
Le 22 novembre 2016, à la fin de mon article sur « La place des femmes en archéologie : entre plafond de verre et harcèlement sexuel » j’ai lancé un appel à témoignages aux étudiantes, doctorantes et docteures en archéologie afin qu’elles puissent me faire parvenir leurs expériences sur et hors chantiers.
Vous avez été très nombreuxes à relayer cet appel, je pense notamment à @payetontafblog, au site francophone pour la condition des femmes sur tous les continents @TERRIENNESTV5 et à @TV5MONDE, merci encore pour votre soutien et vos encouragements. Vous avez été plus nombreuxes encore à me transmettre vos histoires dans les commentaires de l’article mais également par le biais de messages privés, merci de votre confiance et de votre courage.
Dans ce nouvel article, j’ai tenté de rassembler dans un tout cohérent les expériences qui me sont parvenues, cela va des propos sexistes aux cas de harcèlement sexuel. Je n’en ai gardé qu’une quarantaine car les personnes qui sont venues me trouver n’ont pas toujours tenu à ce que leur témoignage soit publié. Pour celleux cherchant uniquement quelqu’un·e qui serait là pour vous écouter, mes messages privés resteront ouverts aussi longtemps qu’il le faudra.
« Sur un chantier de fouille où la chaleur me poussait à privilégier le short et le débardeur, j’ai eu la tâche de nettoyer une zone en contrebas. Pour me confier ce travail, j’ai eu droit à la phrase
“tu passes le balai, comme tu sais le faire. Et moi je reste au-dessus comme ça je surveille et je peux mater tes seins”. Je n’ai jamais été aussi mal à l’aise de devoir fouiller les fesses en arrière et le décolleté visible (moi qui pratique pourtant sans gêne le monokini à la plage). »
« Il n’est pas évident d’être archéologue et féminine. Il n’est pas rare de se choper des remarques du type :
“Ah mais tu t’es déguisée en fille aujourd’hui !!!”»
« Mon premier chantier, une petite équipe, une bonne ambiance, trois filles et quatre garçons. Le responsable était un peu taquin avec les filles dont moi, mais bon je n’y faisais pas plus attention que ça, je fais très facilement abstraction. C’est quand il a sorti :
“C’est fou quand même ! De mon temps, les femmes étaient beaucoup plus minces. Aujourd’hui, à 20 ans, vous avez déjà le corps d’une femme de 35 ans qui a eu trois enfants…”le tout en nous reluquant toutes les trois de bas en haut sans aucune gêne de sa part, que je me suis dit que ce type avait un problème. J’ai donc répliqué : “Oui c’est sûr en temps de guerre ça devait pas être facile…” histoire qu’il comprenne qu’il se comportait comme un vieux macho. Il a fermé son clapet, les autres ont ri de cette situation, mes copines m’ont félicitée plus tard pour ma remarque. J’étais furieuse mais contente de moi. »
« Deux exemples notables pour moi : – Accusée publiquement lors de ma soutenance de master d’avoir offert mes charmes à des spécialistes (en photos, statistiques, géologie) pour rassembler et construire une bonne documentation illustrant mon propos. Branlebas de combat ensuite dans mon labo pour prendre ma défense, ouf !
– Interdiction formulée explicitement le mois dernier par mon directeur de thèse d’avoir un enfant durant la thèse (car suite logique après mon mariage vous comprenez). »
Maria
« Les exemples cités dans l’article m’ont littéralement sauté au visage, je me suis rendue compte que j’avais subi et que (malheureusement) je subis encore cela [le racisme et le sexisme]. Mais bien sûr, on ne dit rien, on se retient parce que l’on ne veut pas se retrouver sur la touche après sept années de travail.
J’ai été pour la première fois confrontée à ce sexisme en licence lors d’un cours de langue ancienne, un jour j’ai été absente à cause d’une grippe carabinée. Mon professeur est donc allé demander à mes collègues en bibliothèque où j’étais, non pas en m’appelant par mon nom ou mon prénom mais en m’appelant“la belle basanée”. Je ne sais pas ce qui a été le plus horrible pour moi entre ne rien pouvoir répliquer à ce professeur, ou mes collègues qui trouvaient cette réflexion vraiment très drôle et pour certaines je devais même être flattée. »
« Je viens ajouter ma pierre à l’édifice mais, contrairement à beaucoup d’entre vous, je n’ai pas eu de remarques de mon chef de chantier mais d’un spécialiste des monuments historiques… Ce monsieur est entré dans la salle où je fouillais avec une autre collègue : il ne s’est pas présenté et ne nous a pas dit bonjour. Mon amie et moi étions en train de retirer un sol en calade à la pioche, cela faisait presque 2 heures que nous [y] étions, en sueur et un peu fatiguées, avec des pierres de 10 kg en moyenne. Le gars nous regarde, se tourne vers mon chef et lui dit
“Pour des filles, elles se débrouillent pas mal avec une pioche !”. J’étais à deux doigts de lui lâcher une pierre sur le pied. Cette même personne est allée voir une autre fouilleuse dans l’autre salle, qui était en train d’enlever des dalles en pierre au-dessus d’une sépulture, et lui a dit“Cela ne vous gêne pas ce travail de manutention en tant que femme ?”. Euh comment dire ? Je ne suis pas sûre que ce soit aussi le kiff des hommes mais il faut le faire ! Bref, ce vieux schnock ne nous disait jamais bonjour car nous étions de la petite main-d’œuvre ! Même mon chef le trouvait très limite… Mais je reste quand même sans voix devant toutes ces attitudes déplacées et sexistes ! À part ce petit incident, je n’ai jamais eu de problème sur mes chantiers… C’est hallucinant quand même ! »
Marine
« Je n’ai jamais eu vraiment de souci dans le secteur professionnel. Mis à part se faire klaxonner par des boulets qui passaient en voiture, mais bon… c’est pas dramatique ça. Sinon des remarques que moi je trouve flatteuses, souvent de la part des conducteurs d’engin ou de mecs du BTP, quand on travaille en co-activité, genre à un barbecue :
“Mais comment tu fais pour avaler tout ça ? Tu le mets où ?”“Ben je creuse des trous de plus d’un mètre à la main, ça donne la dalle, pardi”“Ouais c’est vrai, on t’a vue faire, c’était impressionnant d’ailleurs”(pour info, je fais même pas 1m55). Alors oui, l’idée que les filles font que picorer (et encore ! que de la verdure !) et ne sont pas musclées a la vie dure, mais c’est toujours bien de pouvoir donner la preuve par l’exemple, et de voir que certains commencent à comprendre ! »
Stabb
« Pour ma part je n’ai heureusement pas connu de harcèlement sexuel mais je connais bien ces petites remarques, en chantier ou à la fac, qui peuvent parfois même venir des amis qui ne s’en rendent pas compte. Par exemple, lors de ma deuxième année sur mon chantier préféré on nous avait confié à deux amies et moi la tâche de décaisser une couche à la pioche, un boulot apparemment de “bonhomme” car à peine 5 minutes après que l’on ait commencé, trois amis arrivent et se plantent en surplomb pour nous regarder puis dans un élan de “pitié” nous prennent les pioches parce que
“c’est trop fatiguant pour une fille ça, on va le faire pour vous”. »
Eloïse Chou
« Pour replacer le contexte, l’homme en lui-même est très désagréable à tout point de vue, mais c’est un bon archéologue. Du coup, sur le terrain, il est moins lourd qu’en post-fouille ou dans la vie quotidienne. Mais là, j’ai eu le malheur de me retrouver sur un secteur en étant la seule fille. On fait chacun·e nos petites affaires en dégageant pas mal de pierres sans intérêt. Du coup, à moment donné, la brouette est pleine et il faut la vider. Comme je suis la dernière à y avoir vidé mon seau, naturellement, je prends ma brouette et me mets en route pour la vider plus loin. Là-dessus, mon chef débarque en me disant (sans agressivité) de
“ne pas m’embêter, que c’est lourd et que ce n’est pas à moi de la porter.”Je lui dis que mes collègues masculins sont occupés et que ça va, je peux porter la brouette, et je me plante là. Ça aurait pu s’arrêter là, mais il est parti engueuler mes collègues masculins parce qu’ils m’avaient laissé porter la brouette toute seule. C’est assez anecdotique, mais c’est la seule qui me vienne à l’esprit clairement. J’ai la chance de ne pas subir le sexisme au quotidien dans mes études. »
« Les remarques ne s’arrêtent pas aux chantiers et parfois viennent de personnes très proches de nous sous forme de blagues, mais quand on y repense un garçon avec comme directeur de mémoire une femme n’entend pas souvent
“Ah je comprends mieux comment tu es arrivé avec elle en mémoire !”. Oui j’ai beaucoup d’humour, d’autodérision mais cette fois-là j’ai seulement répondu“parce que je suis pas assez intelligente ?”»
Eloïse Chou
« Le sexisme s’est manifesté lorsque j’ai choisi mon sujet de mémoire : les armes. Pas féminin, trop violent, je ne pourrais pas bien comprendre, pas adapté à ma manière d’appréhender les objets parce qu’objets (soi-disant) associés aux hommes…
“Tu ne serais pas plus intéressée par la parure dans le fond ?”;“Mais tu fais ça pour avoir plus d’hommes dans ton entourage universitaire ?”; … Et quand j’ai annoncé à certains autres étudiants que je m’intéressais à la présence d’armes dans les tombes de femmes : COMBO !“Tu sais les études de genre c’est un truc de féminisme, fais attention à pas te faire embrigader”;“Faut pas chercher à parler des femmes en archéologie, c’est pas forcément pertinent. L’univers des femmes c’est celui de la maison, pas celui de la guerre et du pouvoir”… Des punchlines d’anthologie dont je ne vous donne que des extraits. »
Mylène
« Je suis pas en archéo mais en histoire de l’art, mais la prof dont je vais parler enseigne aussi en licence histoire de l’art et archéologie. Alors pour le contexte : cours d’histoire de l’histoire de l’art moderne. La professeure lance, sans réel rapport avec son cours, que
“es gender studies sont un domaine de pseudo-recherche pour des historiennes de l’art sans qualification et sans talent.”Voilà c’était y a deux semaines et… Une semaine avant que je lui présente mon oral centré sur La place des femmes à la période moderne. Sachant que je suis en pleine gender studies. »
« Une des scènes sexistes à laquelle j’ai assisté dans le domaine de l’archéologie et qui m’a le plus marquée s’est produite durant une soutenance de thèse. Une jeune femme venait soutenir sa thèse qu’elle préparait depuis des années. Un travail incroyable, les compliments pleuvaient, elle avait effectué un travail extraordinaire. Le président du jury s’est alors levé, il commence à la féliciter, tout le monde se sourit, heureux pour cette doctorante, et là ce ponte de la discipline s’exclame
“Il faut que je vous avoue que je suis étonnée que ce travail ait été fait par une femme”. Stupeur dans l’assemblée, on entend quelques petites exclamations timides. Les professeurs à côté du président font la moue. La doctorante était prise au piège, ne pouvant répondre devant toute l’assemblée à ce grand chercheur… En espérant de ne plus jamais assister à de telles situations ! »
« En arrivant en master où les stages en archéologie devenaient de plus en plus fréquents, j’ai commencé à vouloir travailler avec les professeurs de mon université en proposant ma candidature. Et c’est là que j’ai commencé à avoir des réponses plus que sexistes de la part des professeur(e)s, oui hommes et femmes me refusaient une place sur leur chantier, car : Il ne voulait
“pas trop de filles afin de ne pas avoir un champ de bataille sur le terrain”car c’est bien connu les femmes ne savent pas se tenir et se crêpent le chignon en permanence.
Il ne veut pas de filles“trop agréables à regarder comme vous pour ne pas tenter les hommes et avoir des soucis de harcèlement sexuel à régler ou des mecs pas assez concentrés sur le terrain”.
Elle préfère“éviter de prendre des femmes sur son chantier car le terrain est vraiment physique”à cela on a souvent envie de pointer du doigt nos pauvres collègues masculins qui ont des bras aussi épais que mes pouces, mais on se retient et on rappelle que sur notre CV il est mentionné la pratique de sport à haut niveau depuis plusieurs années… Cette réflexion provient d’une professeure ce qui pour moi rend la chose encore plus aberrante. »
« Quand j’avais 17 ans, j’ai assisté à une scène qui m’a profondément marquée. Ma cheffe de secteur, qui était aussi la femme du patron, faisait son taf et gérait son équipe, correctement et avec professionnalisme. Un nouveau fouilleur est arrivé et il a atterri dans notre équipe. Du haut de ses 20 ans, il n’a fait que répondre effrontément à sa cheffe de secteur à chaque fois qu’elle lui adressait la parole. Il n’en faisait qu’à sa tête, ne respectant pas les consignes de fouille et quand à la fin de journée ma cheffe a pété son câble en disant qu’elle était la responsable du secteur et qu’il devait lui obéir car s’il faisait une connerie c’était pour sa pomme, il lui a simplement répondu :
“Je n’obéirai jamais à une femme !”. »>
« De mes 18 à 22 ans, lors de mes études d’archéologie, j’étais en couple avec un archéologue professionnel. Même en couple et devant mon mec, je me faisais régulièrement draguer lors de soirées par des ingénieurs du SRA (Service régional de l’Archéologie) ou des responsables d’opération. Cela me déplaisait fortement et je le faisais savoir. Lorsque nous avons rompu avec l’archéologue, il m’a balancé que je n’arriverais jamais à percer en archéo car je ne me laissais pas draguer par mes supérieurs. Mon propre mec me disait ça !!! La honte !!! Après la rupture, j’ai persévéré, j’ai continué à être droite dans mes bottes et à ne pas rentrer dans le jeu de la drague. Cependant, quelques années après la rupture on m’appelait encore “ex madame…”. Il a fallu que je me fâche fort pour que cela cesse. Je trouve que le sexisme en archéo est aussi bien féminin que masculin. Ce sont souvent les femmes qui, par jalousie, évoquent la “promotion canapé” envers les autres collègues femmes. Pour conclure, le milieu archéo n’est pas évident pour une femme mais depuis 15 ans de boutique, je le vois progresser malgré tout. »
« Bon, un commentaire de plus… Je pense que c’est sur les chantiers programmés que j’ai le plus subi cette oppression. Il y a une espèce de tradition perverse qui joue sur l’humour et qui dit
“un chantier sans baise c’est pas vraiment un chantier”. Et puis les “morues” finalement, quand elles prennent mal une remarque (ou deux, ou dix) c’est parce qu’elles comprennent rien à l’humour. J’ai eu des tas d’expériences du genre depuis que j’ai commencé. Premier chantier, le logement en dur avait un dortoir pour 6 personnes, on était 10 filles et 1 mec. Le mec a eu le dortoir pour lui tout seul et nous sous la tente avec -2° C la nuit (on aurait pu y rentrer dans ce dortoir, et lui dormir sur le canapé, mais non). Commentaire du chef“vous savez ce qu’il vous reste à faire”. Quoi, niquer pour avoir un matelas ? Ou encore les commentaires du genre”t’assoies pas là tu vas rubéfier la couche espèce de chaudière”… C’est une “blague”… Au bout d’un moment c’est vraiment insupportable. »
« C’était mon premier chantier, j’étais seule avec mon responsable de secteur. Alors que l’on parlait deux secondes avant du travail de la journée, il m’a soudainement demandé si j’étais vierge. J’étais choquée et je n’ai pas su quoi répondre. »
« Un jour j’étais en chantier. Le travail était physique et demandait beaucoup de minutie. Nous avions beaucoup de chance, nous avions retrouvé des éléments en bois conservés. Moi j’étais occupée ailleurs sur le terrain, mais pendant qu’un collègue faisait le dessin de mes structures je me suis approchée de la zone des bois conservés que fouillaient mon chef et deux autres responsables de la fouille. Je les regarde trente secondes. Mon chef relève la tête et déclare
“si tu veux continuer à regarder c’est une pipe chacun.”J’ai été gênée, ils se sont esclaffés, j’ai du cacher ma gêne et je suis retournée à mon travail. Je n’ai rien contre les plaisanteries grivoises, je suis même pour, mais elles ne devraient jamais être faites d’une manière à soumettre les gens. »
Iléana
« Lors d’une fouille sur une voie romaine qui avait un trottoir que je dégageais, le co-chef me crie de l’autre côté d’un chantier :
“alors, encore en train de faire le trottoir ?”d’un air tout à fait narquois. J’ai été très choquée et en colère ! »
Sofi Plisson
« Par où commencer… Je suis doctorante en archéologie et pratiquement sur tous mes chantiers il y a eu des remarques sexistes ou des agressions sexuelles (mains aux fesses et j’en passe…). Entre le chef de secteur qui s’amuse à créer un dossier photos des fesses et des seins des fouilleuses, le directeur qui demande quelle type de “viande” il y a cette année… je pourrais passer ma soirée à raconter bon nombre d’anecdotes plus ou moins glauques sur le sujet. Le pire dans tout cela, c’est que bien souvent nous avons peur de faire entendre notre voix, de protester. Pourquoi ? La réponse est simple, la pression des notes (beaucoup de chantiers réalisés pendant nos études, le sont dans le cadre de la validation d’un diplôme), nous préférons subir en silence afin de pouvoir valider notre année plutôt que de dire stop et de prendre le risque de compromettre notre carrière. Et puis malheureusement, nous ne sommes pas du tout soutenues par notre profession, la plupart des gens (même les femmes) considérant que cela est une partie du métier (
“En même temps on est entourées d’hommes que veux-tu”). »
« Une fois un collègue m’a dit que j’étais une laitière (par rapport à la taille de mes seins). Personnellement ça m’a fait rire, je m’en fiche un peu les blagues grasses en archéo c’est fréquent et ça va dans les deux sens, mais j’ai lu pas mal de commentaires ici et ailleurs et pour beaucoup de femmes c’est considéré comme du sexisme, et en y réfléchissant bien oui c’en est, même si perso je n’en tiendrais pas rigueur à mon ancien collègue avec qui j’avais par ailleurs de bonnes relations. »
« Alors me concernant, je cumule les tares dans ce milieu. Je suis une femme, je suis grande et blonde. Sur un chantier, il m’est arrivée qu’on m’appelle Barbie tout le long du chantier, même si j’avais fait comprendre clairement que ça me gonflait. Selon eux, c’était un compliment, impossible de leur faire comprendre qu’être comparée à une poupée à qui on demandait juste d’être belle et qui ne parle pas n’avait rien de flatteur. Ce comportement est récurrent face à une femme grande et blonde. Ce n’est pas que sur ce chantier. À la longue, j’ai réellement fini par me dire que j’étais vraiment trop conne pour ce métier et je me suis arrêtée sans terminer ma maîtrise alors que je n’avais encore jamais connu d’échec scolaire. Je me suis arrêtée avant d’en connaître un. S’il faut je n’en aurais pas connu. Je ne me doutais pas non plus que cette attitude où on nous coupe la parole systématiquement était aussi destinée à de nombreuses femmes. Je n’aurais pas dû garder ces choses pour moi et abandonner. Je me sentais simplement stupide alors que mes résultats scolaires me disaient le contraire. »
« Le seul accident sexiste qui m’a touchée personnellement et vraiment mise en colère jusqu’à présent c’est quand le responsable du chantier m’a confié une mission en autonomie. J’avais besoin de l’aide d’un de mes collègues hommes, qui a 12 ou 13 ans de plus que moi. Je suis descendue lui demander et il a refusé de collaborer, avec un rire gras et son attitude de gros bras. Il était en désaccord avec le chef (problèmes humains, pas professionnels) sauf que quand le chef, un homme charismatique de 48 ans à l’époque, lui donnait un ordre il obéissait sans rien dire. Le fait que ça passe par moi, une femme, plus jeune que lui en plus, lui a fait se dire qu’il n’avait pas besoin de faire ce que je lui demandais alors que ça bloquait tout le monde. Il s’est même permis de me donner des directives avec un ton bien paternaliste. La base, pour moi, c’est de respecter la hiérarchie professionnelle au-delà des sexes et des âges : j’obéis à mon chef, mais je ne vais pas obéir à un collègue ou un subalterne parce que c’est un Monsieur et que je suis une Madame. Après avoir tenté de le raisonner, de négocier, etc. J’ai dû aller chercher mon chef, lui expliquer et les Mâles se sont expliqués entre eux. »
« Une fois passé le problème de la candidature vient les soucis sur le chantier, bien entendu ce problème doit être présent dans tous les domaines. Une fois sur le terrain on est jugée sur notre tenue vestimentaire, si l’on ne porte pas un col roulé sous 40 degrés au soleil et bien cela veut dire que l’on est disposée à être draguée en permanence même si l’on dit non. En arrivant en thèse rien ne change c’est même de pire en pire, car les professeurs nous connaissent et commencent à nous tutoyer comme si de rien n’était, mais pas nos collègues masculins. Si l’on organise un colloque, on nous demande d’aller faire le café pendant la pause. En nous croisant dans les couloirs du laboratoire, on nous complimente sur notre tenue vestimentaire et les exemples ne tarissent pas. Alors, on ronge son frein et on imagine une belle punchline qu’on aurait pu leur renvoyer pour les remettre à leur place, mais on l’imagine seulement. »
« En archéologie préventive j’ai vu peu de comportements sexistes. Cependant sur les fouilles programmées c’est une autre affaire : sur un chantier, le responsable de chantier et les responsables de secteur choisissaient parfois ouvertement les filles sur photos, et le pire truc c’est que chaque nouvelle bénévolE devait passer à “la pesée” à l’arrivée et au départ… Il n’y avait aussi quasiment qu’elles à se faire bizuter en se faisant jeter dans le bac à sédiment. »
« Il s’agissait de ma première année de terrain ça m’a particulièrement marquée… Il y a d’abord le classique rapprochement fait entre le nettoyage du secteur (ou les corvées au gîte), et le “rôle de la femme” par exemple
“c’est bien, une femme qui fait son travail”. Les habituées aux chantiers ont dû apprendre à ignorer ce genre de remarques j’imagine. On m’a également demandé si j’avais couché pour avoir mon stage, lors de mon 1er jour à mon 1er stage (bienvenue en archéo) même en cas de réponse, ça ne change rien à leurs “vieilles habitudes” ; parce que oui : c’étaient ces mêmes remarques répétées dès que l’occasion se présente. »
« Sur mon premier chantier, très visité par des touristes. Seul l’avant du chantier était visible par les touristes et le chef plaçait ouvertement les fouilleurs expérimentés qui pouvaient répondre aux questions et les jolies fouilleuses (ça suscite plus la générosité des touristes paraît-il). Le pire c’est qu’à l’époque j’ai réussi à mal vivre aussi le fait d’être placée à l’arrière. »
« Sur mon tout premier chantier, j’ai été l’objet d’un pari entre un fouilleur et le chef de chantier. Ils savaient pourtant que j’étais en couple depuis 4 ans et que j’étais amoureuse, mais ils avaient parié sur le premier qui arriverait à coucher avec moi. Quand ils ont compris que personne ne coucherait avec moi, que je respectais l’homme qui partageait ma vie, ils se sont mis à m’éviter et à avoir une attitude méprisante. »
« Sur certains chantiers, les regards entre les chefs, les messes basses à propos d’un changement physique (qui vous rend plus “attractive”), les petits commentaires à voix basse… Tout cela m’a poussée à ne plus y revenir alors que je m’y plaisais archéologiquement parlant. Et tout cela évince aussi malheureusement la belle image du milieu cultivé, éduqué, qui se laisse aller dans le sexisme et la remarque de chacal de métro parisien, sous couvert d’ouverture d’esprit. Parce que sur les chantiers de fouille, tout le monde s’aime et il n’y a que des mauvais camarades, pas des mauvais comportements. (La dernière phrase est ironique. On m’a souvent reproché de “casser l’ambiance” parce que je n’étais pas réceptive à l’humour sexiste.) »
« Un collègue participait quand il était plus jeune (20 ans) au “concours” de baise avec les nouvelles recrues. L’idée était de choisir les plus jolies filles et de réussir à pécho avant une date donnée (comme expliqué dans l’article). Quand vous commencez l’archéologie à 16 ans, c’est limite… Toutes les filles ne sont pas “matures” à cet âge-là, ça peut être traumatisant pour certaines d’entre elles, et le détournement de mineure n’est jamais loin… Je ne suis pas concernée directement, mais plusieurs de mes amies ont été victimes de ce genre de compétition machiste et j’ai assisté impuissante à ce genre de compétition. Moi j’ai été écartée parce que pas assez jolie ou trop moche – au choix. C’est un soulagement quelque part mais c’est aussi grave insultant et dégradant. »
« Les prises de photos quand on se penche en débardeur et que le col baille
“MONTRE TES SEINS HAHA”. Ou les photos des strings qui dépassent, avec un commentaire“tu mets une culotte toi j’aime pas ça”. Bref je crois qu’on a toutes un tas d’histoires à raconter sur ça. J’ai mis du temps à me rendre compte que je jouais le jeu et que je participais à la pérennité de ces “blagues”. Mais maintenant je dis stop, quitte à passer pour la coincée, le frigidaire, la meuf qui baise pas assez. »
« Les chantiers se sont souvent bien passés pour ma part, j’ai eu de la chance (et mes collègues féminines, du moins de ce que j’en sais) dans la majeure partie des cas… il y a toujours à gauche à droite les remarques sexistes du style la pioche c’est pour les hommes, etc. Mais c’est toujours resté anecdotique. Le plus choquant a été un chef de chantier qui, en faisant des visites ensemble dans la région en dehors du chantier, m’a proposé plusieurs fois de venir m’asseoir sur ses genoux dans la voiture pour le voyage, alors qu’il y avait de la place… »
« Après lecture de tous vos commentaires, je me rends compte que quasiment tous les chantiers de fouille se ressemblent. Le premier chantier de fouille que j’ai fait s’est bien passé dans l’ensemble malgré le fait que les remarques graveleuses étaient devenues une habitude… J’ai appris au bout de quelques jours, que nous les filles avions été choisies d’après nos photos car chaque RS avait eu pour “mission” d’aller chercher sur Internet nos profils Facebook avant de nous choisir. Au bout de quelques jours, nous avons appris que chaque année les RS couchaient avec des filles du chantier… Un record personnel paraît-il… ce qui n’a bien évidemment pas échappé à mon année. »
« Il faut savoir également, que les remarques ne se font pas exclusivement sur le chantier… À la fac, les salles de cours sont aussi des lieux où le sexisme en archéologie se fait entendre… On donne une bourse au jeune homme mais pas à la jeune femme… alors que la jeune femme a eu un meilleur résultat… On nous fait bien comprendre sur les bancs de l’université que ce milieu n’est pas fait pour nous et que nous devrions plutôt nous orienter vers l’histoire de l’art… (
“Tu sais un chantier c’est extrêmement difficile, avec ton gabarit de crevette je suis pas certain que tu tiennes la route.”) Et je ne vous parle pas du “droit de cuissage” que certains directeurs de recherches se permettent encore de faire sur les étudiantes… »
« Sur mon dernier chantier de fouille, j’ai subi, comme bien d’autres filles, les avances de mon superviseur, qui a clairement manifesté son envie de coucher avec moi. Mais par “naïveté” comme on m’a dit, je n’ai pas compris tout de suite les premières avances plus subtiles. Je n’étais juste pas concentrée sur ce qu’il se passait et me disais :
“ce n’est pas possible, c’est de l’humour”et j’étais peut-être aussi un peu timide. J’ai ensuite été prise dans un cercle vicieux, entre sous-entendus gênants et traitements de faveur, malgré les refus successif de ma part. Progressivement, le groupe a fini par me rejeter, ou du moins par ne plus éprouver aucune sympathie pour moi car à leurs yeux je n’ai pas refusé les avances assez tôt et avec assez de “fermeté”. Ce séjour est donc devenu un mauvais souvenir, malgré mon enthousiasme de départ. »
« Durant un nouveau chantier cet été, je ne connaissais ni le site, ni le chef, ni les fouilleurs mais pas de soucis pour moi je me fais généralement des amis. Il s’est avéré que le chef (une trentaine d’année, marié, deux enfants) était très sympa, on rigolait bien, un peu le même humour que moi, c’est-à-dire très potache. Puis au fur et à mesure les autres fouilleurs m’ont de moins en moins parlé, je me disais que c’était de ma faute, que mon humour ne pouvait pas passer avec tout le monde. Mais deux jours avant la fin du chantier, les deux filles avec qui j’avais sympathisé m’ont appris que plusieurs filles ne m’aimaient pas car elles avaient décrété que je draguais le chef. Tout d’abord, je suis en couple, amoureuse et ne m’adonne pas à des coucheries à droite à gauche et deuxièmement, apparemment aujourd’hui on ne peut toujours pas être amie avec un homme et encore moins s’il est notre supérieur hiérarchique. Si l’adversité vient également des filles je ne vois plus quoi faire… »
Eloïse Chou
« Durant ma scolarité, j’ai toujours hésité entre l’histoire et l’archéologie et me suis passionnée pour les deux disciplines. Mais une expérience de harcèlement m’a fait me tourner vers l’histoire et m’a dégoûtée de l’archéo. Je trouve cela dramatique d’en arriver là pour une seule raison : je suis une femme. Et le pire dans cette histoire, c’est que même les filles du groupe se sont permises de me juger. J’étais une profiteuse. Il y a donc là un réel problème, profondément ancré. »
« Je me suis réorientée en Histoire. J’avais tellement aimé le chantier de fouille, mais alors, mais alors, les blagues sexistes, l’exotisation et le racisme H24… et en plus on m’a dit de faire comme si je n’entendais rien, d’apprendre à fermer ma gueule car c’est un “petit milieu”, que je ne suis pas importante et que ma parole l’est encore moins et que j’ai intérêt à lécher les bottes si je veux une place. Crise d’angoisse. J’ai tenu comme j’ai pu. Heureusement je pouvais m’isoler dans ma tente le soir. Plus jamais. Je n’ai pas la force de faire face à des gens comme ça. »
Wink Wink
« Et bien, je me retrouve dans un peu tous les commentaires sexistes de chantier…mais je vous avouerais qu’ils me sont toujours passés au-dessus de la tête… Ce que j’ai moins bien vécu par contre, c’est lorsque j’ai commencé ma thèse et que j’ai commencé à vouloir avoir ma place dans la recherche… Nous étions deux thésard·es… Un jeune homme que mon directeur de thèse mettait sur un piédestal et moi… qui n’était là que par loisir vue que
“la place d’une femme c’est à la maison et qu’une femme n’est de toute façon pas une femme si elle n’a pas enfanté !”J’ai alors à longueur de temps été tirée vers le bas, on ne m’écoutait pas et ne me donnait pas la parole. Sans forcer les traits, au labo quand il y avait des réunions, tous les chercheurs et rares chercheuses papotaient entre eux… jamais on n’a demandé à mon collègue thésard de faire le café ou le service… lui faisait partie de l’équipe. Et du coup après ma thèse, ne répondant à aucune avance, ne voulant pas être la copine ou la femme de… pour pouvoir rester dans ce panier de crabe, et faute de soutien, j’ai renoncé doucement à la recherche et l’archéologie… Mise à l’écart… et je ne suis pas la seule dans ce cas ! Beaucoup de collègues ont arrêté pour les mêmes raisons ! Mon directeur se vantait que dans certaines facs des directeurs de labo pratiquaient encore le droit de cuissage !!! Je vous jure ! J’ai été et je suis toujours passionnée par l’archéo… J’ai bossé bénévolement pendant 4 ans dans l’espoir d’avoir un boulot… Et un jour, les années avançant aussi, je me suis dit que j’étais en train de sacrifier ma vie privée pour pouvoir un jour bosser avec de tels cons… alors après 12 ans d’étude, un CV de publications long comme le bras, des recherches sur un site prestigieux, une mention TB à ma thèse… J’ai renoncé… »
Natasha
« L’expérience qui m’a vraiment blessée, c’est lorsqu’un un homme dont je suis tombée hélas amoureuse, s’est amusé à se vanter et raconter notre histoire à sa sauce, me faisant passer pour une femme de petite vertu avec une ouverture d’esprit que j’avoue ne pas avoir. Quand bien même une femme aurait une sexualité débridée, ça la regarde et une femme ne devrait pas avoir à être jugée à ce sujet de nos jours. Pourtant, c’est toujours le cas. Et que des détails sur ce qui a pu se passer entre nous arrivent à mes oreilles par une personne qui ne le connaissait même pas, je peux vous garantir que c’est sacrément humiliant.
Je me suis renseignée, aujourd’hui ce genre d’attitude est condamnable, même sans subordination professionnelle, c’est bon à savoir pour chacune d’entre nous. Tout propos diffamatoire à caractère sexuel est considéré comme du harcèlement sexuel. Je n’ai pas porté plainte pour la simple et bonne raison que je n’avais aucune envie de revoir sa gueule, mais ne faites pas comme moi si ça vous arrive. Je pensais naïvement qu’en étant dans un milieu avec un certain niveau culturel, nous étions protégées de ce genre de comportement, mais non. Les cons sont aussi chez les intellos. On va dire que le bon côté c’est que certains lui ont tourné le dos en entendant ce qu’il colportait parce qu’ils me connaissaient et me respectaient, mais d’autres ont quand même fait circuler la chose et certains étaient chefs de chantier. »
« Sur les chantiers bénévoles, l’ambiance est souvent bien graveleuse et j’avoue être capable d’en faire autant que ces messieurs, parfois je sais même faire pire. Je ne manque pas d’humour et j’ai passé de bons moments avec cet humour potache. Mais au milieu de ce genre d’ambiance, je suis quand même tombée sur un gros lourd qui ne me faisait pas rire du tout. Ce gars avait décidé que j’étais frigide parce qu’il était beau gosse, bien roulé et que son charme n’agissait pas sur moi, je ne le laissais pas me masser comme les autres demoiselles du chantier. Désolée, j’avais un magnifique athlète qui m’attendait à la maison, donc ses 3 muscles me laissaient de marbre. Tout le long du chantier, il m’a harcelée en me faisant des remakes de la pub pour les produits laitiers de l’époque, les pubs où on aurait cru que les femmes se prenaient des éjaculations faciales. Il se tartinait les tétons de yaourt en espérant une réaction de ma part. Il m’a bien gonflée. »
« Le deuxième chantier de fouille sur lequel j’ai été restera le pire de mes souvenirs du genre. Le principal problème, c’était le harcèlement sexuel. C’était un chantier un peu perdu en campagne où l’hébergement se faisait en tentes sur le site même sauf pour le responsable d’opération qui avait un coin aménagé dans le local en dur. Entre le responsable d’opération qui couchait avec les fouilleuses (
“parce bon apparemment y’en a qui sont prêtes à tout pour dormir sur un matelas”d’après lui), l’accueil très oppressant des responsables de secteur qui nous jugeaient sur notre physique (à base de remarque très imagées) et comme incapable en général parce que pas des hommes, l’ambiance pesante et lourde pendant la journée de travail (“si tu trouves une monnaie, tu payes tes seins !”… euh, non…“Nan mais t’as aucun humour aussi.. Faut pas t’étonner si personne veut coucher avec toi”…), les tentatives d’agression sexuelle (alors que je dormais, une nuit un membre de l’équipe de fouille est rentré saoul dans ma tente et a tenté de m’embrasser et de me tripoter… j’ai été obligé de le frapper avec ma lampe de poche pour qu’il parte)…
Ça a été tellement éprouvant que j’ai trouvé un moyen de dormir ailleurs dès la fin de la première semaine et que j’ai abandonné la fouille à la fin de la deuxième.
Par la suite j’ai eu de la chance et j’ai choisi mes chantiers avec beaucoup de soin (et en n’hésitant pas à demander du feedback aux autre étudiantes vis-à-vis de leur expérience). »
Mylène
« Le chantier s’est renouvelé durant plusieurs années, toujours avec la même équipe et une bonne ambiance générale. Quand j’ai appris la dernière année qu’une des filles avait failli quitter le groupe parce qu’elle subissait un harcèlement de la part du responsable, avec mon amie on est restées sans voix. On avait rien vu, rien remarqué. Parce qu’on bossait à l’écart des autres pour des questions de logistique, le responsable s’était vengé sur celle qui restait. On était révoltées ! Pourquoi les autres n’avaient rien dit, rien fait ? Bah parce que les mecs aussi subissaient une pression de la part du responsable, leur laissant tout le travail pendant qu’il faisait des “recherches” sur Internet. On avait envie de crier, de hurler, de pleurer face à notre propre naïveté, mais c’était trop tard, le chantier était fini, le responsable allait de toute façon être écarté du groupe scientifique et l’aventure s’arrêtait là. Depuis j’ai essayé de ne plus être aussi naïve, mais il y a beaucoup d’injustices qu’on ne voit qu’avec le recul, en discutant avec les gens après le chantier, au moment où les langues se délient. »
« Sur un chantier de fouille, il y a un an et demi, loin de ma ville et perdu dans les montagnes, j’ai été harcelée sexuellement par le superviseur du chantier. Avec ses attouchements et propos déplacés, après avoir hésité longuement (ce fameux silence dont vous parliez) j’ai décidé de parler à une personne d’abord, qui m’a plus ou moins soutenue, et puis aux autres stagiaires qui m’ont assaillie de remarques du genre
“t’es sûre ??, c’est pas son genre, t’es sûre qu’il a fait ce que tu dis ? non mais je pense pas qu’il a fait ça contre toi”, “non mais désolé, je sais pas qui croire, je saurais pas dire si tu dis la vérité”alors que j’étais en larme et effondrée devant eux.
De plus, harcèlement moral de sa femme (on logeait tou·tes plus ou moins dans sa maison), qui savait que “j’étais son genre” et que du coup c’était déjà arrivé : donc, au lieu de mépriser son mari, elle a décidé de faire de ma vie un enfer en m’isolant et en ayant toujours des remarques horribles. Conséquences : en larme et en dépression, je me suis arrêtée au bout d’une semaine en prétextant un problème familial bidon. Ceci a conclu mon 1er chantier de fouille, et depuis je suis (trop ?) sur mes gardes et prend systématiquement mes distances avec le “boss” et le reste de l’équipe (“on est pas tous comme ça !”oui, je l’ai déjà entendue, mais quand même les meufs de ton équipe te font du slutshaming à coup de“non mais t’es plus féminine, c’est normal que ce soit toi qu’il ait choisi”. Dude, just stop!). »
« Expérience en chantier bénévole. L’ambiance était franchement cool. Les fouilleurs étaient sympas, je me suis très bien entendue avec le responsable de la fouille et de secteur. Un soir, deux amis du responsable de passage dans notre coin paumé sont invités à dîner et à passer la nuit à la base (les fouilleurs dormaient dans un gîte plus loin). L’un d’eux est collègue du responsable en question, il doit avoir 15-20 ans de plus que moi.
Pas de problème au dîner, le collègue en question étant fort sympa et bavard. Après le dîner, on continue la soirée à la base, on boit un peu. Tenant assez mal l’alcool, je me retrouve pompette au bout de quelques bières, et donc j’arrête de boire. On avait allumé la radio, et à un moment le collègue en question m’invite à danser, je danse comme une couillonne à mon habitude, tout se passe bien, tout est cool.
Un peu plus tard, on se pose pour jouer aux cartes, avec quelques fouilleurs, le responsable de secteur et le mec, qui s’assoit à côté de moi et qui entreprend de me tripoter la cuisse pendant le reste de la soirée. Très mal à l’aise et pas du tout habituée à ce genre de choses, je ferme ma gueule et essaie (sans succès) d’éloigner mes jambes. Fin de soirée, tout le monde repart au gîte, sauf les invités. Je me lève pour partir, le mec me dit qu’il croyait que j’allais rester avec lui. Je lui dit absolument pas, ce à quoi il répond (à haute voix devant tout le monde) que je suis cruelle, et que je m’en fous de son petit cœur. Je lui réponds que oui, en effet. Et je pars avec le groupe.
Je raconte le soir même toute l’histoire aux autres fouilleurs. Tous m’ont soutenue, et le lendemain lors du déjeuner ils se sont même arrangés pour “intercepter” le mec qui voulait s’asseoir à côté de moi (je n’aurais pas pu souhaiter mieux comme amis et compagnons de fouille). Après que nos invités soient partis, je n’ai pas vraiment osé dire quoi que ce soit au responsable de la fouille. Mais les autres fouilleurs lui ont laissé entrevoir ce qui s’était passé. Le responsable est venu me voir pour confirmation, et il était, si je me rappelle bien, assez effaré. Je comprends qu’il n’ait rien dit à son collègue (il faut bien maintenir les relations “amicales” au boulot), mais il m’a écouté quand je lui ai raconté l’histoire et il était contrit de toute l’histoire.
Pour la petite histoire, j’ai recroisé le mec en question 2 ans après, il n’a pas donné de signes de me reconnaître. Heureusement pour moi, c’est de mémoire la seule expérience vraiment désagréable que j’ai pu avoir en archéologie. Je n’ai jamais eu de problèmes sur d’autres chantiers. Il y a eu un autre mec lourd, mais il était lourd avec hommes et femmes par égal, donc bon. »
« Je travaille comme archéologue dans le préventif, je suis responsable d’opération dans une structure de taille moyenne. Il y a des différences notables, notamment sur la sociologie des salariés, par rapport à l’INRAP, moins par rapport à la plupart des collectivités territoriales ou du privé. Il est difficile de généraliser mes observations à l’ensemble de l’archéologie préventive, même si je pense qu’il y a pas mal de points communs. C’est en tout cas ce que j’ai pu observer dans les différentes structures où j’ai travaillé. »
Il constate tout d’abord une négation du phénomène en raison d’une part de la jeunesse des effectifs et d’autre part de la croyance qu’étant universitaires, ces problèmes ne nous touchent pas.
« Pour préciser un peu la sociologie de mes collègues : les responsables d’opérations sont majoritairement trentenaires ou quarantenaires, les technicien·nes ont majoritairement entre 25 et 35 ans. Pour compléter le tableau il y a un important turnover : les technicien·nes précaires finissent par jeter l’éponge pour un emploi plus stable tandis que les responsables d’opération abandonnent pour éviter le burnout et la frustration scientifique. Les effectifs d’étudiant·es diplômé·es chaque année remplacent les départs, participant à la jeunesse des effectifs, souvent en passant par les fouilles programmées des archéologues déjà embauchés. Ça peut paraître un détail, mais le fait justement d’être “jeune” participe à la croyance qu’il n’y a pas de problème (le sexisme est un problème“d’un autre temps”,“d’une autre génération”). »
« Mon milieu professionnel porte la même croyance que le reste des universitaires : le sexisme c’est ailleurs, ce n’est pas nous. Ce biais est accentué par la proximité sur le terrain avec les équipes du bâtiment, les aménageurs et les terrassiers. En gros les “mecs du BTP” sont souvent perçus comme tellement lourds et sexistes (voire racistes) qu’en comparaison ce qui se fait chez nous est considéré comme largement excusable. Sur un gros chantier de préventif, en coactivité, les archéologues sont régulièrement la seule équipe mixte. »
Il aborde différents points, tels que :
Les différences salariales,
« Il est difficile d’avoir des informations sur les différences de salaires entre hommes et femme à poste égal, d’autant plus que les postes occupés ne correspondent pas toujours au travail réellement effectué. J’ai tout de même en tête un exemple : celui d’une collègue avec beaucoup d’expérience, dirigeant des chantiers de fouille conséquents, payée plusieurs centaines d’euros de moins qu’un collègue masculin à responsabilité équivalente. Tout le monde était au courant de la situation, mais puisqu’on est déjà “tou·tes mal payé·es” le fait qu’elle le soit plus que lui ne choque pas plus que ça. »
La parité au sein des équipes,
« La structure où je travaille n’est pas en situation de parité des effectifs, mais s’en approche beaucoup. C’est d’ailleurs un sujet de fierté pour certain·es. C’est aller un peu vite en besogne lorsque l’on compare aux effectifs sortis de l’université : ma promo comptait moins de 20 % d’hommes, les CV que mes chefs reçoivent sont majoritairement des femmes. C’est aussi oublier de regarder les postes occupés : à chaque niveau hiérarchique, il y a des femmes présentes, mais elles sont toujours minoritaires, sauf parmi les spécialistes et les administratifs. La présence de quelques femmes à des postes de direction, même minoritaires, conforte cette croyance qu’il n’y a pas de plafond de verre. Elles arrivent toutefois aux mêmes postes à responsabilité avec plusieurs années d’expérience de plus que leurs collègues hommes. J’ai déjà vu sur le terrain des équipes exclusivement composées de mecs, jamais l’inverse. C’est un truc qui revient périodiquement dans les compositions d’équipe : s’il n’y a que des femmes (on dit“filles”d’ailleurs) elles vont nécessairement finir par se“crêper le chignon”et ça“nuira à la fouille en dégradant l’ambiance d’équipe”. Même constat pour l’encadrement scientifique d’une fouille (hommes seulement ou mixte, plus rarement 100 % de femmes).“Sans filles dans ton équipe, on sera pas obligés de payer un deuxième vestiaire ou un WC séparé, ce sera plus simple”. »
La répartition genrée des tâches et des spécialités,
« L’archéologie préventive porte également une répartition genrée des tâches et spécialités. Les anthropologues – travail minutieux – sont majoritairement des femmes, idem pour les spécialistes de tout ce qui s’approche de l’histoire de l’art (peinture, verre, orfèvrerie, petit mobilier). Sans surprise la situation est inversée pour les spécialistes des édifices castraux, des matériaux de construction ou du mobilier militaire. »
« En phase de décapage mécanique, on met plus facilement un homme devant une pelle mécanique qu’une femme, car les conducteurs d’engins suivront les directives de l’un et pas – ou mal – de l’autre. Le constat de base est fondé, mais il n’est pas remis en cause,“tu sais le TP c’est comme ça, il faut faire avec”. »
Les propos et les comportements sexistes,
« Je pourrais faire une belle liste d’anecdotes : les photos sur les CV quand il s’agit de constituer une équipe, la technicienne jeune maman qu’on n’appelle plus pour le boulot (“comme pourrait-elle partir en grand déplacement ?”), les remarques sur les jeunes étudiantes, etc. La condescendance scientifique de certains n’a pas besoin de grand-chose pour verser dans la condescendance sexiste“que je t’explique ma petite”. On fait des blagues sur les stagiaires qui sont arrivées une fois sur un chantier en jupe/talon/etc. (cataloguée incompétente) en regardant le décolleté du débardeur de la technicienne qui fouille à côté. Le ton est globalement très décomplexé dans les équipes, pour le meilleur la plupart du temps, mais parfois aussi pour la petite remarque bien sexiste sur une collègue. »
Le harcèlement sexiste et sexuel
« Comme ailleurs il y a des cas de harcèlement, sexiste ou sexuel. Mais ils sont minorés par tout le monde. Un type connu comme harceleur, occupant un poste à responsabilité et ayant officieusement quitté une structure pour cette raison a pu retrouver sans soucis un poste équivalent. »
Il conclut sur la minorisation consciente et inconsciente de ces propos et comportements qui empêche toute remise en question :
« Mis bout à bout le constat est un peu atterrant, mais c’est au final très larvé, pas ou peu reconnu, en tout cas pas explicitement, et minoré par les hommes comme par la plupart des femmes. Je n’ai pas eu l’impression de forcer le trait en écrivant ces quelques lignes. Tout ça se passe dans un milieu professionnel qui a une très haute estime de lui-même et qui pense qu’il n’y a aucun problème de ce côté-là… »
« Waw en vous lisant je me rends compte à quel point j’ai eu de la chance dans mes études et mes stages jusqu’ici… »
Meredith
« Dans mon boulot actuel, nos collègues masculins sont exemplaires, et on apprécie ! D’autant qu’on est plus de filles que de garçons… On doit leur faire peur ! Et puis ils sont serviables en plus. Faut bien avouer que certains trucs sont vraiment trop lourds pour nous (ou alors on risque de sacrément se faire mal au dos), dans ce cas, on n’hésite pas à leur demander (pour moi, c’est surtout des trucs rangés trop hauts, quand j’ai la flemme d’aller chercher un tabouret sur lequel grimper !). Et s’ils se proposent d’eux-mêmes, ils n’insistent jamais lourdement si on refuse, en voulant absolument jouer les gros bras. Et en plus, les responsables sont toutes des filles ! Comme quoi, il existe quelques exceptions et paradis perdus ! »
Stabb
Remarques sur le physique, remise en question des aptitudes professionnelles, propos paternaliste, sous-entendu sexuel, attitudes déplacées, harcèlement sexiste et sexuel, de la part de supérieurs hiérarchiques masculins (directeur de chantier ou de mémoire, responsable de secteur, professeur d’université, président du jury de thèse), de collègues de travail, de connaissances ou d’ami·es. Si vous êtes arrivé·e jusqu’ici, vous avez pu vous rendre compte que les manifestations du sexisme, parfois couplées à du racisme, dans et hors chantier archéologique ne manquent pas. Il ne s’agit pas de cas personnels et isolés mais bien d’un problème systémique.
Comme dans de nombreux autres domaines, la règle du silence fait loi. L’archéologie étant un petit milieu, la peur d’être reconnue et par conséquent de perdre sa place au sein d’une équipe, d’être mal cotée à son rapport de stage ou à son mémoire, ou de voir le harcèlement s’amplifier après la prise de parole est bien réelle, surtout lorsque les remarques, attitudes et gestes déplacé·es émanent d’un supérieur hiérarchique.
Cet état de fait est problématique et la situation n’a que trop duré. Depuis quelques mois, les initiatives se multiplient sur internet pour dénoncer le sexisme que ce soit à la fac (@PAYETAFAC), au travail (@payetontafblog), dans le milieu de la presse (@payetonjournal) ou dans le domaine de la santé (@PayeTaBlouse).
Ces actions sont importantes car elles permettent d’une part de libérer la parole, d’assurer aux victimes qu’elles ne sont pas seules et de légitimer leurs expériences, et d’autre part d’attirer l’attention sur un problème que beaucoup ne voient pas ou refusent encore de voir. Cette première étape pouvant amener à changement des mentalités et à une modification de la situation, j’ai décidé de créer avec le soutien du magazine un site Paye ta truelle, un compte Twitter @payetatruelle, ainsi qu’une page Facebook payetatruelle où vous pouvez continuer à m’envoyer vos témoignages de manière anonyme ou non. Ce n’est qu’un début, étape par étape, nous parviendrons à faire bouger les choses. Prenez soin de vous !