1 novembre 2016

La pilule rouge du féminisme

Trigger Warning : mentions de chiffres sur les viols et agressions sexuelles, évocation de meurtres transphobes
La pilule rouge du féminisme

« Féminisme : mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société. »
Larousse

Le féminisme fait peur. Le féminisme fait réfléchir. Mais surtout, le féminisme fait ouvrir les yeux. Et une fois cette étape passée, faire machine arrière est impossible.

Une révélation à double tranchant

Découvrir le féminisme (dans son ensemble) c’est se dire que toutes les frustrations que nous vivons, nous n’avons pas été seul·es à les ressentir. C’est apprendre, comprendre, se développer. On découvre que ce que nous traversons tous les jours n’est pas normal. On lit des chiffres affolants sur les violences, le racisme, la transphobie. On se renseigne autour de nous, on découvre des facettes de notre entourage que l’on ne connaissait pas. Tout un pan de la réalité s’ouvre.

On apprend un tas de nouveaux mots (cisgenre, asexuel·le, agenre, non-binaire, misogynoir), qu’on utilise parfois à tort et à travers le temps de bien en saisir le concept. On fait la rencontre de personnes pleines d’amour, de hargne, de colère. Ça effraie, d’abord. Et puis ça se transmet, ensuite.

« Le féminisme a changé ma vie. Je ne dis même pas ça de façon lyrique : il a transformé mon rapport au monde, pour le meilleur comme pour le pire. Il m’a fait réaliser que toutes les micro-agressions que je subissais depuis mon enfance, auxquelles je réagissais mal, n’étaient pas anodines, et que j’étais dans mon droit d’être en colère. Que j’étais dans mon droit d’aller mal et d’aller chercher de l’aide pour ça, que je n’étais pas faible pour autant. Il m’a fait découvrir de nouvelles problématiques (en matière de racisme et de transphobie notamment, puisqu’il s’agit de sujets qui ne me concernent pas directement). »

@SpoonieKarrie

« Le féminisme a élargi mes horizons, c’est par ce biais que j’ai pu voir aborder la question du genre par exemple. J’ai découvert plein de personnes chouettes. J’ai appris que ce qui est connoté féminin, “girly”, n’est pas inférieur. J’ai appris que le travail que je suis amenée à faire à la maison (organisation, ménage…) a une valeur. J’ai appris que j’ai le droit de ne pas vouloir d’enfants et de bien le vivre, et j’ai appris que si je suis amenée un jour à faire une IVG ça n’aura pas à être le drame de ma vie (je sais pas comment je réagirais si c’est le cas, note, mais le discours de culpabilisation autour de ça je vois maintenant que c’est de la merde). »

@HiraSeum

L’envers du décor de nos séries, films et bouquins préféré·es

Nos goûts se modifient. Notre série préférée devient subitement pleine de défauts. Ou plutôt, on voit enfin les défauts qui étaient là dès le départ. Friends revient souvent dans les séries cultes mais problématiques. Non seulement il n’y a que des blanc·hes cisgenres et hétéro, mais en plus, comme la majorité d’entre elleux, iels posent problème. Joey est un fuckboy de compétition, Ross un nice guy de base…

Bizarrement, découvrir une nouvelle série pleine de clichés peut être moins difficile que de découvrir les clichés d’une qu’on connaît déjà. Sûrement parce qu’on n’y a pas passé des heures et qu’on n’a pas d’attachement émotionnel. De plus, quand on devient féministe, on sait que peu importe ce que l’on va lancer, il y aura une bonne dose d’environ toutes les oppressions possibles dedans. Le féminisme, c’est parfait pour faire du tri dans ce qu’on s’impose : on y va en connaissance de cause. On n’ingurgite plus des sottises sexistes sans savoir que c’en est. Ça ne veut pas dire qu’on arrête de regarder Friends, non. En revanche, on voit enfin tout ce qui ne va pas. Et ça, c’est épuisant.

« J’ai changé de goûts, sans m’en rendre compte je fais plus attention. Il y a des films que je n’aimerais pas regarder alors que certains je les aurais aimés plus jeune. Pareil pour les séries. Je suis bien moins patiente. »

@queenfuriosa_

« Y’a pas à dire je vois beaucoup mieux les mécanismes d’oppression maintenant. Et le sexisme de certaines blagues, etc. Du coup ça me “gâche” des divertissements (je parle de séries, de BD, etc. ) – enfin c’est la faute du sexisme et pas du féminisme si ça pue, mais je le vois parce que je suis renseignée maintenant. Et c’était plus facile de pas l’être. »

@HiraSeum

« Il [le féminisme, NDLR] a aussi pulvérisé un genre… d’innocence, que j’avais. Je ne peux plus regarder de films, lire de livres, sans me questionner sur des tropes qui reviennent sans arrêt, souvent au détriment de communautés bien précises. »

@SpoonyKarrie

Au-delà des séries, films et autres livres et émissions, le féminisme nous rend beaucoup plus conscient·es de tout. Notamment de tous les risques qu’on encourt simplement en n’étant pas un homme cisgenre et hétéro.

Une réalité de tous les jours

À Paris, « 100 % des utilisatrices des transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou agressions sexuelles, conscientes ou non que cela relève de ce phénomène ».

Plus généralement, et quel que soit le lieu, « les jeunes femmes sont particulièrement concernées par les agressions sexuelles. Dans plus de 50 % des cas, la 1re agression intervient avant 18 ans » (source), 1 femme sur 6 est victime de viol ou tentative de viol, 1 femme sur 4 d’agression sexuelle. 1 viol a lieu toutes les 8 minutes en France (source).

Et ces chiffres, nous les connaissons. Nous vivons avec. Alors forcément, on est bien plus sur nos gardes.

« Je me suis mise à observer et constater le sexisme au quotidien. Ça correspondait en plus à la période où je suis arrivée à Paris et où je sortais beaucoup me promener. Le harcèlement de rue a été une sacrée claque dans la gueule, parce que même si je l’avais déjà un peu vécu chez moi à Nantes, je sortais alors beaucoup moins donc me rendais moins compte de son omniprésence et du fait que je n’avais pas ma place dans la rue et dans l’espace public en général. »

@Paprikaf

Mais surtout, le féminisme c’est comprendre et accepter d’être soi-même, avec les autres.

« Le féminisme ça m’a apporté beaucoup de choses.
J’ai acquis de la culture, je me suis renseignée sur plein de choses, j’ai fait des tas de recherches que ce soit historiques ou actuelles sur le féminisme. J’ai aussi gagné plus d’intérêt envers la politique. Ça m’a vraiment enrichie car je me sens beaucoup plus cultivée depuis que je me désigne comme féministe. J’en apprends tous les jours.
Ça m’a apporté de la confiance en moi, comme quoi le slutshaming ce n’est pas normal, j’ai tout à fait le droit de faire ce que je veux de moi comme je veux. Je me sens plus à l’aise avec mon corps. J’ai appris à relativiser à son propos. Ma cellulite, mes poils, mes kilos en trop, mes vergetures. J’ai appris à les accepter, même à les aimer parfois. Je me maquille comme je veux, m’habille comme je veux, y’a plus de règle si ce n’est les miennes que je m’impose seule.
Ça m’a aussi appris que j’avais le droit de dire non, et j’aurais aimé le comprendre plus tôt. »


@queenfuriosa_

Devenir la féministe de service

Quand on devient féministe, souvent, les rapports avec notre entourage changent, On ne rigole plus aux blagues oppressives du frangin, on réagit quand un copain traite mal une fille, on reprend les copines sur les expressions inconsciemment racistes… Et parfois, la transition ne se fait pas sans heurts.

Accusé·e d’être devenu·e un·e « féminazi·e », de ne plus être drôle, de « prendre les choses trop au sérieux », il est compliqué de faire comprendre à nos ami·es, collègues et famille que ça n’est pas par esprit de contradiction, pour « faire chier le monde » qu’on râle beaucoup, mais parce que le monde est profondément sexiste.

« Quand j’ai commencé à militer, je n’ai eu que des réactions négatives : pour certains membres de la famille, j’étais trop véhémente ou le féminisme n’était plus nécessaire. J’ai perdu quelques ami·es (mais j’en ai gagné aussi dans le milieu, donc bon). Quant à ma relation amoureuse, mon copain ne comprend pas toujours mais me soutient de plus en plus, même si on est souvent en désaccord du fait de son éducation. »

Vimairetta

Féministe, un travail à temps plein

Quand on vit une oppression quotidiennement, ça n’est pas facile de laisser couler ou d’oublier le temps d’une soirée. Le sexisme impacte profondément notre vie, à tous les niveaux. Que ça soit notre rapport aux autres (harcèlement, agressions, insultes, micro-agressions quotidiennes), à nous-même (troubles alimentaires, sexisme intériorisé, transphobie intériorisée…), à notre travail (salaire, accès aux postes, reconnaissance…), nos loisirs… Tout. Pour certain·es, c’est une question de vie ou de mort : la transphobie tue – depuis 2008, 1 612 meurtres ont été rapportés dans 62 pays (chiffres de 2014) – et tous les 3 jours une femme meurt sous les coups de son compagnon (source).

Alors oui, on peut décider de continuer à regarder notre film préféré régulièrement même s’il est problématique, on peut choisir de laisser passer une remarque oppressive sans rien dire parce qu’on est fatigué·e et qu’on n’a pas envie de lancer un énième débat. On peut choisir de ne pas réagir, de prendre sur nous ponctuellement. Mais ça n’empêche pas les oppressions de continuer, inlassablement.

On peut choisir de ne pas réagir au sexisme, pas de ne pas le vivre.

Pilule bleue ou pilule rouge, il faut bien choisir, il n’y a pas de retour en arrière possible.