17 septembre 2016

Dans les bottes de Françoise, vétérinaire de campagne

Content Warning : Cet article contient des mentions d’opérations chirurgicales sur des animaux et d’euthanasie.
Dans les bottes de Françoise, vétérinaire de campagne
Cet article fait partie du dossier Portraits professionnels
Vous commencez à avoir l’habitude, chez Simonæ, on aime bien mettre en avant des nanas badass. Et aujourd’hui, c’est au tour de Françoise, qui est vétérinaire rurale dans un petit village près de Paris. Entre deux interventions sur des vaches ou des lapins, elle a pris le temps de répondre à quelques questions.

Tu as toujours voulu être vétérinaire ? On a souvent l’image des enfants qui veulent être véto depuis tout·e petit·e…

Quand tu prends les gens en école vétérinaire, 80 % au moins veulent faire ça depuis tout·e petit·e, c’est pas du tout un cliché ! C’est un métier de vocation. Pour moi, c’est depuis le collège.

J’ai lu qu’en véto, on sélectionne des gens qui veulent faire de la médecine mais pas bosser avec des humain·es. Du coup, iels travaillent avec les animaux. Donc ça donne une sélection de gens hyper pointu·es, qui sont très perfectionnistes et n’acceptent pas l’échec.

Les études, c’était comment ? Il y avait quelle proportion de filles ?

La place des femmes dans la profession a beaucoup changé : la première femme diplômée véto, ça date de 1897 et maintenant on est une écrasante majorité. En fait, les femmes ont fait leur apparition dans les écoles de façon régulière en 1942 et jusqu’au début des années 1960, il y avait moins de 5 femmes diplômées par an. Les promotions étaient plus petites, mais quand même. Ça a beaucoup évolué dans les 30 dernières années : dans les années 1980 on était à 30 % de femmes admises dans les écoles véto, maintenant c’est 80 % !

Bon, après, la féminisation du métier s’est accompagnée d’une perte de l’image de marque, comme dans pas mal d’autres domaines…

Ça ressemble à quoi le cursus vétérinaire ?

Il y a 4 voies d’accès :

  • Prépa, ce qui représente environ 60 % des gens.
  • La fac, 30 %.
  • Le BTS, 10 %.
  • La dernière voie, c’est pour les médecins diplômé·es, il y a une passerelle (mais c’est anecdotique, il faudrait faire 9 ans de médecine puis 5 ans de véto !).

Donc ça, c’est 2 ans minimum.
Après, il y a l’école, qui dure 5 ans pour tout le monde.

En 5e année, il y a les pré-choix : en gros, on choisit de se spécialiser un peu soit dans les chevaux, soit dans les animaux de rente, soit dans la filière canine.

Puis on peut faire, mais ça n’est pas obligatoire, une année d’internat, suivie d’une année d’assistanat pour se spécialiser un peu (par exemple en urgence, en chirurgie, en ophtalmo…), mais on n’a pas un titre de spécialiste à la sortie.

Pour avoir un titre de spécialiste, il faut faire 3 ans de résidence en collège européen.

Les vétérinaires spécialisé·es (par exemple en urologie, néphrologie ou en endocrinologie) sont souvent dans des grandes villes, avec une clientèle plus exigeante et dans des cliniques de référé.

Il y a un esprit de compétition parmi les étudiant·es ?

Ça dépend vraiment de l’endroit. Dans les prépas les mieux classées, il n’y a pas trop l’esprit de compétition entre les étudiant·es, c’est plutôt tourné contre les autres prépas, on essaye de faire mieux qu’elleux. Dans celles qui sont moins bien classées, c’est plus présent.

C’est quoi ton quotidien de vétérinaire dans une zone rurale ?

Euh… C’est une ville de 6 000 habitants, tout est fermé après 19 h, il n’y a personne dans la rue après 20 h, on a une moyenne d’âge de 70 ans à la messe et je crois qu’on a fait le tour…

Le problème en zone rurale, c’est que quand t’es étudiant·e véto, tu commences à travailler assez tard et tu arrives à la campagne où les gens de 25-30 ans sont déjà marié·es avec des gamin·es et ne sortent plus, donc c’est difficile de s’intégrer.

Après, pour le fonctionnement au jour le jour, les cabinets n’ont pas tous la même organisation. Chez nous, tout le monde s’occupe d’animaux de ferme et de chiens, et ce, dans la même journée.

On fait des visites à l’extérieur le matin, puis des consultations libres pour chiens de 11 h à 12 h. En début d’après-midi, c’est chirurgie canine ou visites à l’extérieur, puis consultations libres pour chiens de 17 h à 19 h.

Contrairement à celleux qui font une journée rurale puis une journée canine, on fait les deux dans la même journée, donc on peut être appelé·es à tout moment pour aller voir une vache, c’est impossible de prévoir. Donc adieu la petite jupe !

Illustration de Françoise entourée d’animaux.

Il t’est déjà arrivé un truc rigolo pendant une garde ?

Le truc le plus drôle qui me soit arrivé, c’est une fuite de vaches. J’ai été appelée par les gendarmes pour euthanasier une vache qui avait percuté une voiture conduite par des petits vieux. Arrivée sur place, il a fallu rattraper sa pote avec les gendarmes, l’éleveur et son stagiaire. On a dû lui courir après dans les champs, puis on a fini par la ramener en cortège entre la fourgonnette de gendarmerie, ma voiture et l’éleveur. Tout ça un samedi soir à 22 h…

Quel est l’animal que tu préfères soigner ?

Ça dépend, si c’est juste pour des vaccins ou un examen clinique de bonne santé : les chevaux. C’est gentil, c’est mignon, ça fait des câlins… Après les propriétaires de chevaux sont parfois vraiment particulier·es.

Sinon, les chiens de manière générale.

Tu m’as dit que tu comptais arrêter la rurale après cette saison, ça ne va pas te faire tout drôle de passer des vaches aux chatons à castrer ?

J’ai un ligament croisé cassé. Je me suis pris plusieurs coups sur une césarienne de vache cette année, un coup de pied de vache au même endroit sur le genou le lendemain puis rebelote deux semaines après. Pour l’instant je fais de la rééducation, pour la chirurgie c’est en stand-by. D’ici là, adieu les sports de pivot comme le foot. J’ai 28 ans, je n’ai pas envie de finir toute cassée de partout.

Ce qui me déplaît aussi dans la rurale c’est que, de plus en plus, on fait de la médecine de troupeau. On ne soigne pas la vache pour la vache, mais on fait de la médecine préventive pour un lot.

L’avantage de la rurale c’est que quand on est appelé·es c’est pour des vraies urgences. En contrepartie en hiver quand il fait -17 °C et qu’il est 3 h du mat’, il faut réussir à sortir de son lit…

Pour revenir à ton genou, c’est dangereux d’être véto ?

L’an dernier sur une césarienne, quand on a sorti le veau, la vache a eu un comportement extrêmement agressif. Elle m’a fait voler sur 1 mètre. Le bleu prenait deux tiers de la cuisse. Mais j’ai une prise de risque qui est peut-être plus importante que pour d’autres…

On ne peut pas forcément apprendre à évaluer les risques à l’école, ça vient avec l’expérience. Par exemple maintenant pour les chiens, j’ai tendance à les museler assez rapidement. D’autant que certain·es client·es ne préviennent pas que leur chien a tendance à chiquer. De même il y a certains chiens qui n’envoient pas de signal avant de mordre, du coup dans le doute, il vaut mieux prévenir.

Si tu pouvais donner un conseil à un·e futur·e étudiant·e vétérinaire, ça serait quoi ?

Fais médecine c’est mieux payé.

Plus sérieusement, la variété de ce qu’on fait rend ce boulot très intéressant. On est des touche-à-tout : on n’est pas spécialistes, mais on fait plein de choses différentes.

Par exemple, il y a 3 semaines, j’ai suturé une cornée de chat, et il y a 2 jours j’ai amputé un onglon sur une vache.

En revanche, être vétérinaire, ça demande d’énormes investissements qui sont très longs à rentabiliser… Ne choisissez pas véto pour l’argent. Il y a d’autres métiers qui sont largement mieux payés et moins durs.

Oh, aussi, il ne faut jamais dire aux gens que tu es véto, sinon iels te parlent systématiquement de leur chat qui est trop mignon et qui mange telles ou telles croquettes alors que toi tu veux juste parler d’autre chose hors de tes heures de boulot… Je n’ose pas aller prendre des cours d’équitation pour ne pas croiser des client·es.

On parlait tout à l’heure de la proportion de femmes dans les études… Ça donne quoi une fois sur le marché du travail ?

En rurale, souvent les femmes arrêtent au bout de quelques années et repassent sur du cabinet de ville à cause du rythme qui n’est pas vraiment compatible avec la vie de famille.

Dans le cabinet où je bosse, ça se passe bien. Il y a déjà eu une femme avant moi, donc c’est elle qui a essuyé la plupart des remarques sexistes et maintenant nos clients ont l’habitude.

Il y a bien quelques éleveurs qui demandaient systématiquement à avoir des vétérinaires hommes, mais on leur a dit qu’ils auraient la personne de garde, point. Idem avec un éleveur qui est misogyne et qui n’aime pas les jeunes. Ça s’est très mal passé avec lui, mais mes patrons ont remis les choses à plat.

Nous espérons que cet entretien vous aura permis d’apprendre des choses sur le métier de vétérinaire rural·e et son évolution.