3 mai 2017

Isabelle Cambourakis : une sorcière qui met le feu au monde de l’édition

Isabelle Cambourakis : une sorcière qui met le feu au monde de l’édition
Cet article fait partie du dossier Portraits professionnels

Personne ne les a manqués : les livres de la maison d’édition Cambourakis ont déclenché une tempête littéraire et théorique dans le monde féministe francophone, depuis le lancement de la collection Sorcières, qui regroupe des écrits féministes sur les sexualités, la médecine, l’anti-racisme, et beaucoup d’autres thèmes. Nous avons pu rencontrer Isabelle Cambourakis, à l’origine de la collection, afin d’en discuter.

Pourquoi la collection Sorcières ?

Je suis enseignante et présente dans plusieurs espaces militants, et il était important pour moi de faire une passerelle entre le travail éditorial et ces divers engagements. Mon frère, qui a créé les éditions Cambourakis, m’a donné l’opportunité de créer une collection de textes de sciences humaines. Je penchais soit pour une collection de critique sociale, soit pour une collection féministe, mais puisque je bossais de mon côté sur les mouvements féministes des années 1970, ce sont eux qui l’ont emporté.

Je voulais que la collection soit aussi féministe dans les textes que dans la pratique, je travaille donc prioritairement avec des femmes et des personnes transgenres que ce soit pour les textes, les traducteurices, les préfacier·es, les illustrateurices. C’est aussi pour cette raison que l’on utilise une écriture féminisée ou une écriture épicène ou une grammaire inclusive (pour le moment le vocabulaire n’est pas complètement stabilisé, je préfère conserver ce flou) dans tous les livres de la collection Sorcières.

Mais pas dans tous les livres Cambourakis.

Quasiment tous, il n’y a que Rêver l’obscur qui n’est pas entièrement féminisé parce qu’il s’agit d’une réédition. Mais les traducteurices avec lesquel·les je travaille sont tou·tes sensibilisé·es à cette écriture. C’est plus compliqué avec les correcteurices qui n’en ont pas l’habitude et qui respectent – c’est leur métier – les règles de la langue française. Il faudrait que ces pratiques se répandent hors des niches dans lesquelles elles sont pratiquées : tracts et espaces militants.



Pourquoi avoir choisi uniquement des textes des années 1970 ?

L’objet de la collection n’est pas uniquement de publier des textes plus anciens – La langue des oiseaux de Rachel Easterman-Ulman ou Réflexions autour d’un tabou : l’infanticide sont récents – mais oui, ces textes ne sont pour le moment pas la majorité. En fait, de par mes recherches personnelles je porte un grand intérêt aux mouvements féministes des années 1970 - 1980 et il me semble important de les connaître pour comprendre ce qu’il se passe maintenant. Et il est aussi important de transmettre l’histoire des luttes des personnes minorisées, et racisées, nous avons un énorme retard de traduction des textes états-uniens mais bien sûr aussi de textes d’Amérique du sud, Espagne, Italie, Inde, Afrique…

Mais il n’est pas question de réaliser une sorte d’archéologie du féminisme, les textes publiés font écho à des problématiques contemporaines et nous avons besoin de connaître et de nous inspirer des luttes d’hier dans nos luttes d’aujourd’hui. Par ailleurs, le féminisme états-unien aborde beaucoup de questions que le féminisme français a peu abordé, que ce soit sur la santé des femmes, l’écoféminisme ou les feminisms of color. Les féminismes français sont assez peu pragmatiques, en plus d’être déchirés par les questions concernant le voile ou la prostitution… Éditer des textes de féminismes venant d’ailleurs nous permet de faire des détours et de nous poser les questions autrement.

Quel est le mouvement qui vous tient le plus à cœur ?

Nous accordons beaucoup d’importance à l’intersectionnalité et à l’articulation des luttes, d’où la diversité des thèmes traités dans la collection : féminisme et santé des femmes, sexualité, black feminism, féminisme et écologie, luttes de femmes…

J’aime la diversité des textes que je publie. Mon travail de recherche se concentre quant à lui sur les liens entre écologie et féminisme dans les années 1970 - 1980 d’où l’intérêt que je porte au mouvement écoféministe. L’édition d’un livre comme Reclaim, qui est une anthologie réalisée par la philosophe Émilie Hache, s’inscrit dans cet intérêt pour l’articulation entre écologie et féminisme.



Est-ce que l’écoféminisme est un mouvement essentialiste ?

Le courant écoféministe est comme les autres mouvements du féminisme, il y a plusieurs « tendances », plusieurs milieux, espaces, traditions… Mais oui, à partir des années 1990, des universitaires ont discuté sans fin sur l’essentialisme de l’écoféminisme. Émilie Hache revient justement sur ces questions théoriques dans la préface. Bien sûr, l’écoféminisme est un mouvement de la seconde vague, c’est un mouvement de lutte de terrain (antinucléaire et antimilitariste) et de lutte collective, il est difficile de penser l’écoféminisme sans l’ancrer dans son contexte. Ce qui est important c’est le geste de réappropriation auquel il nous invite et dans cette réappropriation, il y a la question de la réappropriation des corps. Mais on peut traiter la question des corps sans essentialisme, c’est même tout l’enjeu. Simonæ a d’ailleurs fait un très bon dossier sur l’écoféminisme !

Retrouvez tous les livres de la collection Sorcières et bien d’autres sur le site de la maison Cambourakis.