23 décembre 2016

La place des femmes en science

La place des femmes en science

Cet article parle de scientifiques qui ne sont pas des hommes cis. Je tiens aussi à préciser que les personnes racisé·es et minorisé·es subissent des problèmes semblables, mais n’étant pas directement concernée, je m’abstiendrai d’en parler.

« Les femmes scientifiques sont moins bien représentées que leurs homologues masculins » est une phrase assez souvent entendue. Mais a-t-on des preuves, demanderont certain·es ?

Je vous propose d’examiner avec moi quelques chiffres :
Au niveau international, seuls 32 pays parmi 137 atteignent ou dépassent le score de 45 % de femmes employées en tant que scientifiques  [1]. Et la France ne fait pas partie de ceux-là, avec 25 à 30 % de femmes scientifiques selon les années  [2].

La proportion des femmes parmi les scientifiques dépend aussi beaucoup des domaines. Ainsi elles seront plus nombreuses que les hommes dans les sciences humaines et sociales, environ à parité en médecine et biologie notamment, mais largement minoritaires en mathématiques, en sciences de l’ingénieur…  [3] Et ces proportions ont tendance à diminuer au cours de la carrière universitaire. Par exemple en biologie, où à peu près la moitié des doctorant·es sont des femmes, on ne retrouve plus qu’environ 15 % de femmes professeures  [4].

En plus d’un biais à l’embauche à l’égard des hommes  [5], il a également été montré que les professeurs masculins (surtout les prestigieux : prix Nobel…) avaient une nette tendance à engager plus d’hommes que de femmes dans leur laboratoire. Le prestige d’un « maître » retombant sur « l’élève », ce sont donc plus d’hommes qui profitent de ce coup de pouce pour leur carrière.

De par ces chiffres (et d’autres encore, disponibles ici), on voit que la parité n’est pas encore atteinte en science.

Les raisons pour cela ? Les plus misogynes parleront de différences biologiques (coucou les relents des siècles passés), d’autres évoqueront des arguments – à mon avis – plus recevables :

#1 La discrimination institutionnelle (à l’embauche notamment mais aussi au niveau des ressources allouées aux employées).

#2 La pression familiale (dans un couple hétéro) qui s’exerce plus sur la femme que sur l’homme : une étude a montré que le fait d’être marié·e ou d’avoir un ou des enfant(s) (surtout tôt) avait un impact négatif sur la carrière des femmes contre aucun effet sur celle des hommes  [6]. De plus, le fait que les femmes sont moins payées que les hommes et ont plus souvent un emploi précaire contribue à ce que ce soient elles qui sacrifient leur carrière lors de l’arrivée d’enfants, en une forme de cercle vicieux sexiste auto-entretenu.

#3 La pression du sexisme ambiant et de l’éducation genrée sur l’attitude des femmes : conditionnées à céder la place et la parole, elles ont une attitude moins agressive et compétitive que leurs homologues masculins, ce qui peut leur être dommageable.

#4 Quoi qu’on en dise, les STEM en particulier sont encore remplies de sexisme, d’âgisme et de machisme. Beaucoup de vieux professeurs qui ont dépassé l’âge de la retraite s’accrochent à leur poste, ne voulant pas laisser la place à des « petits jeunes » et encore moins à des « petites jeunes ».

#5 Les préjugés ont également la vie dure, notamment chez les jeunes filles elles-même. Au moment de choisir leur carrière future, beaucoup ne s’imaginent pas scientifiques. Des études ont montré que, particulièrement en mathématiques, les jeunes femmes ont moins confiance en leurs capacités que les jeunes hommes, qu’elles se sous-estiment et ont plus tendance à abandonner leurs études que leurs homologues masculins  [7]. Cette auto-censure due à l’éducation genrée a un réel impact sur la proportion féminine dans les disciplines traditionnellement associées aux mathématiques.

#6 Enfin, la sous-représentation engendre la sous-représentation : moins une jeune femme aura d’exemples et de modèles – évincés sciemment (voir l’encart sur « l’effet Matilda ») – à qui s’identifier, moins elle s’imaginera à leur place et envisagera une telle carrière, donc moins elle servira elle-même d’exemple pour les générations futures.

L’effet Matilda Nommé d’après la militante américaine Matilda Joslyn Gage, l’effet Matilda désigne le fait de nier l’importance des travaux effectués par des chercheuses, ou celui d’en attribuer le mérite à des scientifiques masculins.

Dans le cas de la représentation des femmes en science, il est important de considérer un autre point que celui de la proportion pure et simple : la manière de décrire ces femmes scientifiques. Ainsi, tandis que la biographie d’un éminent scientifique sera principalement consacré à ses succès (comme il se doit), la biographie d’une – tout aussi éminente – scientifique portera, pour une assez grande partie, sur sa vie privée et notamment sexuelle, sur des qualités ou défauts typiquement attribués aux femmes (beauté, délicatesse…) ou au contraire son manque de telles qualités. Les titres de leur(s) autobiographie(s) sont ainsi très souvent agrémentés de formules comme : « The most beautiful woman of the world » (la plus belle femme du monde) ou « I died for beauty » (je suis morte pour la beauté), alors que, soyons honnêtes, ça n’a rien à voir avec leurs accomplissements scientifiques  [8].

#7 On pourrait aussi parler des jouets offerts aux enfants. Ceux à portée scientifique ou avec un personnage de ce monde sont quasi exclusivement réservés aux petits garçons. Par exemple, il a fallu la lettre d’une petite fille pour que la marque Lego propose une gamme de personnages féminins scientifiques  [9].

Mais l’espoir est encore permis. La proportion des femmes scientifiques a augmenté ces dernières décennies, et des initiatives sont lancées un peu partout dans le monde. Ainsi, un certain nombre d’académies des sciences ont instauré des quotas (comme en Allemagne par exemple et même si ce n’est pas une solution parfaite, il faut bien le reconnaître), des prix spécialement destinés aux jeunes femmes voulant se lancer en science sont distribués…

Pour espérer un jour atteindre la parité en science, il faut continuer et poursuivre ces efforts, montrer aux jeunes femmes que si elles le veulent, elles peuvent avoir leur place en science.

Références :

[2] UNESCO 2015 (.pdf, 525 kb)

[3] Rapport Women in Science: Integration and Participation in Academies of Science (Les Femmes en Science : Intégration et Participation dans les Académies des Sciences) 2015 avec des données de sondage d’Académies des Sciences (AS) de 2013-2014

[4] Women in neuroscience: a numbers game (Les femmes en neuroscience : une histoire de chiffres) (en anglais)

[5] Étude originale en anglais : Science faculty’s subtle gender biases favor male students (Les facultés de science sont subtilement biaisées en faveur des étudiants hommes)

[6] Analyse à plusieurs variables, US National Science Foundation 2004

[7] Rapport de l’OECD, Mathematics Self-Beliefs and Participation in Mathematics-Related Activities (Auto-persuasion en mathématiques et participation aux activités liées aux mathématiques, 1.728 kb)

[8] Women in science: Weird sisters? (Femmes en science : des sœurs étranges ?, en anglais)