15 février 2017

Handicap auditif : comment bien se comporter ?

Handicap auditif : comment bien se comporter ?
Cet article fait partie du dossier Surdité

Il y a un an, mon audition a décidé de démissionner. Sans trop prévenir, comme ça, elle est partie et 35 % ne sont jamais revenus.

Le handicap a donc débarqué dans ma vie, j’ai dû apprendre à composer avec et j’ai fait quelques découvertes. Quand on est jeune, avec un handicap qui ne se remarque pas au premier coup d’œil, les gens ont des réactions saugrenues. Et iel disent parfois des choses aussi délicates qu’un poids lourd lancé à 130 km/h sur l’autoroute

J’ai décidé de vous faire un petit best of et de vous fournir quelques éléments d’étiquette pour vous permettre d’avoir une conversation avec une personne à handicap auditif, sans passer pour un 36 tonnes. Ou alors un 36  tonnes, léger, aérien, en tutu froufroutant, pour parler handicap sans incident diplomatique. Cette méthode est garantie 100 % sans sourires crispés, d’après mon expérience personnelle.

#1 « Mais t’es sourd·e ou quoi ? Ça fait trois fois que je t’appelle ! »

Alors oui mais non. Je ne suis pas sourde, je suis malentendante. La différence c’est que j’entends, mais mal. Il existe différents niveaux de surdité, autant que de gens malentendant·es. Et même si tu ne pensais pas à mal, c’est plutôt agressif comme remarque. Mais c’est aussi la plus fréquente, et j’ai pris l’habitude de voir les gens changer de couleur (c’est rigolo) quand je réponds, que oui, j’ai un problème auditif. Les tentatives de justifications amènent bien souvent une autre phrase…

#2 « T’es malentendant·e ? On dirait pas, t’as l’air normal·e. »

Mince, aurais-je oublié mon badge « malentendante » ce matin ?! D’abord, la normalité c’est relatif. Ensuite, ce sous-entendu est blessant car c’est insinuer que je fais semblant, que je cache une tare dont j’aurais honte. Non. J’entends mal, ça fait partie de moi ! Je n’en ai pas personnellement honte, mais pour d’autres personnes le handicap est une épreuve à surmonter quotidiennement et dont il peut être difficile de parler. Attaquer de front une personne avec ce type de remarque est au mieux très maladroit, surtout quand on ne connaît pas son passé, et son attitude vis-à-vis de son handicap.

#3 « Tu connais ma tante Germaine ? Non parce qu’elle aussi entend pas bien non plus. »

Attention, je vais briser un mythe. Toutes les personnes handicapé·es ne se connaissent pas. Pas de connection psychique ou mentale, pas de réunions secrètes dans une cave humide. Désolée, je connais pas ta tata Germaine.

#4 « C’est bien les appareils auditifs ? Mon grand-père devrait en porter mais il veut pas parce que ça fait truc de vieux. »

Hum. Hum. Cette phrase, c’est carton rouge direct. C’est probablement une de celles qui m’agace le plus, parce qu’elle donne l’impression que la personne se fiche de mon ressenti. Malgré mon équipement digne des plus grands films d’espionnage, je me retrouve bien souvent comparée à l’aïeul·e décrépi·e. Non, les appareils auditifs ne sont pas réservés aux personnes âgées. C’est une aide multigénérationnelle, au même titre que les lunettes.

#5 « Ah mais donc tu parles le langage des signes ?! C’est génial, montre-moi comment on dit tricératops (ou autre mot quelconque) ! »

D’abord, c’est une langue, pas un langage. Ensuite, non je ne « parle » pas la langue des signes. Le raccourci malentendant·e/sourd·e = langue des signes est trop souvent fait. Et au passage, on ne « parle » pas, on signe ! Il existe plusieurs langues en fonction du pays, et ce n’est pas une langue universelle que tou·tes celleux avec une déficience auditive connaissent.

Pour ma part, je maîtrise de manière intuitive la lecture sur les lèvres. Je ne l’ai jamais apprise mais c’est une réaction que mon corps a eu pour compenser ma perte auditive. Mais il y a une tripotée de dictionnaires de LSF disponibles sur Internet et je reste persuadée que tu trouveras ton tricératops. Je crois en toi. Fonce.

#6 « Tu lis sur les lèvres ?! Et là je dis quoi ? » *lance une bordée d’injures en articulant seulement*

Alors, généralement, c’est le point de la conversation où je commence à être atterrée. Parce que je sais effectivement lire sur les lèvres. Et je ne comprends pas trop l’idée de me faire passer un test pour le vérifier. Je comprends encore moins l’idée de m’insulter pour le vérifier. Dans ma tête, tu viens d’être catégorisé·e comme étant bien relou·e. Félicitations pour ta bêtise !

#7 « Et si je cache ma bouche tu sais plus ce que je dis ! » *masque sa bouche d’un air suprêmement fier*

La première fois qu’on m’a fait ça, j’ai eu envie de pleurer. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait, pourquoi j’entendais de moins en moins bien et j’en avais parlé à une connaissance. Ce n’est pas drôle. Ça ne l’a jamais été. J’ai acquis pas mal d’autodérision mais faire une blague sur le handicap à quelqu’un d’handicapé·e ça peut faire mal. Maintenant j’en ris, ou quand ça m’agace j’explique diplomatiquement pourquoi il ne faut pas faire ça. Mais je vous promets que c’est très rude à vivre, et faire ça, c’est le niveau 0 du tact et de la finesse.

#8 *articule silencieusement dans une parfaite imitation de la carpe koï dans le but de me faire croire que mon audition a baissé quand j’enlève mes appareils*

Arrête immédiatement. À ce stade, je ne cherche même plus à faire de l’humour parce que c’est pas drôle. Déjà, j’entends les bruits de fond donc je sais que tout va bien. Ensuite, ça se voit quand quelqu’un·e parle, parce que tout bouge sur son visage, pas seulement la bouche. Là tu bouges seulement les lèvres et t’es ridicule. Je sais pas si tu te crois drôle, mais en tous cas, c’est raté.

#9 « Han mais t’as tellement de la chance, moi aussi j’adorerais pouvoir débrancher mes oreilles quand il y a trop de bruit. »

Vraiment ? Permets-moi d’en douter. Alors oui, c’est vrai, quand il y a beaucoup de bruit, je désactive mes appareils. Ça me permet de me reposer un peu parce que le volume sonore que je perçois est au-dessus de ce que mon corps est habitué à gérer. Mais ce que tu perçois comme un avantage est parfois compliqué à gérer dans la vie de tous les jours. Je n’estime pas vraiment avoir de « chance » quand je fais répéter quatre fois la boulangère parce que je ne comprends pas ce qu’elle me dit, ou quand je souris en hochant la tête alors que je n’ai aucune idée de ce que mon interlocuteurice me raconte. Je tiens à rappeler que c’est un handicap et pas juste une particularité qui fait marrer les potes en soirée.

#10 « Je peux voir tes appareils auditifs ? »

Je vais être franche : non. Premièrement, c’est pas très propre. Je vais passer sur les détails mais ça reste quelque chose de logé dans un orifice corporel ! Ensuite, celleux qui me demandent ne s’en rendent pas compte mais c’est plutôt déplacé comme demande. Je perçois mes appareils auditifs comme une extension de mon corps. Par conséquent, ça me semble aussi bizarre que si on avait demandé de montrer mes seins, comme ça, en public.

Pour conclure cette (pas si petite) liste, je tiens à rappeler qu’il s’agit de mon expérience personnelle, et que d’autres personnes handicapées peuvent avoir plus ou moins de mal avec les points que je vous ai cité. Je ne peux que vous encourager à vous intéresser au handicap mais de grâce faites-le avec finesse ! Toutes ces remarques m’ont vraiment été faites, parfois par des gens que je ne connaissais que depuis quelques heures. Alors soyez délicat·es et voyez si la personne est à l’aise avec son handicap avant de lui poser des questions.