5 septembre 2016

Musique punk et visibilité queer

Musique punk et visibilité queer
Le punk est un genre musical qui n’aime pas beaucoup les systèmes oppressifs. Les punks aiment à refuser l’injonction honteuse qui est faite aux musicien·nes de savoir jouer de leur instrument proprement ou celle qui leur interdirait d’allier leur iroquoise verte à leurs collants troués pour aller travailler ou étudier. Cela étant dit, il s’agit tout de même principalement de remettre en cause la société et ses injustices, ses violences envers les personnes marginalisées.

Cependant, si l’on demande au grand public de citer les figures qui lui semblent représenter le punk, on nous parlera des incontournables Sex Pistols, de Black Flag et The Exploited pour les plus connaisseureuses, Green Day pour les plus ouvert·es d’esprit. Quelque chose vous saute aux yeux ? Je n’ai pas dressé une liste exhaustive des groupes punks rentrés dans la culture collective, mais même en étoffant, la grande majorité d’hommes cisgenres et hétéros reste indéniable. Dans la revendication des textes également, la société classiste et déshumanisée est violemment décriée, les gouvernements hués mais les luttes féministes et queer sont souvent laissées de côté, et pour cause. La musique « revendicative à guitares prédominantes », terme que j’utiliserais pour englober également le metal et le rock en général, est un milieu très masculin, quand il n’est pas totalement viriliste et misogyne. Elle a historiquement très peu laissé leur place aux femmes et encore moins aux orientations sexuelles marginalisées et aux autres identités de genre.

Deux personnes assises sur un lit, dont une avec la moitié du crâne rasé, les cheveux verts et une guitare sur laquelle 2 signes féminins sont imbriqués.

Mais ce n’est pas un procès aux nombreux côtés problématiques des punks et consorts que nous voulons faire ici. Rappelons d’ailleurs que Billie Joe Armstrong, chanteur et guitariste de Green Day, est ouvertement bisexuel, et ses chansons comme « King For a Day » (sur le travestissement) ou « Coming Clean » (sur le coming-out) témoignent d’une volonté d’utiliser la musique punk pour soutenir les personnes queers.

Néanmoins, quand on parle punk queer, queercore ou queerpunk, on ne parle pas de « quelques chansons » mais de personnes queers s’étant réellement emparées du mouvement, en en faisant un amplificateur pour leurs causes spécifiques. Cette scène particulière existe bien et le genre se porte même de mieux en mieux au fur et à mesure du succès auprès du public queer en quête de représentation, mais aussi de l’enthousiasme général dû au vent de fraîcheur apporté par des artistes brisant l’homogénéité cismasculine entretenue jusque-là. Il est à vrai dire logique que la combinaison fonctionne, tout est là pour produire des chansons punk de qualité : la rage de l’exclusion, la différence, le discours foncièrement subversif et parfois un petit renouveau dans l’esthétique qui nous change des bracelets de force et vestes à clous.

Que ce soit pour la représentation queer qu’il revendique, pour l’empowerment inestimable qui se dégage de textes criés sur des riffs agressifs, ou pour le plaisir de voir sa musique de rébellion préférée s’ouvrir à de nouveaux horizons de combats sociaux, on a tou·tes une bonne raison d’écouter du punk queer. C’est d’ailleurs à cet effet que je vous propose ci-après une petite sélection éclectique pour faire cracher vos enceintes de basse qualité lors de vos meilleures soirées bière post-manifestation.

Hors-compétition : Première percée grand public Joan Jett

C’est un peu de la triche, certes, Joan Jett s’est toujours revendiquée du rock’n’roll (qu’elle aime) plus que du punk, mais il est impossible de passer à côté de l’immense impact de la certifiée quadruple disque de platine. Elle est la personnification de la reprise en main de la guitare distordue par les femmes et est parfois considérée comme la « Godmother of Punk ». Bien qu’il faille respecter son choix de ne pas communiquer sur sa sexualité, son attitude et ses textes ont contribué à populariser une certaine idée de la liberté d’orientation et d’expression de genre non seulement chez les femmes mais aussi dans le milieu rock puis punk en général.

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Aux origines du queercore Team Dresch

Fondé par Donna Dresch et comptant dans son line-up Kaia Wilson et Melissa York, futures fondatrices de la formation plus pop-rock The Butchies (le nom est évocateur), le groupe composé uniquement de lesbiennes sera un des représentants les plus emblématiques de la scène queercore des années 1990. Donna était effectivement extrêmement active dans les différents magazines et labels indépendants queercore de l’époque, fomentant une petite révolution culturelle face à un mouvement queer qu’iels sentaient sur le déclin. Quant à la musique de Team Dresch, le son mêlant punk hardcore, voix claires et indie rock est un incontournable.

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Le coming-out retentissant Against Me!

Against me! était déjà une formation anarcho-punk très populaire quand Laura Jane Grace est devenue un symbole pour la communauté transgenre en faisant publiquement son coming-out de femme trans dans un article pour Rolling Stone en 2013. À la suite de l’évènement, l’album Transgender Dysphoria Blues s’imposera comme l’un des plus beaux réservoirs à hymnes punk et trans, commentaire sur la détresse de la dysphorie servi par une énergie incarnant le refus de se justifier face au monde et l’importance du vécu trans. Laura Jane Grace a également présenté dans la foulée un très bon webdocumentaire gratuit intitulé True Trans ayant pour sujet son parcours et la situation trans aujourd’hui, devenant une importante porte-parole de sa communauté.

Morceaux conseillés :

Et regardez le webdocumentaire (oui faites-le !)

Hardcore sans concessions G.L.O.S.S. (Girls Living Outside of Society’s Shit)

Assez peu d’informations sont disponibles sur ce groupe indépendant d’Olympia mais on peut, pour donner le ton, lire dans les tags de leur Bandcamp « badgirlcore » ainsi que « transbitcheswithproblems ». Leur deux EP très courts sont un concentré d’une fierté trans et féministe ne cachant pas son agressivité. Il s’agit ici de prévenir le patriarcat qu’il a bien rigolé jusque-là mais qu’il va maintenant sévèrement déguster. L’écoute de G.L.O.S.S. est une expérience cathartique rappelant les premiers groupes de punk hardcore, dans une violence musicale et textuelle qui divisera forcément selon les goûts et la sensibilité de chacun.

Morceaux conseillés :

Queerpunk de la fabulosité PWR BTTM

PWR BTTM est composé de Liv Bruce et Ben Hopkins (gender neutrals), s’échangeant régulièrement les rôles à la guitare, à la batterie et au chant. Le groupe pourrait presque se passer de musique, l’esthétique drag baroque l’habillant ayant de quoi s’imprimer sur les rétines durablement. D’un autre côté il serait dommage de se priver de l’écriture punk-rock/garage/glam super efficace qui fait s’écouler délicieusement leur premier album Ugly Cherries dans vos oreilles sans même que vous ayez vu passer la petite demi-heure qu’il nécessite. Une ode réjouissante à la confusion des genres sur des instrumentaux tirant le meilleur parti de l’alchimie guitare électrique-batterie, en gardant une touche de « gay-mazing » (terme tiré du titre « Nu1 »).

Morceaux conseillés :

L’avantage de la musique punk queer, c’est que le niveau de technique instrumental permet à chacun·e de reprendre les morceaux dans sa chambre ou dans sa salle de concert locale sans trop de problèmes. Comme le veut le genre, il y a une proximité avec l’auditeurice qui permet une identification très empowering et parfois salvatrice. Pour les jeunes personnes queer, il s’agit également d’un milieu et de concerts agréables à fréquenter car bien souvent parmi les plus safe du monde de la musique. Reste que malgré toute l’ébullition autour de ces mouvements, la scène mainstream reste bien tristement déserte de groupes queers revendiquant leur identité, à quelques rares exceptions. N’oublions pas en passant de soutenir les formations modestes en préférant acheter directement la production à l’artiste plutôt qu’en téléchargeant illégalement (quand vos finances vous le permettent). C’est aussi comme cela que l’on finit par tirer nos groupes favoris sur le devant de la scène.

Cette sélection est loin de représenter exhaustivement les dizaines et dizaines de groupes queers affiliés au punk qui méritent d’être écoutés ! Il s’agit d’un panorama tentant de donner une idée de la diversité et des talents en présence, mais n’hésitez pas à nous recommander vos groupes queers préférés, on ne connaît jamais suffisamment la grande diversité des talents émergents ou oubliés par la cruelle histoire de l’industrie musicale.