5 mars 2019

Le matrimoine du 5e arrondissement : au-delà de la vitrine

Le matrimoine du 5e arrondissement : au-delà de la vitrine

Le patrimoine et le 5e arrondissement font bon ménage. Le quartier latin est presque un quartier-musée ; partout les vieilles pierres regorgent d’histoire. Tel café était le repère d’un écrivain connu, tel bâtiment abritait un monastère médiéval. Mais qu’en est-il du matrimoine ?

Cet article a été écrit par l'association Nina et Louise dans le cadre d'un partenariat. Cliquez ici pour en savoir plus et retrouver les autres articles consacrés au matrimoine parisien.

Nous connaissons, bien sûr, le Panthéon ou la bibliothèque Sainte-Geneviève. Les femmes panthéonisées sont, peut-être, les plus visibles du matrimoine parisien et national. Qu’il s’agisse des parcours pensés par l’association HF Île-de-France [1] pendant les Journées du matrimoine ou encore les sites Web qui évoquent ce sujet, le Panthéon est un incontournable, ainsi que les bâtiments de la culture légitime qui l’entourent. Nous souhaiterions, à dessein, les contourner et présenter un matrimoine plus caché.

Sainte Geneviève, sainte matrone de Paris, incarne souvent symboliquement la ville. Cette jeune femme de 28 ans a remis les hommes à leur place au moment de l’invasion des Huns au Ve siècle. Grâce à son enthousiasme et sa capacité à fédérer les femmes de la ville de Paris, Attila a épargné la cité. C’est ainsi qu’elle est devenu la matronne de la ville.

Mais au-delà du symbole, des femmes ont peuplé et vécu dans ces lieux, entre ces murs, dans ces rues. Celles-ci sont parfois renommées pour leurs œuvres ou leurs exploits, et d’autres fois elles sont inconnues. Leurs noms ont été oubliés ou n’ont simplement jamais été retenus. Ces personnalités ont pour seul point commun leur statut de femme et leur passage dans cet arrondissement si connu de Paris. Visitons donc ces lieux à travers leurs yeux.

La rue Clotilde

Derrière le fameux Panthéon, la rue longeant le lycée Henri IV porte le nom d’une femme : Clotilde. Il s’agit de la reine Clotilde (475-545), ancienne princesse burgonde et reine des Francs. Connue pour être l’épouse de Clovis, c’est ainsi qu’elle est présentée dans les écoles et sur Wikipédia. Ce serait elle qui l’aurait persuadé d’embrasser la foi chrétienne et de se faire baptiser en 496. La rue Clotilde rejoint la rue Clovis, sur laquelle s’ouvre le lycée Henri IV. Encore une fois dans l’ombre des grands hommes, la rue Clotilde marque l’emplacement de l’abbaye Sainte-Geneviève, détruite au XIXe siècle, qui conservait sa dépouille et celle de son époux. Mais plus qu’une épouse, Clotilde est une femme de pouvoir.

Clotilde a été canonisée vers 550, en tant que grande femme de foi. Très pieuse, elle finit d’ailleurs sa vie dans un couvent en tant que religieuse, et abandonne son titre de reine. Sa foi serait née à la suite d’évènements tragiques qui ont marqué son enfance. Sa famille, la cour de Chilpéric II, roi de Burgondie, a été assassinée par son oncle Gondebaud qui voulait récupérer tout le territoire burgonde. Seules sa sœur et elle ont été épargnées, selon une loi de l’époque qui voulait que les enfants en bas-âge ne soient pas tué·es lors des conflits.

Rescapée du massacre, Clotilde entame sa vie de cour et est rapidement jetée dans la fosse aux lions. La cour de Gondebaud, son oncle, n’est pas tendre et, si elle est toléré, elle se doit d’être parfaite en tout point. La sœur de Clotilde prend rapidement le voile mais Clotilde, bien que très croyante, reste à la cour. Elle brille par ses multiples talents. Elle impressionne tant Clovis par sa beauté et son intelligence qu’il demande à l’épouser. Elle devient ainsi la première reine de la dynastie mérovingienne. Mais à la mort de son époux, elle montre aussi ses qualités de femme de pouvoir, en tant que conseillère de ses trois fils, Clotaire, Childebert et Clodomir. Selon Grégoire de Tour, elle les aurait ainsi convaincus d’entrer en guerre contre le royaume burgonde (et ses propres cousins) pour venger sa famille. Elle est également à l’initiative de la mission de sauvetage de sa fille « Clotilde la Jeune », apparemment maltraitée par son époux Amalaric, le roi des Wisigoths. Enfin, elle tente de protéger ses petits-enfants, les fils de Clodomir, mort à la guerre en Burgondie. Mais elle ne parvient pas à les préserver de la soif de pouvoir de Childebert et Clotaire, leurs oncles. Fatiguée de la cruauté des hommes de sa famille, elle préfère se recueillir dans un couvent à la fin de sa vie.

En plus d’être une mère aimante, ce qui n’est pas très répandu à l’époque – le lien maternel n’était pas prôné par la noblesse – elle est aussi une grande bâtisseuse. Elle fait construire de nombreuses églises en tant que reine. Ainsi, même s’il est difficile de faire la distinction entre la légende et la réalité, les sources étant peu nombreuses, il est certain que, contrairement à la rue à laquelle elle a donné son nom, Clotilde n’a pas pas vécu dans l’ombre de Clovis. C’était une femme de pouvoir, avec des convictions et des actions concrètes.

Le Musée Curie

Descendons la rue d’Ulm : au croisement de la rue Pierre et Marie Curie, nous découvrons le musée qui leur est dédié. Tous deux sont panthéonisé·es, mais on remarque pourtant que Pierre passe avant Marie dans le nom de la rue. Marie s’appelle en réalité Marya Sklodowska, de son nom de jeune fille. Il nous a semblé important de la mettre en avant car en tant qu’immigrée polonaise et femme scientifique, elle est la seule représentante d’origine étrangère qui ait donné son nom à une rue dans le 5ème arrondissement. Elle parvient à faire ses études de sciences à Paris grâce à sa sœur Bronislawa. En effet, Marya est devenu gouvernante en Pologne pour envoyer de l’argent à sa sœur afin de payer ses études de médecine en France. En retour, celle-ci a financé ses études de sciences une fois devenue docteure en médecine. Marya Curie, à l’origine des recherches sur la radioactivité, reçoit deux prix Nobel : l’un de chimie, pour son travail avec son mari Pierre Curie, et l’autre de physique, pour ses propres recherches, en 1911. Elle est, à l’heure actuelle, la seule personne à avoir reçu deux prix Nobel dans deux disciplines scientifiques distinctes.

Ce qui est moins connu, c’est que sa fille, Irène Joliot Curie, à qui elle a transmis son amour des sciences, poursuit ses recherches et obtient le prix Nobel de chimie en 1935. Ève, son autre fille, devient une journaliste et diplomate française, notamment grande conseillère du secrétaire général de l’OTAN. Chez les Curie, il y a une histoire de grandes femmes qui continue encore aujourd’hui avec la fille d’Irène, Hélène Langevin-Joliot, elle aussi physicienne nucléaire. Derrière le nom de Marya se cachent toutes ces femmes illustres dont elle a été mère, grand-mère ou professeure mais surtout pionnière et inspiratrice.

La Rue des Ursulines

Continuons rue d’Ulm et tournons à droite vers la rue des Ursulines. Elle porte ce nom en référence à un couvent construit en 1608. Anne d’Autriche en plaça la première pierre mais le couvent fut créé par Madame Acarie, fondatrice de l’ordre des carmélites, et Madame de Sainte-Beuve, avec des Ursulines (de l’ordre de Sainte Ursule) venues de Provence – en effet, le couvent était le premier établi à Paris. Mais qu’a-t-il donc de si extraordinaire ?

Les jeunes femmes qui le composent, menées par Angèle Merici, en Italie, ne sont pas cloîtrées. Il s’agit de laïques qui travaillent à instruire les jeunes femmes et soigner les malades sans faire de vœux, ni être enfermées. C’est le pape Paul III qui, lorsqu’il reconnaît l’ordre en 1545, oblige les femmes à prononcer leurs vœux et vivre en communautés exclusives. Madeleine de Sainte-Beuve, en fondant le couvent à Paris, impose aux Ursulines de faire de même. Ainsi, le couvent devient un monastère en 1611 et la maison-mère d'une congrégation qui ouvre près de 300 maisons en France. Ce monastère reçoit des jeunes femmes de la noblesse mais aussi de la bourgeoisie. Fidèles à leurs premières vocations, les Ursulines font même la classe gratuitement aux jeunes filles pauvres. En 1798, le monastère est rasé pour des raisons obscures, après l’évacuation en 1792 de ses 49 dernières religieuses. En 1807, la rue a pris le nom de ce lieu exclusivement féminin presque oublié.

Le Cabaret du Père Lunette 4 Rue des Anglais

Après cet exemple de matrimoine religieux, remontons la rue Saint-Jacques, puis, arrivé·es boulevard Saint-Germain, tournons à droite et enfin à gauche rue des Anglais. Au numéro 4 de cette rue se trouvent encore les vestiges du cabaret du Père Lunette, aujourd’hui devenu le siège des éditions l’Apprimerie. Son décor de peintures murales a été inscrit comme monument historique en 2007 notamment grâce à Lyne Cohen-Solal, adjointe au maire de Paris. Ce cabaret était un lieu plutôt malfamé de Paris entre le XIXe et le début du XXe siècle, mais beaucoup d’artistes et de penseureuses le fréquentaient. Parmi elleux, on pouvait trouver Louise Michel, qui habite encore ses murs. En effet, son portrait est clairement représenté sur les fresques du café. Cette militante anarchiste, ancienne institutrice qui a combattu toute sa vie pour la liberté, venait ici pour chercher du soutien, notamment lors de la Commune. Ici, elle est montrée en buste, la chevelure lâchée sous son chapeau à large bord, le regard droit, rivé vers le spectateur. Nous vous présenterons plus amplement son travail à travers notre article sur le 18e arrondissement, où elle a beaucoup œuvré.

Le Paradis Latin 28 rue du Cardinal Lemoine

Achevons enfin notre pérégrination en revenant boulevard Saint-Germain pour rejoindre la rue du Cardinal Lemoine. Au 28 se trouve encore le Paradis latin, l’un des plus anciens cabarets parisiens. C’est ici qu’Yvette Guilbert, comédienne et chanteuse, fait ses débuts dans le milieu dans la chanson. Cette jeune femme a d’abord des difficultés à percer à cause de son physique et sa personnalité haute en couleur. Sa silhouette mince, au long cou et au nez proéminent, ne correspond pas aux canons de l’époque : des femmes en chair et pulpeuses. Yvette Guilbert n'essuie d'abord que des échecs. C'est vers 1890 qu'elle parvient à s’affirmer, notamment grâce à un savant contraste entre sa silhouette, immortalisée par Toulouse-Lautrec (chevelure rousse, robe proche du corps et longs gants noirs, sa signature), et un port de tête distingué qui contraste avec le répertoire grivois de ses chansons. Elle affirme sa personnalité amusante qui semble surprendre face à son physique. Elle dévoile toutes ses qualités de chanteuse et comédienne en provoquant la morale prude de la bourgeoisie de l’époque. Le public « montmartrois » et lettré qu'elle conquiert au Divan japonais le comprend bien ainsi. Elle a diffusé ce répertoire des cafés-concerts même dans les classes hautes de la société : tout Paris et même l’étranger la connaissaient comme symbole du café-concert parisien dans toute sa richesse.

Ainsi s’achève notre tour du 5e arrondissement et de son matrimoine caché. Il y aurait encore beaucoup à dire et à voir : le musée de Cluny, la place Jacqueline de Romilly, les jardins du Luxembourg et bien d’autres. N’hésitez pas à ouvrir les yeux : le matrimoine, s’il est caché, est bel et bien présent. Des milliers de femmes ont marché sur ces pavés, dans ces rues. Si certains noms ont été oubliés, toutes habitent encore ces murs. Il ne tient qu’à nous de les redécouvrir.

Pour aller plus loin

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