27 décembre 2016

Interview de Neige Sanchez, photographe et féministe

Interview de Neige Sanchez, photographe et féministe
Cet article fait partie du dossier Portraits professionnels

Rencontre avec Neige Sanchez, photographe talentueuse et féministe.

Peux-tu résumer ton parcours ?

J’ai toujours été attirée par la photo. Ado, je me prenais en photo presque tous les jours. Après un bac S, je me suis inscrite en prépa des beaux-arts. À ce moment, je ne savais pas si je voulais faire de la photo, mais j’ai rencontré un prof qui m’a encouragée à creuser de ce côté-là.

C’est aussi à cette période que j’ai fait un stage dans un atelier de tirage photo, Actinic à Genève, tenu par Aurélien Garzarolli. Je suis partie faire les beaux-arts en photographie à Bruxelles, mais j’ai arrêté pour faire un apprentissage de photo dans l’atelier Actinic.

Pourquoi as-tu préféré l’apprentissage aux beaux-arts ?

Au départ, j’avais juste demandé de pouvoir aider au tirage pendant mes vacances d’été. J’ai toujours voulu faire de la photo argentique ; travailler dans un atelier me permettait d’avoir accès au laboratoire, mais aussi d’apprendre comment travailler et tirer mes propres images.

En plus, j’ai découvert qu’au sein de l’atelier de tirage, je pouvais rencontrer énormément de photographes et de professionnel·les de tous horizons, c’était très enrichissant et bien plus concret que l’école.

Tu as tout de même intégré l’École supérieure de photographie de Vevey.

Effectivement, après mon CFC (certificat fédéral de capacité), je souhaitais pouvoir approfondir mon travail. Arriver dans cette école d’art avec un diplôme de photographe déjà en main m’a vraiment ouvert des possibilités intéressantes et influencé ma pratique. Lorsque je fais une photo, je pense déjà à la façon dont je souhaite qu’elle soit tirée et je sais ce qui est possible.

Et ton travail photographique ?

En 2012, j’ai commencé mon projet À la surface des corps, qui n’avait pas ce titre au départ. C’est un travail sur l’identité, le corps, ses représentations et les constructions identitaires.

Photographie extraite du projet À la surface des corps. Deux personnes s’enlacent torse nu.

Pourquoi ce titre ?

Cela évoque la communication au monde d’une identité intérieure, ressentie, par le médium de l’apparence. Finalement, avec la photographie, je ne peux que capter des apparences extérieures. Au départ, je n’avais pas de titre pour ne pas figer les choses. Mes photos n’ont d’ailleurs pas de titre pour ne pas influencer le regard sur les modèles.

Comment as-tu eu l’envie de travailler autour de ces questions ?

Tout a commencé par une rencontre avec une personne transgenre. J’ai alors beaucoup réfléchi à l’identité de genre, de femme… Ce travail a commencé par près d’une année sans image ! C’est vraiment par les rencontres avec des personnes transgenres ou concernées par la question que j’ai construit mes réflexions et mon projet. Petit à petit, des gens que je connaissais me faisaient leur coming-out, parce qu’iels savaient que je m’y intéressais. À ce moment-là, j’ai aussi eu une colocataire étudiante en études de genre et très féministe qui m’a fait partager des aspects plus théoriques.

Donc en 2013, tu as commencé à prendre des gens en photo.

Oui. Mes premier·es modèles ont été des personnes qui étaient en relation avec l’association 360, tou·tes étaient des personnes transgenres. Très vite, je me suis demandée si je n’allais prendre que des personnes transgenres en photo. En fait, cela revenait à une sorte d’étiquette potentiellement stigmatisante : voilà des personnes transgenres. J’ai donc affiné mon positionnement. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer un spectre d’identités, de dépasser la conformité homme-femme, de remettre ces représentations en question.

Photographie extraite du projet À la surface des corps. Portrait de face.

Actuellement, ton projet contient aussi des images de nature. À quel moment les y as-tu intégrées ?

Assez vite. J’aime beaucoup me balader dans la nature. Ces images ne sont pas reliées à des photos de modèles en particulier. Pour moi, elles sont en lien avec mes propres réflexions suscitées par le projet.

C’est récemment, en 2015, que j’ai eu envie de photographier des objets en liens avec les personnes. Ce sont des objets symboliquement liés pour elles à leur transition et dans lesquels elles se reconnaissent.

Photographie extraite du projet À la surface des corps. Plan d’eau en noir et blanc où l’on peut voir les reflets des branches.

Les questions de genre et d’identité t’ont accompagnée durant ta formation aussi ?

Absolument, à l’ES de photographie, j’ai fait un véritable focus sur mon projet. C’était aussi l’occasion d’expérimentations, de rencontres avec d’autres pratiques. Toute la formation est jalonnée de workshops avec des photographes, j’ai relié ces micro-projets à mon travail.
J’ai également réalisé mon travail de diplôme sur les masculinités.

Pourquoi les masculinités ?

Le titre exact est : Constructions des masculinités : représentations du corps et dimensions politiques, sous-titré La pensée queer à travers les pratiques contemporaines dans les arts visuels.

J’ai choisi de traiter des masculinités, car la notion de construction identitaire est fortement liée à la féminité. Le féminin est souvent perçu comme à performer et à construire par opposition à un masculin qui serait comme neutre et « naturel ». Je tenais donc à déconstruire ces schémas et à aborder l’aspect tout aussi construit des masculinités, d’ailleurs au pluriel.

As-tu la sensation d’être traitée particulièrement dans le milieu de la photographie à propos de ta pratique, par rapport à ton genre ?

Par rapport à mon travail, je suis plutôt bien tombée lors de ma formation. Mes profs principalaux étaient une femme ayant beaucoup travaillé sur les questions féministes et un homme ouvert et intéressé aux questions de genre. J’ai en revanche eu des problèmes avec des intervenants, dont certains très binaires. Parfois, ils ne faisaient pas la différence entre identité de genre et homosexualité !

J’ai pu observer de grandes tendances dans les sujets traités par les photographes féminines ou masculins. Souvent les hommes choisissent des sujets scientifiques, géographiques, politiques et les femmes des sujets plus émotionnels, reliés à leurs histoires personnelles… Je me suis déjà demandé si je répondais à une forme d’attente liée à mon genre. Si mon travail était produit par un homme cisgenre, recevrait-il le même accueil ? Est-ce que ce travail remettant en question les identités de genre est-il lié à mon statut de femme photographe ?

Ton travail a déjà obtenu des prix et une certaine reconnaissance, il me semble.

Récemment, j’ai été sélectionnée à plusieurs reprises dans des concours, oui.
Le Fotomuseum de Winterthur m’a sélectionnée parmi 42 jeunes photographes d’Europe pour participer à un week-end organisé chaque année pour présenter les photographes « émergent·es » : Plat(t)form 2017. Je pourrai y présenter mon travail à des professionnel·les de renommée internationale.

J’ai également exposé lors du Fotoforum de Bienne dans la sélection de jeunes photographes européen·nes.
Au niveau suisse, j’ai reçu une mention spéciale du prix Focale organisé par la galerie du même nom et le troisième prix de mon école.

Photographie extraite du projet À la surface des corps. Cheveux longs, photo en noir et blanc.

Est-ce que tu as des projets en cours ?

Actuellement, je pense continuer ma pratique photographique tout en la mêlant à d’autres médiums, comme la vidéo. Depuis près d’un an, j’expérimente l’image en mouvement avec un artiste performeur rencontré tout d’abord pour À la surface des corps. Nos questionnements tournent autour du corps et ses transformations, la performativité au quotidien, la (dé)construction des masculinités et le post-porn.

Peut-on voir tes photos exposées ?

Du 22 janvier au 26 février 2017, je ferai ma première exposition de À la surface des corps à la galerie Focale à Nyon  ; le vernissage est le 21 janvier.

Comme certaines personnes que j’ai photographiées ont également des pratiques artistiques, je leur ai proposé de participer à l’exposition en intervenant ponctuellement chacun·e à leur manière dans l’espace d’exposition.

Sinon, quelques photos sont visibles sur mon site.