29 mai 2019

Guide pratique : mieux s’adresser aux personnes transgenres

Guide pratique : mieux s’adresser aux personnes transgenres

Puisqu’il semblerait que, décidément, j’aime beaucoup rédiger des listes déguisées en article, je voulais vous proposer aujourd’hui une petite compilation de conseils à l’égard des personnes transgenres. Je vais présenter cette liste en partant des éléments les plus basiques, pour les initié·es, jusqu’à des remarques moins évidentes. Ne partez pas immédiatement, un des éléments de la liste pourrait vous servir !

#1 Les pronoms

Je commence par la question épineuse des pronoms : même entre concerné·es, tout le monde ne parvient pas à tomber d’accord. Mais avant toute chose, qu’est-ce qu’un pronom ?

Un pronom est un mot utilisé pour remplacer un nom : il sert à désigner des choses, ou des personnes, ou à peu près n’importe quoi puisque la langue française est très genrée et que mes cours de grammaire remontent à bien trop loin.

Un pronom, donc, peut être féminin, masculin, ou neutre. Il y a les classiques « il » et « elle » pour le masculin et le féminin, et il y en a d’autres employés pour exprimer une non-binarité, ou une alternative aux classiques, comme « iel », « æl », etc.

Lorsque l’expression de genre d’une personne sort des stéréotypes genrés, et que l’on hésite sur la façon de s’adresser à cette personne, arrive le délicat sujet du pronom. Il existe alors plusieurs « techniques » (lien vers WikiTrans sur la question) afin de pouvoir continuer la conversation avec l’individu·e en face de vous.

Il y a celle consistant à attendre que la personne utilise des tournures genrées dans ses phrases, tandis que l’on utilise des adjectifs épicènes, ou dont la terminaison féminine ne s’entend pas (par exemple, pour ne pas dire « beau » ou « belle », dire « joli·e »).

Il arrive aussi parfois que la personne orne sa veste ou son sac de badges explicites – c’est donc la seconde technique, mais qui nécessite potentiellement de connaître les drapeaux LGBT+ sur le bout des doigts, et il en existe une certaine quantité.

Je disais plus haut que ce point divise les concerné·es : certain·es sont offensé·es lorsqu’on leur demande leurs pronoms, puisque cela signifie qu’iels ne sont pas physiquement une évidence pour leurs interlocuteurices.

Face à elleux, d’autres concerné·es préfèrent qu’on leur demande plutôt qu’on essaie de deviner en prenant le risque de se tromper. Je fais partie de la seconde catégorie.

J’ai appris avec le temps que se baser uniquement sur des indices pouvait être trompeur. Un prénom « genré » n’est pas toujours un indice, notamment dans le cas de personnes non binaires, et quid des prénoms épicènes ? Ou des personnes qui alternent leurs propres pronoms, comme par exemple les personnes genderfluid ?

De ce fait, je préfère poser la question, délicatement évidemment, et non pas dès les premières secondes de dialogue. Car je préfère vexer une personne en lui demandant ses pronoms, plutôt que la blesser en ayant utilisé immédiatement les mauvais.

#2 Le prénom

On va enchaîner avec un point qui déchaîne les passions, celui du prénom de naissance.

Parfois appelé birthname (« nom de naissance »), souvent appelé deadname (littéralement « prénom mort »), ce fameux prénom assigné à la naissance est souvent lié avec complexité à la personne à qui il a appartenu.

Certain·es individu·es sont très à l’aise avec leur morinom (québecois pour deadname), d’autres le rejettent en bloc. Et si ce prénom a été abandonné en cours de route, c’est souvent pour ce qu’il représente : un renvoi à une identité passée, qui a pu être éventuellement vécue comme un mensonge, voire une souffrance. Faire replonger une personne transgenre dans ce souvenir peut être extrêmement violent.

Et, contrairement au pronom, il n’y a pas de réelle bonne façon de demander. Si la personne est à l’aise avec son deadname, elle vous le dira probablement au moment qu’elle jugera convenable, mais inutile de forcer votre chance. Connaître le prénom auquel une personne ne s’identifie pas ne vous apportera rien de plus, et ce que certain·es justifient comme de la « simple » curiosité est très souvent vécu comme une intrusion.

#3 L’intimité

Si vous trouvez que l’on touchait déjà à l’intime avec les points précédents, alors vous sous-estimez l’humain et sa capacité à mettre son nez là où ce n’est pas prévu, et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose pour vous, mais je m’égare.

La question qui revient le plus souvent, juste après celle du prénom de naissance, c’est celle de la chirurgie. Derrière ce que je pourrais décrire avec tant de sel, se cache en réalité la curiosité malsaine de certaines personnes qui veulent absolument connaître la nature de nos parties intimes. D’autant que de nous demander si l’on a fait LA chirurgie est super vague en soi, puisqu’il existe toute une palette d’interventions chirurgicales possibles, quelle que soit notre situation de transition. Et la plupart ne touchent pas à l’intimité de la personne, parce que c’est souvent ça que les gens cherchent à découvrir.

De ce fait, j’ai un petit conseil pour ce cas de figure : à moins que vous ne soyez dans une situation intime avec une personne transgenre, il n’y a absolument aucune raison pour vous de connaître le contenu de ses boxers.
Si tel est le cas, il y a de fortes chances que la personne concernée vous mette au courant de sa situation personnelle à l’avance, puisque le consentement est une donnée importante pour tout le monde.
Mais sinon, en dehors de cette proximité immédiate, cela ne vous concerne en rien.

D’ailleurs, tant que je suis sur l’aspect purement médical de la question, il est très impoli de demander quelle(s) chirurgie(s) une personne transgenre a pu effectuer ou non. C’est quelque chose de très intime, et de très individuel, et cela ne vous concerne toujours pas. En particulier quand on sait que la chirurgie n’est pas nécessairement la solution « facile », ni dans son accès (coût, parcours médical compliqué, etc.), ni dans ses répercussions immédiates (convalescence souvent longue). L’ensemble est d’autant plus délicat s’il faut en plus subir les remarques désobligeantes et le jugement d’autrui.

#4 Le mauvais corps ?

Vous avez probablement déjà entendu, voire utilisé, l’expression « coincé·e dans le mauvais corps », et je ne vous blâme pas : on la croise assez souvent, aussi bien dans la bouche des concerné·es que dans celle des personnes cisgenres.

Cet avis n’engagera probablement pas l’unanimité, mais je trouve cette affirmation problématique, puisqu’elle renvoie à la dysphorie et au fait qu’il faudrait absolument détester son corps pour être véritablement transgenre. Selon l’avis de certain·es, sans ressentir de dysphorie, une personne ne peut être réellement transgenre, et je me permets d’être en absolu désaccord.
Je n’ai pas réalisé ma propre transidentité au travers du prisme de la souffrance permanente que j’éprouvais, que je prenais alors pour de la misogynie internalisée – entre autres choses –, mais c’est bel et bien grâce à l’euphorie de genre, ressentie lorsque j’expérimentais avec les codes du masculin, que j’ai compris d’où venait cette sensation indescriptible devenue presque chronique.

Je trouve donc que cette phrase toute prête, aussi bien dans « coincé » que « mauvais corps », pose problème. Malgré toute la chirurgie du monde, quelle que soit la quantité d’hormones assimilées dans l’organisme, la base reste essentiellement la même. Ce fameux corps n’est ni repris ni échangé : nous ne faisons que l’altérer tout au plus, en ajoutant des pièces, en en enlevant d’autres, modifiant celles déjà existantes.

Je ne suis pas né dans un « mauvais » corps, malgré mon regret de ne jamais pouvoir faire 1,85 m, mais j’ai en revanche choisi d’améliorer celui dans lequel j’ai grandi et avec lequel j’ai appris à vivre, malgré la dysphorie, malgré mes douleurs chroniques, malgré les projections que la société impose sur mon corps, justement.

#5 Méli-mélo de maladresses

Tout d’abord, annoncer la transidentité d’une personne sans son consentement est un comportement classique mais qui ne manque jamais de blesser cellui qui est concerné·e.

S’il est fréquent de voir la transidentité de personnes révélée publiquement sans leur consentement, ça n’en rend pas moins cette pratique extrêmement blessante et potentiellement dommageable. N’oublions pas qu’il peut être vital pour certain·es de garder leur transidentité secrète, pour des raisons de sécurité liée à la transphobie ambiante.

Toutefois, vous pouvez vouloir vous assurer que l’ami·e transgenre que vous avez invité·e à votre soirée ne sera pas mégenré·e. Dans ce cas, il existe des façons délicates et respectueuses de le faire, sans nécessité d’outer [1] la personne.

Par exemple, l’annoncer par son prénom, et éventuellement mettre une emphase sur les pronoms que la personne utilise. Dire : « Il y a Jean-Eudes qui arrive, par contre il est transgenre », ce n’est pas chouette. Dire : « J’ai UN ami qui arrive, IL s’appelle Jean-Eudes, soyez gentil·les avec LUI surtout ! », c’est mieux.
Ça peut paraître lourd, ou insistant, mais ça peut sauver de bien des embarras pour la personne concernée.

Ensuite, lorsqu’une personne vous apprend qu’elle est transgenre, même si le sujet vous passionne, ou pire, vous fascine, essayez de ne pas l’assaillir de questions, souvent répétitives, souvent intrusives. Cette personne n’est pas une encyclopédie ambulante sur la transidentité, et elle n’a peut-être pas envie de vous en détailler tous les aspects. À la place, à vous de faire vos propres recherches en ligne, car à l’ère du tout-Internet, il serait dommage de ne pas profiter des sources d’informations multiples, juste à portée de clavier.

Pour reprendre une phrase de Luna : « Vous n’avez pas besoin de comprendre l’identité d’une personne pour respecter celle-ci. » (Personnes transgenres menacées : comment être un·e bon·ne allié·e ?)

Et je conclurais ce vrac informatif par le vrai-faux compliment, qui revient souvent bien malgré lui. Il consiste à dire à une personne transgenre des choses comme : « Oulala, je n’aurais pas pu deviner [que tu es transgenre] » ; ou encore : « Tu es très réussi·e ! » Ce ne sont pas des choses agréables à entendre, puisqu’elles sous-entendent que pour être considéré·e en tant que véritable individu·e, il ne faut pas que notre transidentité soit perceptible au premier coup d’œil, et c’est loin d’être flatteur.

Même si tous les points que j’ai abordés peuvent paraître relativement basiques, je n’aurais pas pris la peine de les préciser un par un si mes confrontations avec ces fameux faux pas n’étaient pas hebdomadaires. J’en profite également pour rappeler que même un·e personne concerné·e n’est pas à l’abri de dire des énormités. Puisqu’aucune personne transgenre ne prétend parler au nom de toute une communauté, personne n’est exempt·e de dire des bêtises ou simplement d’avoir des avis à contresens de la majorité. Être transgenre ne nous offre pas en un claquement de doigts toute la connaissance et la bienveillance nécessaires à la transmission de nos savoirs sur tout ce qui concerne de près ou de loin la transidentité.

Notes

[1]  Révéler la spécificité d’une personne, ici sa transidentité.