26 novembre 2018

Les Galères d’un panda, une bande dessinée sur le handicap invisible

Trigger Warning : cet article contient des mentions de propos psychophobes, de harcèlement scolaire et de violences médicales.
Les Galères d’un panda, une bande dessinée sur le handicap invisible

Le handicap invisible ça vous parle ? C’est un handicap non apparent, souvent imperceptible pour les personnes extérieures. Cette situation donne lieu à beaucoup de difficultés, de l’incompréhensions et un manque de reconnaissance. Nous avons rencontré Panda, auteurice de 18 ans, qui vient de publier sa première bande dessinée, autobiographique, sur ce sujet.

Comment est venue l'envie de créer cette bande dessinée ?

J'ai commencé cette BD sur un coup de tête. J'ai pris du papier, mon stylo, j'ai gribouillé et j’ai eu l’introduction. Jamais je ne me suis dit que je publierais, je me suis juste dit que je posterais ça sur Facebook. J’ai vu que ça plaisait et j’ai continué. De fil en aiguille, j'en suis aujourd'hui au moment de l'impression de ma première bande dessinée, en autoédition, après un an et demi de travail.

De quoi parle Les Galères d’un panda ?

Au niveau du contenu, c'est en partie autobiographique dans le sens où j’y parle de ma vie, mon quotidien. J’y raconte le diagnostic du syndrome d’Ehler-Danlos [1], la mise en place des aides, mon errance médicale, comment est-ce qu’on vit une journée banale en ayant douleurs et fatigue chroniques. À chaque chapitre le sujet change complètement, ce qui fait qu’ils sont vraiment très indépendants les uns des autres. Il y a aussi plus d'une quinzaine de témoignages qui viennent se greffer au fur à mesure de l'histoire, principalement des personnes en situation de handicap, malades, ou LGBT+, qui parlent notamment des violences médicales qu’elles ont pu subir. J’ai un chapitre qui s’appelle « La psychiatrisation à outrance » et qui explique comment on leur a toujours dit : « C’est dans ta tête, il faut te faire soigner mentalement. »

Comment as-tu réuni les témoignages ?

Je les ai réunis via les réseaux sociaux. J’ai juste passé une petite annonce en disant : « J'ai besoin de telle sorte de témoignage, est-ce qu'il y a des gens qui peuvent témoigner ? » Parfois ça a tourné, parfois j’ai un peu plus galéré pour trouver les personnes, et après je faisais une petite sélection, je leur posais quelques questions et puis on écrivait à deux la partie qui les concernait et je leur demandais de vérifier.

Extrait des Galères d’un panda.

Quels retours as-tu eus sur ta bande dessinée ?

Globalement ça a été très positif. Les premiers qui m'ont vraiment marqué·e, c’était vraiment au tout début, lorsque je n'étais pas très connu·e et que seulement quelques personnes suivaient mon travail, et plusieurs d’entre elles sont venues me voir pour me dire : « Ça fait longtemps que je suis en errance médicale et grâce à ta BD je me dis que peut-être en fait j'ai cette maladie-là et donc je vais peut-être pouvoir me réorienter vers un truc et ça me donne de l’espoir. » J'ai également eu des retours de personnes qui sont diagnostiquées du syndrome d’Ehler-Danlos qui me disaient : « Je me retrouve complètement dans ta BD et ça fait du bien de savoir qu’on est pas seul·e à se dire ce genre de choses. » J'ai eu encore d'autres retours de la part de familles, d’équipes pédagogiques, donc de professeur·es ou d’infirmier·es scolaires, ou même parfois du personnel médical, qui me disaient : « Maintenant on arrive mieux à comprendre ce que les personnes ressentent et comment est-ce que, nous, on peut adapter notre comportement. » Ces personnes-là ont découvert la BD principalement par les réseaux sociaux, c'est comme ça que j'ai réussi à me faire connaître, en partageant dans des groupes Facebook, en travaillant avec des associations. Par la suite on m’a proposé plusieurs fois de participer à des salons, où j'ai réussi à me faire connaître un petit peu. Pour le moment, j’ai participé à un seul salon de BD, et quatre ou cinq salons médicaux.

As-tu pour objectif de pouvoir exposer certaines planches dans des endroits médicaux ou en faire un outil du corps médical ?

J'aimerais bien. Je suis en contact avec plusieurs médecien·nes qui voudraient avoir la bande dessinée complète pour pouvoir la mettre à disposition en salle d'attente. Plusieurs associations m’ont aussi fait savoir qu’elles aimeraient bien, si elles font une conférence ou autre, pouvoir utiliser quelques planches pour appuyer leur propos.

Comment ta bande dessinée est-elle distribuée ?

Là c'est un peu une une période charnière. Jusqu'ici la BD était mise en libre lecture, donc il y a à peu près la moitié qui est disponible sur les réseaux sociaux. À côté de ça, j'ai reçu les premiers exemplaires pour lesquels j’avais mis en place des préventes. Pour les ventes normales, ce ne sera pas avant fin janvier ou début février 2019. Au niveau de la diffusion, j'ai contacté des librairies, des bibliothèques un peu partout en France. Je suis en pleine réflexion concernant les exemplaires numériques et, quand j'aurai un peu plus de temps, j'aimerais bien pouvoir en proposer.

Le syndrome d’Ehler-Danlos est-il (re)connu en France aujourd’hui, notamment par le corps médical ?

Ça reste encore très flou à l'heure actuelle parce que c'est une maladie qui est complètement passée aux oubliettes. Il y a eu énormément de luttes pour pouvoir faire entendre notre voix. Depuis seulement deux ans, il existe un diplôme spécialisé en médecine pour le syndrome d'Ehlers-Danlos. D’après ce qu'on m’a expliqué, durant les études pour être médecien·ne, on cite juste le syndrome mais sans s’y attarder du tout, ce qui fait que très peu de médecien·nes savent ce dont il s’agit. Cela rend le diagnostic un peu compliqué.

On estime qu'il y aurait un pourcentage de personnes atteintes beaucoup plus élevé en France.

Personnellement, tous les gens que j'ai pu rencontrer ne savaient absolument pas ce que c'était. Apparemment c'est en train de bouger un petit peu, mais ça reste compliqué et c'est vraiment une maladie qui est sous-diagnostiquée. On estime qu'il y aurait un pourcentage de personnes atteintes beaucoup plus élevé en France et qui pour l’instant ne sont pas diagnostiquées, qui restent sans aide, sans rien.

Sur certains aménagements, on peut négocier sans avoir le diagnostic établi, mais pas de manière officielle. Par exemple, à mon lycée, j'aurais pu négocier pour certains aménagements, mais ils n’auraient pas changé complètement ma vie. En revanche, pour le tiers-temps, si je n'avais pas eu mon diagnostic, je n’y aurais jamais eu droit. Au collège je n’y avais pas droit. J’avais pu obtenir une dispense de sport avec mon médecin traitant, même sans savoir ce que j’avais exactement. On peut toujours essayer un petit peu mais c’est très compliqué. Au niveau des traitements, on n’a en tous cas aucune aide si on n’est pas diagnostiqué·e.

Extrait des Galères d’un panda.

L'errance médicale est présentée comme presque inévitable, avec un parcours assez compliqué qui coûte en temps, en énergie et en argent. Comment remédier à cela ?

C'est vraiment quelque chose qui ne peut clairement pas se faire du jour au lendemain, encore moins avec tout ce qui se passe à l’heure actuelle. On voit très bien qu'on n'a pas assez de personnel dans les hôpitaux, et celui-ci n'est pas forcément bien formé. On peut parfois avoir un personnel qui paraît agressif, mais c’est dû à la fatigue et à beaucoup de choses extérieures. Ça ne va pas nous aider quand on est en recherche et qu’on en prend plein la tronche par les médecien·nes. Il y a vraiment un problème de fond à traiter mais qui ne peut pas être fait du jour au lendemain.

J'essaie d'agir à ma portée et, à l'heure actuelle, même si je ne peux pas changer le monde, ce que j'aimerais pouvoir faire, ce sont des interventions de sensibilisation dans des hôpitaux, aussi bien auprès de patient·es que de médecien·nes, notamment sur le syndrome d'Ehlers-Danlos, l’errance médicale, etc. J’essaye de m’adresser à tous les milieux. J'ai des projets en médiathèque, des projets de conférences. J'ai fait deux interventions de sensibilisation dans mon ancien lycée l'année dernière, une table ronde dans le cadre d'une exposition itinérante, ainsi qu’une autre avec des enfants atteint·es du syndrome d’Ehler-Danlos, dans un contexte hospitalier, encadrée par une association. J'espère renouveler ce genre d'évènements assez régulièrement.

As-tu d’autres projets en cours ?

Pour l'instant je me focalise plus sur les interventions mais, dès que j'ai écrit la BD, je me suis fixé de faire une suite, enfin plusieurs suites, sans trop en révéler. J’essaye aussi de de développer des petites initiatives alternatives. Par exemple, j'ai créé un groupe Facebook de troc entre artistes pour permettre à celleux qui ont trop de matériel d'en faire profiter les artistes qui n'ont pas les moyens de s'en offrir. J’ai également créé un autre groupe Facebook en non-mixité d'artistes en situation de handicap. Cela permet d’avoir un endroit où on ne juge pas par rapport aux capacités des autres, aux manières de production. De mon côté, je réalise aussi des petits objets comme des badges ou des cartes postales.

Quels sont les piliers d'un soutien sain et efficace à une personne malade ou en situation de handicap ?

Déjà je pense que les gens ont du mal à comprendre qu'un handicap peut être invisible et peut changer du jour au lendemain. Il y a des jours où je dois marcher avec une canne, des jours où je marche sans, des jours où ça va très bien, des jours où je dois rester alité·e. Ça bouge tout le temps et ça, les gens n’y sont pas du tout sensibilisés.

C’est quelque chose de très très important d’arrêter d’estimer les capacités physiques d’une personne alors qu’on n’en sait rien.

Hier, j'étais à la caisse d’un commerce et deux personnes ont commencé à attaquer verbalement une autre personne qui était sur ses jambes et qui demandait à passer en prioritaire à la caisse, alors qu'elle avait une carte. C'était très agressif, très violent. On peut leur en vouloir mais en même temps si personne ne leur apprend, ces personnes-là ne vont jamais comprendre où sont leurs erreurs et comment un handicap peut se passer.

Il y a vraiment un travail à faire à ce niveau-là. Il faut nous laisser la parole beaucoup plus. Je suis jeune et on m’a beaucoup dit « Tu es jeune, tu pourrais faire ça », et quand je répondais que j’étais trop fatigué·e ou que j’avais trop mal aux bras pour porter quelque chose, on ne m’écoutait pas. Vraiment, écoutez quand les gens vous disent : « Je ne peux pas. » C’est quelque chose de très très important d’arrêter d’estimer les capacités physiques d’une personne alors qu’on n’en sait rien.

Il y a sûrement un travail à faire déjà au niveau de la sensibilisation en milieu scolaire, non ?

Il n’y a presque aucune sensibilisation au handicap. Il peut y en avoir auprès des élèves, il y en a extrêmement rarement auprès des professeur·es. Dans un cursus pour devenir enseignant·e, on n’a rien concernant le harcèlement, ou concernant les personnes en situation de handicap et les adaptations possibles. Il n’y a aucune sensibilisation.

J'ai subi du harcèlement tout au long de ma scolarité et jamais personne n'a été capable de m'aider.

C’est aussi pour ça que j'aimerais beaucoup pouvoir intervenir en milieu scolaire. J'ai subi du harcèlement tout au long de ma scolarité et jamais personne n'a été capable de m'aider. À l'heure actuelle, quand on fait des interventions de sensibilisation en école, c’est pour les élèves, les professeur·es ne se sentent jamais concerné·es. Quand j’ai fait des interventions dans mon ancien lycée, il y avait un professeur pour trente élèves. J’ai fait deux interventions, j’avais deux professeurs contre soixante élèves qui ont écouté ce que j’ai dit. C’est quand même un faible pourcentage.

On a toujours des cours d'éducation civique et morale où on apprend ce qu’est le droit de vote. Quand on a douze ans et qu’on nous apprend ce qu’est le droit de vote, c’est bien, c’est important, mais on n’en aura pas besoin avant un certain temps. On ne nous apprend pas des choses qui nous seraient utiles dans l’immédiat. Le harcèlement ça peut toucher là, maintenant, tout de suite. Il faut vraiment faire de cela une priorité.

Quelque chose à ajouter ?

Depuis que j’ai à peu près huit ans, j’écris des débuts de livre. J’avais comme rêve d’écrire des livres, de les publier. Quand j'ai reçu mon diagnostic, je me suis dit que c'était la fin de ma vie et que je n'allais jamais rien en faire. Au final, c'est grâce à ce diagnostic-là que j'ai pu réaliser mon rêve. C'est vraiment important de s'accrocher à ça je pense.

Ma maladie ce n'est pas que du négatif, et en plus de ça, c'est quand même mon rêve qui s'est réalisé. C'est super important de croire en ses rêves quand on se fait diagnostiquer.

On a vraiment des idées reçues sur le handicap et il serait temps de les déconstruire.

On présente les personnes en situation de handicap comme des personnes qui sont inactives. Il peut y en avoir qui sont inactives, mais beaucoup sont actives. Et il n’y a pas que le handicap physique, ou celui qui se voit. On a vraiment des idées reçues sur le handicap et il serait temps de les déconstruire.

ouverture du premier tome des Galères d’un panda.

Pour découvrir l’univers de Panda, rendez-vous sur Facebook, Twitter, Tumblr, Instagram et Tipeee ! On se retrouve début 2019 pour la sortie de la bande dessinée.

Note de bas de page

[1] Le syndrome d’Ehler-Danlos ou SED est une maladie génétique rare qui touche le tissu conjonctif et provoque une anomalie du collagène. Définition provenant du site Web Vivre avec, pour plus d’informations sur ce syndrome, vous pouvez le consulter à cette adresse.