7 octobre 2016

Petit guide de survie en milieu militant

Petit guide de survie en milieu militant

Mobilisée contre le projet « loi travail » depuis mi-février, j’ai été catapultée dans un nouvel univers militant (bien loin de mes bails de petite syndicaliste lycéenne) sans préparation, et parfois ça peut blesser. Malgré tout, j’ai fait des rencontres mémorables, appris énormément de nouveaux concepts et nouvelles manières de militer. En tant que meuf (cis je précise, je n’ai donc pas du tout le même vécu que les personnes trans et non binaires), racisée et jeune, j’ai dû faire face à trois problèmes majeurs dans le milieu militant : le sexisme, le racisme et l’âgisme. Les trois se combinant plus ou moins bien.

Je propose donc un petit partage d’expérience avec des astuces pour les situations les plus gênantes (aucune injonction évidemment, c’est toujours très très difficile de trouver la « bonne » réaction lorsqu’on est face à un problème du type). C’est parti, n’hésitez pas à partager vos expériences et conseils en commentaires, ça me ferait très plaisir d’apprendre de nouvelles choses !

Recontextualisation : le 17 février 2016, on découvre dans la presse le projet de Loi Travail, ou loi El Khomri, qui suscite rapidement une forte opposition des syndicats. En réponse, une vague de contestations agite la France, notamment sur la place de la République, à Paris, où naît le mouvement Nuit debout, qui s'étend très vite à tout le pays.

Le contact avec les non-militant·es

J’ai découvert à mes frais que tracter toute seule n’était pas l’idée du siècle. Juste après avoir fini l’épreuve de maths du bac qui m’avait particulièrement abattue, je suis allée tracter avec des copaines rue de la République à Lyon, de l’hôtel de ville à la place Bellecour. Tant qu’on était plusieurs, il n’y avait aucun problème, si ce n’est le mépris des gens. D’ailleurs je vous en supplie soyez gentil·les avec ces gens (militant·es ou pas d’ailleurs) qui vous tendent à bout de bras des papiers, avec des airs plus ou moins désespérés : on a l’impression d’être invisibles (même chose pour les mendiant·es).

Puis mes camarades sont parti·es et déterminée comme j’étais, j’ai continué seule, place Bellecour pile en face de… la fan zone installée à l’occasion de la Coupe d’Europe de foot. J’évite habituellement ces endroits comme la peste (forte présence policière et militaire, supporters ivres lourdingues, beaucoup trop de monde…) mais là je devais écouler mes tracts. J’ai eu droit à de la drague lourde, des hommes « mûrs » qui me reluquaient de manière dé-gueu-lasse, des bousculades de la part de supporters, des insultes quand je ne répondais pas.

Pour vous évitez ça, quelques conseils :

  • Je ne peux pas vous dire « Évitez de tracter seul·e », parce que c’est stupide, moi j’aime bien le faire. Par contre, n’allez tracter seul·e que si vous êtes assez fort·e pour subir tout ça ce jour-là. Économisez-vous, la lutte c’est important mais pas au détriment de votre santé.
  • Ne pas être loin de boutiques et des rues passantes (ça paraît logique si on tracte mais quand même). Tout simplement parce que si vous avez un problème, si quelqu’un·e vous agresse et que vous avez besoin de souffler, aller dans une boutique 5 minutes aide pas mal.
  • Je suis pas fan de cette méthode mais je me vois mal ne pas la mettre ici : si vous le sentez, avoir quelques techniques de self-défense peut s’avérer utile, et si vous avez une « arme » – vos clés, votre sac à main, du gaz au poivre, un bouquin de Christine Delphy, que sais-je –, prenez-la. Pour deux raisons : s’il faut s’en servir, vous l’avez sur vous, et surtout : ça peut vous permettre d’être plus assuré·e (et dans ce cas, ne même pas avoir besoin de la sortir !).

Réussir à s’imposer dans le milieu militant

Je pars d’un constat assez simple : encore beaucoup de militant·es estiment que l’anti-racisme, le féminisme et les autres luttes contre les oppressions spécifiques ne sont pas « capitales » dans la lutte. Eh bien si. Et il va falloir le leur enfoncer dans le crâne à coup de bûches. Il m’est déjà arrivé, en conférence de presse, en AG, en réunion inter-organisations de jeunesse d’être 1) la seule meuf, 2) læ seul·e racisé·e, 3) læ seul·e mineur·e. Devant ce manque flagrant 1) de mixité de genre et 2) de mixité de « race » (au sens sociologique du terme, la race est une construction sociale), il a fallu trouver le courage de parler des sujets dont tout le monde se fout dans ce genre d’assemblée. Encore une fois, quelques conseils :

  • Être droit·e dans ses bottes : si vous êtes læ seul·e concerné·e par ces oppressions spécifiques, lorsque vous allez en parler il est probable que vos interlocuteurices ne soient pas hyper réceptif·ves. Insistez. Non vous n’exagérez pas, non ce n’est pas un sujet secondaire dans la lutte. On ne peut pas proposer une réelle alternative à notre modèle de société si elle n’est pensée que par des hommes, non racisés, valides et d’âges moyens. Nous avons notre mot à dire, et devons êtres entendu·es : ce n’est pas négociable.
  • Il est très difficile d’être toujours intransigeant·es sur ces questions, c’est pourquoi il est nécessaire d’avoir un espace où l’on se sent en sécurité. Vous ne pouvez pas être en conflit tout le temps avec tou·tes les militant·es parce que c’est épuisant. Personnellement, j’ai beaucoup milité avec des lycéen·es (pas d’âgisme entre nous), des racisé·es (saaaaafe), des meufs et des allié·es (mais des vrai·es allié·es hein, pas des « profem » ou des « anti-racistes » en carton islamophobes). Ensemble, vous allez vous rassurer mutuellement sur le bien-fondé de vos actions, parce qu’il n’est pas rare de douter (et c’est même très bien).
  • Faire des réunions non mixtes. J’en ai déjà fait et comme au point précédent : on se sent beaucoup moins seul·e (et en plus ça peut vous permettre justement de rencontrer des militant·es qui ont les mêmes enjeux que vous niveau oppressions). De plus, une fois la réunion terminée vous pourrez décider d’investir ensemble telle ou telle AG en mode badass.
  • Le plus : la petite technique un peu filoute, si vous êtes plusieurs en AG, ne vous mettez pas tou·tes à côté, mais un·e dans chaque coin de la salle. Si vous intervenez tou·tes, 1) les participant·e·s vont penser que vous ne vous connaissez pas forcément, 2) mais vous insistez tou·tes sur des sujets qu’iels ne considèrent pas toujours comme capitaux, 3) donc iels vont soudainement y prêter attention, pensant que c’est une pensée générale dans l’assemblée. En bref, jouez-là comme les trotskistes au PS.
  • Imposez un « tour de parole ». Déjà, tout le monde s’écoute beaucoup mieux ; ensuite, même si ça apparaît à certain·es comme une bride qui les empêcherait de s’exprimer, c’est surtout un bon moyen de voir qui a le plus souvent la parole et de contrôler cette parole. Les tours mixtes sont pas mal, avoir autant de meufs cis ou trans et de personne non binaires ou agenres qui parlent que de mecs cis, ça change radicalement la gueule d’une AG et ça nous donne la parole !

Mini Lexique de l'univers militant

  • AG : assemblée générale, souvent étudiante, où sont prises les décisions concernant la mobilisation.
  • Baqueux : policiers membre de la BAC. Véritables cowboys des temps modernes, ils ne sont pas très gentils.
  • CRS : autre unité des forces de l’ordre, liseré jaune. Leur discipline est militaire et leur fonctionnement en unité serrée les rend très dangereux (notamment lors des charges frontales en manifestation, où ils n’épargnent personne).
  • Faf : fascistes. On l’utilise pour qualifier des militant·es appartenant à des mouvances d’extrême droite comme l’Action française, le Groupe union défense (GUD). Souvent violent·es, iels peuvent s’avérer très dangereuxes pour les militant·es d’extrême gauche « connu·es ».
  • GM : gendarmes mobiles, corps des forces de l’ordre. Il y a un liseré bleu sur leurs casques.
  • Lacrymo ou Gazeuzes : grenades lacrymogènes, elles se séparent en plusieurs morceaux brûlants au sol et projettent du gaz plus ou moins violemment (gaz lacrymogène mais aussi gaz au poivre, etc.).
  • Nasse : pratique policière visant à isoler une partie des manifestant·es en formant un cordon autour d’elleux. Notamment utilisée pendant les manifestations contre la « Loi travail » et son monde, les forces de l’ordre immobilisent une partie du cortège, souvent assez longtemps, et font monter la pression pour conduire à des débordements. À Rennes, plusieurs militant·es nassé·es (donc inofensif·ves) ont été gazé·es (impossible d’y échapper).
  • Tonfa : matraque.

Gérer les interactions interpersonnelles avec les militant·es

Hors des AG et autres grosses réunions, vous allez peut-être tisser des liens avec d’autres militant·es. Parfois, iels seront très bien, et parfois… beaucoup moins. Pour ma part j’ai énormément subi le paternalisme de certain·es militant·es : « Ouais tu vois, moi je sais comment lutter, à ton âge j’étais pareil haaaannn. » Très très lourd, spécialement quand on n’a rien demandé. Je pense que c’est dû à ma « jeunesse » (avoir 17 ans et être lycéenne quand tu milites avec des étudiant·es, ça joue) et à ma qualité de meuf. Comme si ça m’empêchait d’être aussi efficace qu’elleux, voire plus. Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas prendre les conseils qu’on peut vous donner, mais n’oubliez pas que vous avez aussi des conseils à refiler, que vous n’êtes pas « læ petit·e nouvelleau » dans la lutte. Vous devez être pris·e au sérieux !

Parfois, on entend aussi des propos islamophobes ou racistes sous couvert de féminisme (« Le voile c’est la soumission de la fââââme, faut l’interdire, elles sont forcées ou alors elles réfléchissent pas haaannn… », « Nan mais ça va, la parité non respectée c’est pas si grave… »). Là, mes petits trucs vont être très très généraux, pas de culpabilisation. Encore aujourd’hui il m’arrive de ne pas réagir parce que je ne sais pas quoi dire, parce que personne autour de moi ne dit rien. D’ailleurs, si vous êtes un·e allié·e et que quelqu’un·e sort des horreurs à un·e concerné·e et qu’iel ne dit rien, parce que trop choqué·e par exemple, aidez-læ. Ne restez pas silencieuxe par pitié, après j’ai l’impression que ce que la personne vient de dire est « normal », tout à fait acceptable. Alors que non, ça n’est pas acceptable. Jamais.

  • Protégez-vous, et purgez votre environnement quotidien au maximum. Ne vous infligez pas de longues discussions qui donnent envie de grimper aux rideaux le couteau aux dents avec telle personne raciste, sexiste, etc., juste parce que vous l’aimez bien, que vous pensez pouvoir la faire changer, etc. C’est très fatiguant de militer, pas la peine de vous encombrer de personnes qui peuvent vous faire du mal.
  • Lorsque quelqu’un·e dit quelque chose de problématique, demandez-ellui de s’expliquer. 1) Iel va se sentir « en faute », et parfois cela suffit. Expliquez calmement pourquoi ce qu’iel dit est problématique et normalement iel devrait retenir. 2) S’iel essaye vraiment de se justifier, j’ai envie de dire : pas de quartier ! Si vous en avez le courage et la force, c’est le moment d’être véner·es.
  • Si un individu a un comportement dangereux, déplacé, ou qui vous met mal à l’aise (typique du « profem », du « mec déconstruit », etc.) et que vous avez la force d’en parler, discutez-en avec d’autres meufs. Il est probable que vous ne soyez pas sa seule cible, à plusieurs vous serez plus fort·es pour le dégager du milieu militant.

Les manifestations

Les manifs peuvent être un brin traumatisantes. Ne vous en voulez pas de ne pas y aller si par exemple vous êtes agoraphobe, traumatisé·e de précédentes manifs ou non valide. Votre santé avant tout, ne vous culpabilisez pas. Voici quelques conseils généraux :

  • Il est parfois nécessaire d’extraire d’une manifestation des éléments dangereux (violeur, facho ou RG par exemple). Si vous êtes assez nombreuxes, masquez-vous (par sécurité) et allez læ déloger. Les violeurs peuvent avoir le soutien d’autres militant·es, un·e facho peut utiliser la force, faites bien attention. Pour un·e RG ? Il suffit de chanter très fort en læ regardant « RG, RG on t’a craaaaamé ! » et souvent iels se tirent. (RG = Renseignement généraux, iels ne peuvent pas vous faire grand-chose sur le moment mais font plein de jolies petites fiches.)
  • Ne restez pas seul·e, allez en manif et quittez la manif à plusieurs. Sécurité, encore. Plus encore si vous êtes racisé·es, les faf peuvent vous attendre à la fin des manifestations, sans oublier que la police ne nous fera pas de cadeau.
  • Si vous êtes medic team et que vous devez soigner quelqu’un·e à un endroit un peu intime (souvent la police vise l’entrejambe pour les tirs de flashball par exemple) et qu’iel est en capacité de vous répondre, demandez sa permission avant de læ toucher.
Évidemment, ce papier n’est pas du tout exhaustif et ne cherche pas à vous imposer quoi que ce soit. J’espère que ces conseils auront pu vous aider, encore une fois enrichissez cet article dans les commentaires, avec vos conseils, vos témoignages… Par ailleurs, si vous militez vers Lyon (ou ailleurs), n’hésitez pas à me contacter !