics. C’est ainsi le personnage masculin qui occupe la position de pouvoir sur la jaquette du jeu. Le personnage féminin est quant à lui ramené à la sphère domestique et à l’aménagement intérieur. La binarité se retrouve également chez Serge et Risette, les alpagas respectivement bleu et rose, l’un des seuls couples du jeu avec Amiral et Liliane. Leur character design renvoie directement à une visions hétéronormée et cisnormée. Les actions qu’ils performent renforcent cette impression puisque Serge occupe un rôle actif, il bricole, tandis que Risette fait la conversation.
Sans rentrer dans les détails, les publicités télévisées opèrent la même ségrégation entre les rôles assignés aux personnages féminins et masculins. Animal Crossing: New Leaf apparaît ainsi comme un jeu susceptible d’encourager et de renforcer une vision binaire du genre. Il ne s’adresse cependant pas exclusivement à un public féminin.
Il faut toutefois garder une chose à l’esprit pour tirer des conclusions pertinentes de cette analyse : il s’agit de différencier les acheteurices du jeu de leurs consommateurices. Les principaux publics ciblés sont les enfants et les jeunes adultes. Il convient donc d’admettre que les publicités pour enfants, comme l’exemple ci-dessus, s’adressent davantage aux parents dont le rôle est déterminant dans l’achat du jeu. Ces publicités envoient un message rassurant ancré dans la tradition, elles garantissent qu’Animal Crossing: New Leaf n’est pas un jeu subversif susceptible d’avoir une « mauvaise influence » sur le développement de leurs enfants. Les publicités adressées aux jeunes adultes sont moins marquées par la binarité. Bien qu’elles n’en soient pas totalement exemptes, les marqueurs sont plus subtils.
Les stratégies marketing des produits destinés aux enfants sont paradoxales. Comme l’explique Frédérique Krupa : « Fisher-Thomson (1993) a découvert que les fabricants de jouets choisissaient des couleurs genrées en fonction des attentes des parents acheteurs. Alors que les filles réclamaient du violet, du noir et de l’argenté, les fabricants ignorèrent leur souhait car ils redoutaient que les parents trouvent ces couleurs trop adultes. »
[6]Frédérique Krupa résume ainsi en des termes simples la dynamique marchande à l’origine de la segmentation de produits par le genre : « Les fabricants de jeux ont commencé à genrer leurs produits en espérant ainsi réduire la réutilisation des équipements comme les bicyclettes, les jouets et les jeux au sein d’une même famille afin d'accroître les ventes. Cette stratégie toxique renforce les stéréotypes et d’autres fables qui encouragent la hiérarchisation des individus par le genre. »
[7]Les publicités télévisées et le packaging d’Animal Crossing ne sont par conséquent pas représentatifs des joueureuses, de leurs attentes et de leurs pratiques vidéoludiques. Ils correspondent aux normes socio-culturelles et ne représentent pas la diversité des possibilités qu’offre le gameplay de ce titre. Cette stratégie marketing ne rend pas compte de l’inscription d’Animal Crossing: New Leaf dans une contre-culture vidéoludique queer.
La part des joueureuses ayant acheté la Nintendo 3DS dans le seul but de jouer à Animal Crossing: New Leaf est une autre preuve du succès de la licence. Il faut garder à l’esprit que cette console demeure assez coûteuse bien qu’il s’agisse de l’une des moins chères du marché.
On remarque également qu’une part considérable des acheteureuses est constituée de femmes âgées de 19 à 34 ans. Pour expliquer ces chiffres, il faut d’abord rappeler que les mineur·es ne peuvent pas décider seul·es d’un achat aussi onéreux et ne reçoivent pas forcément l’autorisation de créer un compte Nintendo en ligne. Cependant ces chiffres s’expliquent également par le succès de l’épisode précédent de la série, c’est-à-dire Animal Crossing: Wild World.
Il y a effectivement une correspondance entre l’âge des joueuses d’Animal Crossing: Wild World et l’âge des acheteuses de New Leaf. La licence parvient ainsi à fidéliser une certaine audience mais pas son entièreté. Il semble que les joueurs aient été beaucoup moins nombreux à acheter le titre de 2012, aussi bien chez les enfants que chez les adultes. On peut partiellement expliquer ce phénomène par la stratégie marketing de Nintendo. En effet, parmi les publicités que j’ai étudiées, celles destinées aux adultes comportaient presque exclusivement un personnage principal féminin. La mise en scène, empreinte de calme et de douceur, faisait assez explicitement appel à la nostalgie des joueuses.
Source des infographies : Ishaan, « A lot of women bought a 3DS for Animal Crossing New Leaf in Japan », Siliconera, 2013.
En 2017, 74 % [8] des développeureuses de jeux vidéo étaient des hommes. La sous-représentation des femmes et des personnes de couleur au sein de l’industrie vidéoludique est fréquemment pointée du doigt pour expliquer la lenteur avec laquelle le medium renouvelle ses scénarios, le character design, et même le gameplay. À l’inverse, les studios indépendants sont pris en exemple lorsqu’il s’agit de dépoussiérer une franchise vieillissante ou d’offrir des conditions de travail plus respectueuses des minorités sociales.
Ces problématiques ont été abordées lors de la Game Developpers Conference [9] (GDC) de 2018 mais force est de constater que cette prise de conscience ne suffit pas pour que des mesures significatives soient prises. En 2014, la International Game Developers Association a lancé son premier sondage annuel quant à la satisfaction des professionnel·les du milieu vis-à-vis de leurs conditions de travail. Cette étude est particulièrement précieuse parce qu’elle offre un aperçu de la représentation des minorités sociales dans l’industrie vidéoludique en prenant en compte la racisation, l’origine géographique, et le genre des sondé·es, y compris les identités transgenres, fluides et non-binaires. On constate à regret que les conclusions de leur premier rapport et celles de 2018 convergent et que les hommes cisgenre blancs sont toujours surreprésentés.
Qui designe les jeux vidéo n’est pas une question anodine. L’étude Do Girls Prefer Games Designed by Girls? [10] parue en 2009 a montré que les filles préfèrent les jeux conçus par d’autres filles. Pour mener cette étude, les chercheureuses à l’origine du projet ont d’abord dirigé des ateliers au cours desquels des groupes d’adolescent·es non-mixtes ont conçu des jeux vidéo. Ces jeux ont ensuite été présentés à un autre panel d’adolescent·es sans qu’on leur précise s’ils avaient été imaginés par un groupe de filles ou de garçons. Les universitaires ont constaté que les jeux vidéo conçus par des filles proposaient de personnaliser davantage son avatar. Ils étaient également plus empathiques à l’égard des adjuvants et des ennemis, et avaient davantage recours à l’humour.
Mary Flanagan [11] était parvenue à des conclusions similaires en 2003, affirmant que « les jeux vidéos conçus par des femmes interrogent les problématiques contemporaines rencontrées dans les média et la culture. Ils commentent des expériences sociales telles que la discrimination, la violence ou le vieillissement tandis que la culture vidéoludique traditionnelle les exploite aveuglément. »
[12]Or, l’équipe qui a conçu Animal Crossing: New Leaf a oeuvré pour s’écarter de ce modèle. Lors de la GDC [13] de 2014, Aya Kyogoku a expliqué comment la diversité de l’équipe de production a été bénéfique à ce titre. Selon elle, la part des femmes et des hommes ayant travaillé sur cet épisode atteignait presque la parité et présentait une certaine diversité en terme d’âges et d’origines sociales. Les concepteurs ont affirmé qu’il leur avait paru nécessaire que leur équipe ressemble le plus possible à leur audience cible. Cette approche a eu des conséquences sur la philosophie du jeu et son gameplay.
Aya Kyogoku explique ainsi qu’Animal Crossing: New Leaf a renoué avec les origines de la licence. Il a été conçu comme un outil de communication intergénérationnel. Son objectif était d’harmoniser les relations humaines dans la vie réelle en permettant aux joueureuses de développer leurs compétences communicationnelles à travers un jeu de simulation social. C’est le rôle que remplissent les bavardages des villageois ainsi que les options en multijoueureuses. Cette approche n’est pas sans similitude avec les conclusions de Brenda Laurel, la conceptrice de jeux vidéo à l’origine du studio Purple Moon que nous évoquions précédemment. En somme, la diversité des équipes de production favorise l'innovation et la complexité des jeux vidéo.
Un peu de théorie sociologique est nécessaire pour appréhender le rôle des jeux vidéo et les enjeux de la représentation dans la construction d’une identité. De nombreuxes chercheureuses considèrent que les individus ne sont pas autonomes dans le processus de création de leur identité mais qu’ils la co-construisent en se conformant plus ou moins à des codes institués par la société. Ces codes sont véhiculés par différentes instances, dont les produits culturels tels que les jeux vidéo.
Teresa de Lauretis, une chercheuse en études queer (entre autres), appréhende le genre « comme (le) produit des technologies sociales variées comme le cinéma et les discours institutionnalisés(…) »
. Elle écrit « que le sujet est en-gendré – c’est-à-dire produit ou construit, et construit-comme-genré – dans le processus d’acceptation et d’identification avec les positions du sujet et avec les effets de sens assignés par le système de genre d’une société donnée. Autrement dit, le sujet social est effectivement en-gendré dans un assujetissement interactif que j’ai appelé les «technologies du genre». [...] par en-gendré, je signifiais que le sujet social était produit ou constitué comme femme ou comme homme, qu’aucune autre alternative n’était donnée ; et que le genre était ainsi inscrit ou implanté dans chaque sujet dès son origine, dès le tout début de la subjectivité, avant même la perception de différences anatomiques. »
Ainsi, le genre et sa performativité sont formés dans un contexte de sociabilité. Les jeux vidéo de simulation sociale multijoueurs apparaissent ainsi comme un outil particulièrement sophistiqué et le théâtre privilégié de ces dynamiques. Or, Animal Crossing est un jeu de simulation sociale multijoueur.
Je considère que le concept de technologies du genre peut être décliné en technologies de la « race » et du handicap. Comme l’explique Marie Garland-Thomson [14], « le handicap, comme la condition féminine, n’est pas un état naturel d’infériorité physique, d’inadéquation, d’excès, ou un coup du sort. » [15] En réalité « le handicap est un récit / une fiction culturellement construite du corps, semblable à ce que nous comprenons comme les fictions de la race et du genre. » [16]
Cette approche est partagée par d’autres théoriciens du jeu vidéo, comme l’anthropologue Tom Boellstorff. Dans Coming of Age in Second Life (2008), il explique pourquoi les jeux vidéo de simulation sociale multijoueurs constituent un espace où l’identité peut être défiée, explorée et réinventée.
Marshall McLuhan, dans « Games as cultural reflection » [17], partage cette perspective. Il justifie ce raisonnement par les travaux de Brian Sutton-Smith qui a établi comment les enfants apprennent des rôles et des règles à travers le jeu. Il s’appuie également sur les recherches de Gregory Bateson qui relève que les réalités alternatives que constituent les jeux brouillent la frontière entre le réel et le fictionnel. Cela signifie que les joueureuses perçoivent les expériences qu’iels vivent par l’intermédiaire des jeux vidéo comme si elles étaient réelles.
Enfin, McLuhan reprend une analyse de Chris Crawford [18] qui démontre que les jeux vidéos peuvent être perçus comme des espaces sûrs où reproduire et expérimenter des situations réelles. En somme, selon Tom Boellstorff, « les mondes virtuels pourraient être des tiers-lieux affranchis de la dichotomie entre le public et le privé. »
[19] Les jeux de simulation sociale opéreraient comme des sandbox où la violence et le risque d’agression sont allégés par la médiation qu’offrent les jeux vidéo.
Il semble important de rappeler que, quelque soit la représentation d’une identité offerte par un jeu vidéo, les joueureuses sont toujours en mesure d’exercer leur réflexivité pour déterminer du crédit qu’iels lui accorde. C’est ce qu’a démontré Stuart Hall avec son modèle de codage et de décodage des messages. Il établit que les sujets peuvent recevoir un message de trois manières différentes en fonction de leurs origines sociales et de leur capital culturel : adhérer au message hégémonique/dominant, adopter un positionnement négocié, ou simplement le rejeter et adopter une posture oppositionnelle. En somme, les joueureuses sont capables d’exercer leur agentivité au moment de la réception des messages (implicites ou explicites) contenus dans les jeux vidéo.
On retrouve cette agentivité dans les relectures queer opérées par les joueureuses elleux-mêmes. La culture vidéoludique est une culture participative qui autorise voire encourage les détournements. Les fanfictions, les fanarts ou encore les cosplayeureuses qui s’adonnent au cross-dressing en constituent peut-être les exemples les plus répandus et les plus évidents.
Ci-dessus, une fanfiction proposant une romance entre deux personnages masculins d’Animal Crossing.
Blaise et Kéké Laglisse.
Il existe toutefois des mécanismes oppressifs qui dissuadent les minorités sociales d’exercer une performativité queer et d’accéder à la visibilité. Elsa Dorlin parle de « police du genre »
pour caractériser les instances régulatrices qui viennent corriger toute tentative de transgression des normes sociales. Elle identifie les insultes LGBTphobes ainsi que d’autres formes de discrimination comme des outils de polissage du genre et d’assimilation.
Ci-dessus, des captures d’écran présentant des exemples de situations où la police du genre intervient pour rappeler au joueur que le cross-dressing n’est pas un acte anodin. Ces commentaires sont dissuasifs.
Il y a 333 villageois·es disponibles dans Animal Crossing: New Leaf si l’on ne tient pas compte des personnages spéciaux et des villageois·es ajouté·es par la mise à jour Welcome Amiibo. Chacun·e d’elleux appartient à l’une des huit catégories qui déterminent leur personnalité. On compte ainsi 161 personnages féminins et 172 personnages masculins, soit des proportions équilibrées, proches de la parité. Des identités de genre alternatives ne sont toutefois pas explicitement représentées. J’ai analysé les couleurs et les attributs secondaires utilisés dans le character design de chacun·e de ces villageois·es afin de déterminer comment les genres « femme » et « homme » étaient représentés.
Il s’est avéré que le bleu était réparti dans des proportions semblables chez les personnages féminins (13 %) et masculins (15 %). Les rose et le violet apparaissent toutefois davantage chez les unes (17 % rose, 8 % violet) que chez les autres (7 % rose, 3 % violet). Il semble donc qu’il soit plus admis de « masculiniser » les personnages féminins que de « féminiser » les personnages masculins. Dans l’ensemble, les couleurs vives (rouge, orange) et sombres (marron, noir), sont plus courantes dans le character design des personnages masculins. Cela peut conduire à les percevoir comme étant plus forts, menaçants, plus sobres, sérieux que les couleurs claires et lumineuses présentes chez les personnages féminins.
Les attributs secondaires témoignent d’une disparité plus importante dans le traitement du genre. Les cils et le fard à joue sont bien plus utilisés sur les personnages féminins (23 % fard à joue, 44 % cils) que sur les personnages masculins (11 % fard à joue, 8 % cils). Ces infographies ne permettent pas de se rendre compte que le fard à paupière n’est pas employé de la même manière sur les personnages masculins (12 %) et féminins (17 %). Sur les premiers, le fard à paupière ressemble davantage à des cernes et tend à leur donner l’air ennuyé, fatigué voire énervé alors qu’il rempli une fonction ornementale sur les secondes. En somme, le maquillage est représenté comme un attribut féminin.
La pilosité faciale est quant à elle un attribut présenté comme masculin : on trouve des sourcils sur 53 % des personnages masculins, des moustaches sur 8 % d’entre eux, contre seulement 10 % de sourcils et 0 % de moustaches sur les personnages féminins.
Lorsque j’analysais les attributs secondaires des villageois·es, j’ai prêté une attention particulière à tout ce qui aurait pu indiquer la représentation d’un handicap visible. Aucun·e d’entre elleux n’était cependant équipé d’un fauteuil roulant ou de prothèses auditives, par exemple. Les seules exceptions notables sont les lunettes et un chien borgne couvert de bandages prénommé Ramsès. Il demeure toutefois impossible de déterminer s’il s’agit simplement d’accessoires ou de dispositifs médicaux. Le cas de Ramsès et de son obsession pour l’Égypte ancienne suggère plutôt un déguisement de momie. On constate ainsi que le handicap est un tabou.
Les personnages spéciaux sont une catégorie particulière de personnages non-joueurs dans Animal Crossing. Iels disposent généralement d’un character design plus sophistiqué, d’une personnalité propre et d’un récit de vie élaboré. Il en existe plus de cinquante mais j’ai décidé de me concentrer sur quelques exemples susceptibles d’éclairer les enjeux de représentation des identités marginalisées.
L’évolution de ce personnage tout au long de la série est intéressante concernant la représentation des classes populaires et la notion de méritocratie. Au fil des épisodes, Tom Nook passe de la classe ouvrière au statut de serial entrepreneur à succès, notamment grâce aux joueureuses qui remboursent consciencieusement leurs prêts pour agrandir leur maison et font des achats fréquents dans sa boutique.
Les personnages spéciaux se confient parfois aux joueureuses, et c’est ainsi que l’on apprend que Tom Nook a autrefois tenté sa chance dans une grande ville avant d’échouer et de revenir dans notre petit village. L’évolution de son style vestimentaire témoigne de son ascension sociale, de propriétaire d’une échoppe insalubre à celui d’agent immobilier couronné de succès.
Son histoire ne s’arrête pas là puisqu’il cède sa franchise à Timmy and Tommy, ses « neveux ». Certains commérages de villageois·e·s rapportent toutefois que les jumeaux seraient en vérité des orphelins abandonnés à la rue qu’il aurait recueillis, leur permettant à leur tour une ascension sociale accélérée. Il y a ici matière à s’interroger sur les valeurs capitalistes portées par le jeu, mais aussi sur les problématiques qui entourent l’adoption. Ici, on pourrait par exemple évoquer le syndrome du héros ainsi que l’exploitation des enfants.
D’une part, Timmy et Tommy ressemblent comme deux gouttes d’eau à leur oncle, ce qui laisse imaginer une possible identification du vieux raton laveur aux deux orphelins. D’autre part, la similitude de leurs prénoms constitue un stéréotype et suggère leur interchangeabilité, une absence d’individualité. Enfin, leur taille et leur comportement dans Animal Crossing: Wild World suggère qu’ils étaient encore des enfants en âge d’aller à l’école lorsque Tom Nook a commencé à les faire travailler pour lui.
Layette, Maria et Cousette ont une histoire assez tragique qui fait écho au prénom de la cadette et aux Misérables de Victor Hugo. Elles étaient encore jeunes lorsque leurs parents sont décédés dans un accident de voiture. Le titre de la franchise et la fréquence à laquelle les hérissons sont fauchés sur les routes prennent ici tout leur sens.
Layette devient ainsi la cheffe de famille et se dispute avec Maria. Après avoir travaillé un temps au bureau de poste du village et après qu’Elisabec lui ait fait remarquer qu'elle ne souriait pas assez aux clients, cette dernière s’en va tenter sa chance en ville. Elle rencontre alors Carla, une célèbre styliste, qui, dans la version anglophone, la renomme « Labelle » au lieu de « Label » pour lui donner une touche française afin que son nom soit plus en accord avec ses ambitions. Se renommer peut relever d’un procédé d’empouvoirement. Toutefois, dans cette configuration, le fait qu’un personnage d’une classe sociale aisée prenne la liberté de renommer un personnage de la classe moyenne s’apparente plutôt à une illustration du mépris de classe.
Dans Animal Crossing: New Leaf, Maria est de retour au village et s’occupe de la section de la boutique familiale dédiée aux accessoires de mode. L’histoire de Maria est ainsi assez semblable à celle de Tom Nook. Deux autres personnages de la série connaissent des destins similaires. Robusto, le pigeon qui tient le café initialement situé au sous-sol du musé, et Blaise, le putois – dont le character design est directement inspiré d’Oliver Twist de Charles Dickens – qui cirait des chaussures dans la rue et qui tient désormais une boutique de chaussures.
On relèvera que les pigeons, les putois et les ratons laveurs ont la réputation d’être des animaux sales dans l’imagerie occidentale. Ceci n’est pas sans conséquences sur l’interprétation que nous sommes susceptibles de faire quant au lien entre la classe sociale d’origine de ces personnages et l’espèce à laquelle ils appartiennent. Il faut toutefois nuancer ce propos en rappelant qu’Animal Crossing est d’abord un jeu vidéo japonais et que le tanuki est un symbole de bonne fortune dans cette culture.
En somme, bien que ces personnages parviennent à atteindre un certain idéal de vie, leur histoire est malgré tout porteuse d’un message assez pessimiste : les ruraux de basse extraction n’ont pas leur place à la ville.
Clara, la girafe styliste, et Sarah, le chameau vendeur de tapis, étaient toutes les deux des hommes dans la version japonaise d’Animal Crossing. Leur transidentité est en réalité le résultat du travail de localisation opéré par la branche américaine de Nintendo. La localisation est un processus d’adaptation d’un produit pour un marché dont les normes socio-culturelles divergent. Il englobe le travail de traduction mais ne s’y réduit pas. Leur transition a probablement été motivée par leur character design qui comporte des attributs traditionnellement perçus comme féminins. Or, le cross-dressing n’est pas une pratique particulièrement acceptée en Occident.
On relèvera également que le personnage de Sarah est problématique à bien des égards. L’espèce à laquelle elle appartient, son prénom ainsi que son métier relèvent de l’orientalisme. Pire encore, dans la version anglophone, les villageois·es se trompent parfois dans l’orthographe de son prénom, comme s’iels peinaient à mémoriser un prénom trop « exotique ». Dans la mesure où le texte a été relu et corrigé avant la sortie du jeu, on peut affirmer sans craindre de se tromper que cette illustration du racisme ordinaire est volontaire. Quant à savoir à quelles fins, cela reste incertain puisqu’il est impossible de corriger les villageois·es pour leur faire remarquer leur erreur.
Roberto est un paon qui apparaît le jour du carnaval. C’est un personnage masculin qui possède la même voix qu’une catégorie de personnages féminins du jeu. Il porte également du maquillage et un collier arc-en-ciel, ce qui tend à faire de lui une icône gay auprès de la communauté LGBTQIAP+. Son orientation sexuelle n’est toutefois jamais évoquée dans le jeu. Il semble ainsi qu’Animal Crossing: New Leaf présente une certaine diversité dissimulée derrière des sous-entendus, des double-sens, des signes et un sous-texte qui ne sont pas forcément accessibles aux personnes qui ne sont pas familières des codes de la communauté LGBTQIAP+.
Ces trois personnages ont également la particularité d’être itinérants. Ils voyagent pour des raisons professionnelles. Peut-être peut-on faire un lien entre cet état d’errance dans l’espace avec leurs identités de genre mouvantes et fluides. On peut y voir une forme de tokenisme, une pratique qui consiste « à faire un geste superficiel pour l’inclusion des membres des groupes minoritaires. Cet effort symbolique est généralement destiné à créer une apparence d’inclusivité et à détourner les accusations de discrimination. »
[20] Ces personnages sont ainsi extrêmement secondaires et n’apparaissent que rarement dans le jeu.
Chausset est l’un des rares personnages qui peut être réellement perçu comme gros. Comme pour les autres personnages, on pourrait toutefois attribuer sa corpulence à sa race puisqu’il s’agit d’un bulldog, tandis que Maret est un akita. On remarque que Chausset n’est pas seulement plus gros que son collègue mais que ses paupières violettes lui donnent également l’air de s’ennuyer ou d’être fatigué. Par ailleurs, Chausset est nerveux et hésitant lorsque qu’un·e joueureuse s’adresse à lui. Cela lui donne l’air incompétent en comparaison du caractère affirmé de Maret. D’après la communauté de fans, Maret confie aux joueureuses qu’il a du mal à s’exprimer parce que l’anglais n’est pas sa langue natale. Ces éléments nous laisse avec des questions sans réponse. Maret pourrait-il être un expatrié ou émigré ? Quoi qu’il en soit, le stéréotype du policier incompétent en surpoids est déjà assez problématique en lui-même puisqu’il perpétue le stéréotype qui associe les personnes grosses à des fainéant·es.
Tortimer, l’ancien maire de la ville, passait le plus clair de son temps à somnoler derrière son bureau dans Animal Crossing: Wild World, donnant ainsi l’impression d’être incompétent tout en demeurant condescendant. Mamiral a beau avoir l’air aussi âgée que lui, cette dernière n’est pas à la retraite pour autant. (Peut-être à cause de l’écart de salaire entre les hommes et les femmes et ses conséquences sur les retraites, mais je m’égare.) Certain·es villageois·es prétendent que Tortimer a fait fortune grâce au marché des navets ou de manière illégale (peut-être bien les deux à la fois, de la contrebande de navets, si si). Toujours est-il qu’il mène désormais une retraite paisible sur l’île qui porte son nom, et dont il semble ainsi être le propriétaire. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Tortimer et Mamiral n’appartiennent a priori pas à la même famille puisque Tortimer est une tortue terrestre tandis que les insulaires sont des tortues marines. Par conséquent, le fait que Tortimer ait acheté l’île est assimilable à du colonialisme.
La présence d’une canne, de cheveux blancs et de rides permet d’identifier rapidement Tortimer, Mamiral et Helium à des personnes âgées. Les personnages masculins susceptibles de représenter des hommes âgés sont relativement nombreux dans Animal Crossing: New Leaf si l’on prend en compte la catégorie de villageois « versatiles ». Leur character design est toutefois moins explicite, à l’exception de Loupiot, disponible dans la version Welcome Amiibo. D’autres personnages masculins âgés sont apparus dans la série, à l’instar de Senseï, le lézard à collerette d’Animal Crossing: Let’s Go to the City.
Mamiral et Porcella sont quant à elles les seules femmes âgées de toute la série. Par ailleurs, les joueureuses n’apprennent que Porcella est une femme âgée qu’après qu’elle leur ait confié vendre des navets depuis soixante ans. L’agéisme et les tabous qui entourent le vieillissement sont ainsi particulièrement présents lorsqu’ils se combinent à du sexisme.
Le rôle des personnages joueurs dans Animal Crossing est particulièrement important quant à la construction des identités. Ces avatars ne permettent pas simplement de s’adonner au role-play, qui consisterait à jouer un rôle que l’on se donne dans un jeu, comme celui d’un sorcier par exemple. Ils permettent ce que Tom Boellstorff identifie comme du persona-play, soit la possibilité de jouer son propre rôle, d’incarner une version de soi-même, et de réinventer son moi-réel en passant par la médiation vidéoludique avant de l’exporter et d’adopter sa nouvelle identité dans le monde réel.
À cet égard, les fonctionnalités qui permettent de définir le genre (binaire) de son personnage, son nom et quelques attributs secondaires sont importants. Qu’en est-il de la racisation ? Dans Animal Crossing: New Leaf, les joueureuses ont la possibilité de faire bronzer leur avatar en s’exposant plusieurs heures au soleil. Cinq tons sont ainsi disponibles, mais le bronzage s’estompe s’il n’est pas entretenu. Il s’agit d’un procédé extrêmement chronophage. Rappelons par ailleurs qu’être bronzé·e et être noir·e, ce n’est pas la même chose… Afin d’obtenir un avatar racisé, les joueureuses peuvent également se procurer un masque de Mii auprès de Ginette, l’un des personnages spéciaux de la série. Cette mécanique de jeu qui oblige à fournir des efforts supplémentaires pour obtenir un personnage à son image est discriminatoire.
Il aura finalement fallu attendre la sortie d’Animal Crossing: Pocket Camp pour être en mesure de réellement choisir la couleur de peau de son avatar. Fort heureusement, cette correction a été durablement incorporée à la série et cette option figurera également dans l’épisode Animal Crossing: New Horizons, dont la sortie est prévue en mars 2020.
Cette nouvelle fonctionnalité peut néanmoins apporter son lot de dérives. Lisa Nakamura, une chercheuse Américaine, a ainsi théorisé la notion d’identity tourism. Elle l’utilise pour décrire un processus qui permet aux joueurs de s’approprier une identité qui n’est pas la leur. Il peut s’agir d’une identité de genre (femme/homme/autre) ou d’une ethnie. Elle explique que cette pratique peut entraîner la marchandisation et la standardisation de certaines cultures, au point de les réduire à des stéréotypes. On peut alors parler d’appropriation culturelle et de digital black face. En somme, les personnes blanches devraient s’abstenir de créer un personnage de couleur dans le cadre du role-play ou du persona-play.
Les enjeux ne sont pas les mêmes lorsque le personnage principal d’un jeu vidéo est racisé puisqu’on peut espérer qu’il a été designé pour s’émanciper des stéréotypes, qu’il a été conçu par des personnes qui partagent ses origines, et qu’il représente ainsi fidèlement l’une des facettes de la communauté qui l’a façonné. Or, ce n’est pas le cas dans un jeu de simulation sociale comme Animal Crossing.
À l’issue de cette analyse brève et partielle de la représentation des minorités sociales dans Animal Crossing: New Leaf, on peut décemment conclure que ce titre ne pousse pas l’inclusivité très loin et repose encore sur des stéréotypes et le tokenisme. Cela n’enlève rien à l’agentivité des joueureuses qui peuvent choisir d’effectuer des contre-lectures ou des relectures des contenus problématiques. Si l’aspect queer d’Animal Crossing ne se rencontre pas véritablement dans les éléments qui relèvent de la narratologie, il se trouve alors peut-être dans son gameplay.
Pour rappel, le gameplay désigne les mécaniques de jeux et les règles qui régissent les capacités d'interactions des joueureuses.
L’adjectif « queer » peut être traduit par « étrange » ou « tordu ». Il s’agit initialement d’un terme stigmatisant qui englobe l’ensemble des minorités sexuelles et de genres. La communauté LGBTQIAP+ se l’est cependant réapproprié. C’est un terme controversé et polysémique dont il existe plusieurs définitions. Ce terme parapluie fait partie du vocabulaire militant du féminisme intersectionnel.
Le design narratif permet aux joueureuses de comprendre l’histoire à laquelle iels participent ou de construire la leur en déviant plus ou moins du scénario initial en fonction de l’agentivité offerte par les ramifications intradiégétiques. Je me réfère aux recommandations de E.Y. Chang [21] quant aux moyens d’inscrire un jeu et ses pratiques de jeu dans une contre-culture vidéoludique. Selon lui, le design narratif queer exploite l’expérience des personnes LGBTQIAP+ plutôt que des codes vestimentaires ou des performances stéréotypées. Il n’utilise pas pour seul axe la sexualité et les relations amoureuses. Le gameplay queer s’émancipe également de l’injonction de tuer et de passer au niveau supérieur. Les jeux vidéo queer constituent une réparation et une réponse au manque de représentations queer.
L’environnement occupe une place importante dans les jeux vidéo. Il participe à la cohérence de l’expérience de jeu et détermine une part conséquente du gameplay. La manière dont il est représenté, les déplacements possibles ou non dans l’espace ainsi que les interactions qu’il offre aux joueureuses sont porteurs de sens. Ils indiquent les valeurs et la philosophie du jeu. On trouve ainsi des leitmotiv, des topos ou des lieux communs dans les jeux vidéo comme en littérature, c’est-à-dire des thèmes récurrents au point de devenir la norme et d’être naturalisés.
Ces héritages participent au pacte de lecture entre le jeu et les joueureuses, ils permettent de reconnaître instantanément les codes d’un genre vidéoludique. Ce sont des repères qui garantissent certaines qualités du contenu et qu’il est difficile de remettre en question. Les amateurices de jeux d’aventure, comme les lecteurices de polars, se présentent devant leur medium de prédilection avec des attentes qu’iels espèrent voir satisfaites. Pour les concepteurices de jeux vidéo comme pour les auteurices, s’écarter des codes traditionnels d’un genre pour le renouveler constitue une prise de risque.
Animal Crossing apparaît comme un objet hybride qui joue habilement avec les codes de l’industrie vidéoludique et les transgresse jusqu’à l’absurde. Il s’inscrit par bien des aspects dans une contre-culture vidéoludique. Parmi les expressions les plus significatives de cette dynamique, on peut mentionner son environnement à taille humaine qui va à contre-courant de la tendance aux mondes ouverts qui prévaut actuellement. Ce parti pris remet les joueureuses au cœur du jeu et relègue les quêtes au second plan, là où les triple A ont tendance à faire l’inverse, c’est-à-dire à multiplier les quêtes pour retenir les joueureuses le plus longtemps possible et encourager les microtransactions.
Animal Crossing n’est pas un jeu dépourvu d’objectifs, contrairement à ce qu’une analyse superficielle pourrait laisser croire. Le jeu fourmille de quêtes, qu’il s’agisse de compléter la collection de fossiles du musée, de rembourser l’intégralité du prêt pour sa maison ou encore d’obtenir la ville parfaite, etc. Il n’y a cependant pas d’urgence à remplir une quête plutôt qu’une autre, ni d’ordre à respecter. Les joueureuses bénéficient d’une grande agentivité. Le petit format de la carte fluidifie l’action et permet de passer facilement d’une tâche à une autre. En somme, l’environnement condense l’action autour des joueureuses plutôt que de les obliger à courir en tous sens, au risque de se perdre, d’une perte de temps et de sens.
L’environnement fait souvent figure d’ennemi ou du moins d’opposant dans les jeux vidéo. Il freine la progression des joueureuses, dissimule des pièges et des obstacles à surmonter. Animal Crossing en prend le contre-pied. L’action se déroule dans une campagne paisible plutôt que dans une ville fantôme inquiétante ou un ghetto gangréné par la violence et le crime. La nature est amicale au lieu d’être un désert ou une jungle hostile. Les interactions avec l’environnement ne sont pas conçues dans une perspective de conquête ou de domination. Une fois la première heure de jeu passée, l’exploration laisse rapidement place à un sentiment de familiarité.
Le spectaculaire est abandonné tandis que l’ordinaire et le quotidien sont sublimés. Animal Crossing encourage les joueureuses à respecter leur écosystème pour en tirer le plus de bénéfices possibles et à convoiter l’harmonie plutôt que le profit. On se situe en dehors des logiques de destruction sans pour autant se transformer en promoteur immobilier, en paysagiste ou en décorateur d’intérieur, comme ce peut être le cas dans d’autres jeux de simulation sociale. L’environnement d’Animal Crossing affranchit les joueureuses de l’injonction à être héroïques, compétent·es ou productifes. L’utilitaire cède sa place à la gratuité. Les joueureuses sont guidé·es par leurs désirs plutôt que par les impératifs d’un scénario lourd et tortueux. N’est-ce pas le principe même de l’action ludique d’être désintéressée ?
Cela ne signifie pas pour autant que les joueureuses sont dépourvus de pouvoir. Iels disposent d’une capacité d’action conséquente sur l’environnement et ce précisément parce que les joueureuses sont le moteur de l’action, et non l’environnement. Les joueureuses établissent elleux-mêmes leurs objectifs et leurs priorités parmi le large éventail mis à leur disposition, et la peur de l’échec s’en trouve anéantie. La plupart des jeux reposent sur le conflit et la compétition tandis qu’Animal Crossing favorise la communication et la coopération.
Animal Crossing donne l’illusion d’être un jeu futile alors qu’il propose justement de recentrer notre attention sur ce qui nous importe réellement. Il ne s’agit pas de restaurer notre honneur ou de nous venger, de nous faire craindre pour obtenir le respect, mais de tisser des liens avec ce qui nous entoure et d’éprouver un sentiment de plénitude dans la satisfaction de besoins aussi simples et innocents que vitaux. Animal Crossing n’est pas un jeu de farniente mais d’introspection, de contemplation et de cicatrisation. Il contrevient à l’idée que la vie doit être un combat pour avoir du sens et a recours à l’humour et à l’absurde en faisant voler en éclat le quatrième mur pour désamorcer les tensions.
Pour autant, Animal Crossing n’est pas un jeu éducatif prompt à donner de grandes leçons de vie. L’interface de jeu minimale, l’apparente futilité des dialogues, l’absence de niveaux, de jauge de vie ou de cinématiques dramatiques permet à chacun·e d’en faire sa propre lecture. Ce sont tous ces éléments qui constitue le gameplay queer d’Animal Crossing et qui autorisent les minorités sociales à se l’approprier.
Certains éléments qui entrent en compte dans le gameplay d’un jeu vidéo sont rarement abordés dans toute leur complexité et parfois sous exploités. Les sons et la gestion du temps font partie de ces architectes invisibles et pourtant fondamentaux. Ainsi, les bruitages off-screen (en dehors du champ de vision) servent à nous renseigner sur l’environnement qui s’apprête à surgir du côté de l’écran vers lequel nous avançons. Dans la culture vidéoludique dominante, les bruitages off-screen servent souvent à mieux nous tromper, à nous déstabiliser pour faire monter l’adrénaline et nous plonger dans un état d’hypervigilance.
Les bruitages d’Animal Crossing remplissent une fonction différente. Ce sont des outils qui nous réapprennent à prêter attention à notre environnement. Le petit « gloups » de votre hameçon vous indique qu’un poisson a mordu à votre ligne avant que votre oeil ne se coordonne avec votre main pour remonter votre prise. Les bruits de pas des villageois·es vous indiquent que quelqu’un·e se trouve à proximité, et non qu’il s’agit d’un ennemi à abattre. Les bruitages qui accompagnent les humeurs et les émotions des habitant·es remplissent la même fonction que le langage corporel et tout ce qui relève de la communication non verbale dans la vie réelle. Toute la complexité des interactions sociales est simulée par des artifices discrets et sonores que l’on interprète sans avoir à y réfléchir.
L’horloge interne d’Animal Crossing est un élément central dans l’identité de la licence. Le temps n’est pas déformé pour correspondre à une narration. Il n’est ni suspendu ni accéléré. Le contraste avec les jeux qui répondent aux codes de la culture vidéoludique dominante est si saisissant qu’on a le sentiment d’une éloge de la lenteur. Les musiques et les bruitages varient en fonction de l’heure de la journée et des saisons. Il faut se montrer patient·e lorsqu’on commande un objet chez Risette ou Nook. Toutes nos lettres ne reçoivent pas de réponse, et nous en recevons parfois sans avoir engager nous-même l’échange. Animal Crossing est un jeu pourvu d’une temporalité profondément humaine. C’est un jeu qui s’adapte aux joueureuses, et non pas un jeu auquel les joueureuses doivent se plier. Animal Crossing n’exerce aucune pression, il est l’antithèse de l’oppression. C’est ce qui le rend queer.
Les villageois·es sont réparti·es en huit catégories non-mixtes. Quatre ne comportent que des personnages féminins, les autres sont constituées exclusivement de personnages masculins. Les catégories « chic » et « paresseux » déterminent la personnalité d’une partie des personnages masculins. La communauté de fans qui alimente le fandom anglophone Animal Crossing Wiki a relevé que ces deux catégories sont susceptibles de se montrer particulièrement avenantes à l’égard des joueur·euses. Le fandom francophone va même au-delà au sujet de la personnalité « chic » et relève qu’« Ils pourront occasionnellement flirter avec l[a]e joueur[euse], surtout s'i[e]l est une fille »
.
Les informations retenues par ces communautés de fans ont attiré mon attention puisque j’avais le souvenir que des personnages féminins s’étaient eux aussi montrés entreprenants lors de mes sessions de jeu avec un avatar féminin. Or, il n’en était pas fait mention sur les fiches détaillées des personnalités féminines. En consultant le LGBTQ Game Archive fondé par Adrienne Shaw, une chercheuse en queer game studies, on apprend que les personnages non-joueurs flirtent avec les joueur·euses sans se préoccuper de leur genre. Ces informations contradictoires sont intéressantes parce qu’elles prouvent que le contenu queer d’un jeu n’est visible que pour les personnes queer.
Animal Crossing donne l’illusion d’être rudimentaire. Il s’agit pourtant d’un jeu d’une grande complexité. Les équipes de conception ont poussé le souci du détail assez loin pour le rendre intuitif et dissimuler des mécaniques de jeu sophistiquées derrière des interactions simples. Si les éléments qui relèvent de la narratologie ne sont pas particulièrement pionniers en termes de représentation des minorités sociales, son gameplay demeure néanmoins résolument queer. Il convient ici d’admettre que les jeux vidéo sont avant tout ce que les joueureuses en font. Il est ainsi possible de détourner un jeu vidéo mainstream pour inscrire nos pratiques dans une contre-culture vidéoludique.
Pour en apprendre davantage sur les figures de proue du microcosme des concepteurices de jeux vidéo queer et sur la nécessité de créer des archives concernant les pratiques vidéoludiques queer vous pouvez consulter l’article « Qu’est-ce qu’un jeu vidéo queer ? » sur le site de Game’Her, une association qui promeut la mixité dans l’e-sport.
RUBERG B., 2019. Video Games Have Always Been Queer.
RUBERG B. et SHAW A., 2017. Queer Game Studies.
[1] Krupa, Frédérique, Girl Games: Gender, Technology and Design for Women’s Recruitment in Information and Communication Technology (ICT)?, 2018.
[2] « However, the biggest takeaway from this research project was the initial questionnaire that highlighted the persistent gender-divide in access to games and hardware. Access is important because it can lead to experience, expertise, tech savvy and confidence. (Haddon 2004) Harvey (2015) deconstructs notions of true domestic access when girls have to share equipment with other family members, and women have too much care-taking labor to meaningfully engage in gaming. [...]
In conclusion, reception–related gender stereotypes had less to do with children’s gendered performance in the workshop than parentally-controlled gendered access– who supplied boys with equipment and a variety of games but made the assumption that gaming was either inappropriate or uninteresting to young girls. Spending time and effort on acquiring gaming experience and skill, made possible in the home by parental approval and family budget, seems to be encouraged only as a masculine pastime for these Parisian parents. Gender stereotypes seem to operate mainly in parental attitudes and moral panic about technology’s questionable threats or benefits for girls. »
[3] « It is worth repeating, girl gamers rarely have access to a network of same-sex peers for word-of-mouth recommendations which presents girls with a significant obstacle to the exposure and practice of other more challenging/gratifying games. »
[4] Gaming Representation: Race, Gender, and Sexuality in Video Games, 2017, p. 38‑56.
[5] « in game studies the narrative and visual elements of video games are devalued while gameplay mechanics are upheld as defining characteristics of the medium. This was an outcome of the fames narratology versus ludology debates, where representation might be termed the casual element (casual here defined as the contingent) while the mechanics became the hard-core essence of the game form. »
[6] « Fisher-Thomson (1993) found that toy manufacturers were choosing gendered colors based on parental expectations for toy purchasing, while girls were asking for purple, black, and silver. In other words, the manufacturer ignored the girls wishes for fear that parents would find these colors too adult. They catered to the parents’ expectations instead. »
[7] « Game manufacturers began gendering its products hoping to reduce the in-family reuse of equipment like (bicycles), toys and games and thus increase sales. This toxic strategy reinforces stereotypes and other cultural myths that reinforce the gender hierarchy. »
[8] « Global Game Developer Gender 2017 - Statistic. » Statista, Jan. 2018.
[9] GDC. « Fostering Diversity in Games. » YouTube, 22 2018.
[10] HEETER C. ; EGIDIO R. ; MISHRA P. ; WINN B. ; WINN J. Do Girls Prefer Games Designed by Girls?
[11] FLANAGAN M., 2003. Women’s digital activism through gaming.
[12] « Women’s video games propose an investigation of contemporary issues in electronic media and culture and offer commentary on social experiences such as discrimination, violence, and ageing that traditional gaming culture stereotypically uses unquestioningly. »
[13] GDC. Animal Crossing Turning a New Leaf. YouTube, 29 mars 2016.
[14] https://www.jstor.org/stable/4316922?seq=1#page_scan_tab_contents.
[15] « Disability, like femaleness, is not a natural state of corporeal inferiority, inadequacy, excess, or a stroke of misfortune. »
[16] « Rather, disability is a culturally fabricated narrative of the body, similar to what we understand as the fictions of race and gender. »
[17] Understanding video games, 2016.
[18] The Art of Computer Game Deisgn, 1982.
[19] « Virtual worlds could be «Third Places» (Oldenberg 1989; Steinkuehler and Williams 2006) that stand outside the dichotomy of public and private (Ducheneaut, Moore, and Nickell 2004). »
[20] https://educalingo.com/fr/dic-en/tokenism.
[21] CHANG, E. Y., 2017 « A game chooses, a player obeys: Bioshock, posthumanism, and the limits of queerness ». Gaming Representation: Race, Gender, and Sexuality in Video Games, p. 227‑44.