
Bienvenue dans le monde plein de couleurs et de discriminations du dessin animé occidental, où la différence de traitement des genres est inculquée dès le plus jeune âge à nos cher·es enfants.
Ce n’est pas nouveau, le sexisme est extrêmement présent dans les dessins animés. Soumi·ses aux lois du marché et à la genrification des jouets, les producteurices n’ont souvent d’autre choix que de cibler le genre de leur série. D’un autre côté, certaines chaînes télévisées créent des cases horaires jeunesse destinées spécifiquement aux filles ou aux garçons pour mieux s’assurer une audience docile et des publicités correspondantes. Certaines chaînes comme Disney Channel vont jusqu’à se dédoubler pour attirer un public masculin (Disney XD) plus absent de la chaîne d’origine.
Se pose alors la question du contenu : dans les séries dites pour filles, comme Princess Sofia, Monster High ou Piny, les intrigues sont restreintes, pour ne pas dire simplistes, les personnages majoritairement passifs et sans évolution de caractère. L’univers tourne en grande partie autour de la mode, des vêtements et tout est chatoyant, dans les tons roses et violets. Si je n’ai rien contre ces couleurs et contre la mode, le fait que des petites filles y soient réduites est bien plus gênant. D’autant plus que ces caractéristiques dites féminines sont vues comme péjoratives chez un garçon, là où les qualités dites masculines (le courage, la curiosité, voire l’insolence et l’agressivité) sont encensées chez les garçons comme chez les filles. Il ne faut pas oublier que dans la comparaison des genres, le masculin est toujours gagnant.
Princess Sofia en train de danser avec des animaux.
De même, les règles évoluent d’un programme à un autre. Un trope du dessin animé jeunesse est d’insérer une leçon de vie à la fin de chaque épisode, pour donner un aspect éducatif en plus de ludique à la série. Sauf que les leçons varient grandement, tant en qualité qu’en rapport avec son public cible. Ainsi, certaines d’entre elles peuvent s’avérer grossophobes, culpabilisatrices voire réductrices. Aux dessins animés dits pour garçons les encouragements à dépasser leurs limites, à ceux pour filles l’empathie, la patience et la maturité. La morale change donc en fonction du genre du personnage et donc, de son public cible, amenant les enfants à développer différemment leur caractère à cause de leur genre.
La palette de comportements des personnages féminins est également plus réduite que celle de leurs homologues masculins. Les stéréotypes de la princesse en danger et de la maladroite attendrissante étant en perte de vitesse, nous assistons depuis les années 2000 à de nouvelles attitudes féminines réductives. La grande sœur, ou moralisatrice, est par exemple particulièrement récurrente, que ce soit dans Totally Spies, Martin Mystère ou Mini Ninjas. Dans l’imaginaire collectif, les filles sont plus matures que les garçons, plus responsables mais aussi par conséquent plus rabat-joies, moins casse-cous et téméraires. Elles y gagnent un certain leadership, mais présenté de manière péjorative, au mieux éducative, comme une petite voix de la raison.
Steven, personnage principal de Steven Universe, en train de geindre : « Mais il n’y a pas de lois pour ça ? »
Il est intéressant de remarquer à quel point les personnages de dessin animé ont un genre facilement interchangeable, du point de vue du character design. Il n’y qu’à regarder les multiples fanart gender bend [1] existant, notamment sur des séries comme Miraculous Ladybug, Star VS the Forces of Evil, Gravity Falls, et même avant eux, Les Supers Nanas. L’idée étant : le genre est bien plus déterminé par l’apparence que par le caractère des personnages dans ces dessins animés. Autrement dit : c’est par l’image et non par l’écriture que l’on genre en premier lieu les personnages [2]. Le gender bend se fait d’ailleurs assez simplement : le masculin est une représentation neutre, de base, là où le féminin se traduit par l’ajout de détails prédéterminés et caricaturaux sur ce modèle neutre (cheveux longs, cils, maquillage, bijoux...). Vieille conception esthétique, elle fonctionne encore mieux sur des personnages anthropomorphes tels que Mickey et Minnie. Nous sommes d’ailleurs tellement habitué·es à voir ces stéréotypes qu’il nous arrive de mégenrer des personnages s’ils n’en possèdent pas toutes les caractéristiques. Cela n’empêche pas que les personnages soient sympathiques et bien écrits, mais restreint la représentation des genres à des codes très précis et peu représentatifs de la diversité corporelle existante.
Star Butterfly, de Star VS the Forces of Evil, dessine un arc-en-ciel qui s’enflamme.
En ce qui concerne les personnages transgenres, ou du moins ambivalents quant à leur genre, ils sont souvent représentés comme négatifs, travestis ridiculisés par l’intrigue. Quelques rares contre-exemples, encore discutables, tels que Candy dans Les Zinzins de l’espace ou Lui dans Les Super Nanas existent, mais la binarité fixe et stable reste largement dominante. À part Kaeloo qui joue sur la fluidité de genre de son personnage principal, les séries tendent à insister sur l’appartenance binaire à un genre, surtout dans celles destinées aux plus jeunes, comme s’il était primordial dans leur éducation de faire une différence nette et précise entre une fille et un garçon. Dans le cas du preschool [3], comme il s’agit d’aventures linéaires et courtes, faciles à suivre pour les plus petit·es, on innove très peu, et le modèle dominant reste : papa travaille, maman est au foyer, les enfants sont genré·es sur le principe de la neutralité masculine. Exception faite des séries ludo-éducatives type Dora l’exploratrice, ces contenus audiovisuels sont très conservateurs dans leur construction et confortent l’enfant dans une sphère genrée appuyée. Des évolutions tendent cependant à apparaître, comme dans la série Paprika, où deux tigres anthropomorphes, jumelleaux, proposent des caractères plus diversifiés et uniques.
Gumball, personnage de la série The Amazing World Of Gumball.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les nouveaux modèles de production (crowdfunding) et de diffusion (Netflix en tête) ne changent pas entièrement la donne. Les dessins animés passant par le crowdfunding (Lastman, Asterion, Urbance) sont souvent destinés à un public adulte et n’offrent pas beaucoup de nouveautés sur la scène jeunesse. Du côté des nouveaux acteurs de diffusions, Netflix propose tout aussi bien de bons programmes, tel Puffin Rock, plutôt orientés preschool, que des œuvres « originales » tout droit sorties des années 1980-1990 comme Glitter Force et Ever After High. Ces dernières débordent de paillettes, de rose et autres éléments que l’on destine aux productions pour filles (comme si une licorne ne pouvait pas être super badass). Même les séries attractives, comme Troll Hunter, créée par Guillermo Del Toro, tournent autour du classique trio avec un héros blanc masculin entouré d’une fille raisonnable et réfléchie et d’un sidekick gros rigolo.
Korra en train de soupirer.
Il existe déjà des chaînes (américaines) qui n’adhèrent pas autant à cette dichotomie de genre (Cartoon Network en tête). Les Trois Ours, Teen Titans, Adventure Time, Les Super Nanas, toutes ces séries visent un public tant féminin que masculin de par leur casting et récits, même si les chaînes elles-même disent viser un public plus restreint (Cartoon Network se tourne officiellement vers les garçons).
De plus en plus d’auteurices, de dessinateurices et réalisateurices travaillent à démonter les clichés de genre dans les productions. On citera de nouveau Steven Universe, mais également Mon Chevalier et Moi qui se moquent allègrement des attentes de genre du spectateur. Tant au niveau de l’esthétique que de l’écriture, on observe une certaine évolution, mais la grosse majorité de la production occidentale préfère la facilité et suit doctement les caricatures vues et revues des dessins animés.
Garnet, de Steven Universe, nous demande d’aller nous amuser.
L’évolution doit aujourd’hui se faire du côté des producteurices, distributeurices et diffuseureuses. Ce sont elleux qui tiennent les cordons de la bourse et ont le pouvoir de proposer des séries novatrices, qui ne prennent pas les enfants pour des truffes et leur proposent différents modèles auxquels se rattacher.
[1] gender bend est l’acte d’interchanger le genre (dans une logique binaire) d’un personnage de roman, BD, série, films ou jeux vidéos.
[2] Dans le dessin animé, on créé, avant les scénarios, une charte graphique, avec une présentation des principaux personnages de la série.
[3] Preschool est une catégorie de programmes ciblant les enfants (sans distinction de genre) de 3-4 ans.
NB : les choix de dessins animés progressistes faits dans cet article sont personnels. N’hésitez pas à nous en proposer d’autres dans les commentaires.