
Je me rappelle très bien l’état dans lequel j’étais le 14 mai dernier. J’avais un teint éclatant et radieux, mes pores étaient resserrés, l’adrénaline et mes endorphines au maximum. Et je ne le devais pas aux bras d’un amant studieux et attentionné. Je sortais tout simplement du premier workshop Femmes noires et Travail que j’avais co-organisé avec MrsRoots. Cette journée était en non-mixité. Un évènement où vous n’aviez pas votre place si vous n’étiez pas une femme noire.
Cette affirmation de non-mixité faite, nous avons subi la litanie des privilégié·es du système : des hommes ne comprenant pas que cet espace de parole doive être exclusivement féminin, des blanc·hes hurlant au « racisme anti-blanc ». Nous noterons les mêmes jérémiades outrées pour le colloque Paroles non blanches [PDF 72,3 Ko] de l’université Paris 8 ou le Camp d’été décolonial.
Mais avant de commencer à vraiment se parler, je vais vous demander un effort surhumain mais nécessaire : celui de refréner votre envie incompressible de contester, de taper du pied et de crier au racisme ou au sexisme inversé. Premièrement parce que vous auriez l’air ridicule, mais aussi parce que cette discussion nécessite un ego domestiqué et une réelle envie de sortir de sa zone de confort. Et aussi, répétez après moi : il n’existe pas, pour chaque oppression, son contraire opportuniste que l’on brandirait comme un point Godwin.
Pourquoi ce choix (salutaire) de la non-mixité pour une telle journée ? Étions-nous secrètement misandres et racistes ? Non. L’idée était de construire un espace où la parole serait libre, non censurée. Un moment safe où nos expériences ne se heurteraient pas à cette fausse incrédulité, ce déni systématique, ce refus de voir et de comprendre nos vécus. Ce moment de sororité était nécessaire pour respirer, penser, s’organiser dans nos luttes.
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Ce 14 mai, il s’agissait de se donner du pouvoir qui pour nous résidait dans l’autodétermination. Une lutte contre une oppression doit être menée par celleux qui la subissent. Un combat quel qu’il soit ne saurait être mené sous tutelle. Un changement ne s’opère pas si les « dominant·es » en déterminent les conditions.
Sachez qu’une discussion sur toute oppression quand on ne se retrouve pas entre personnes qui l’incarnent est épuisante et le plus souvent improductive, plus particulièrement dans ce cher pays des droits de l’Homme. La France a cru guérir le racisme en supprimant le mot « race » de sa Constitution et combat le sexisme avec une journée où les hommes portent du rouge à lèvres… Cette constante du symbole qui efface le symptôme mais qui n’éradique pas la maladie, meilleure façon de conserver le statu quo.
Et c’est à cet état d’esprit que nous nous heurtons en tant que femmes noires, quand nous nous attaquons à l’injustice du système. Comme le deuil, cette discussion suit aussi ses étapes : déni, colère, rejet, derailing, gaslighting et dans un futur ô combien hypothétique, la compréhension.
Or, parler de notre condition à des personnes non concernées requiert un effort pédagogique auquel nous avons le droit de nous soustraire. Expliquer, justifier sans cesse de notre humanité face au patriarcat et à la blanchité n’est pas un devoir.
Et puis, soyons claires, demandez-vous pourquoi la monochromie laiteuse de la télévision, des lieux de pouvoir, des salles de rédaction échappe à cette accusation de communautarisme. Interrogez-vous sur les rapports de force qui régissent notre société.
Enfin, n’oubliez pas que la non-mixité que nous revendiquons est une conséquence de l’exclusion de vos espaces blancs, mâles, valides et hétéronormés.