
Nous avons rencontré Sam, étudiant d’une vingtaine d’années et prostitué. Il est non-binaire mais se définit socialement comme homme transgenre par praticité. Sam se prostitue sous apparence féminine en accompagnant ses clients dans des hôtels ou chez eux pour avoir des relations sexuelles tarifées. Il nous raconte son métier, avec ses mots.
Politiquement, je pense que c’est très important de me définir comme pute. Beaucoup de mes clients n’osent pas prononcer ce mot car ils me considèrent au-dessus des autres putes, celleux qui ne sont pas étudiant·es ou qui ne sont pas français·es et plus précaires que moi. C’est important de me réapproprier ce terme de « pute », parce que c’est mon travail.
Je suis étudiant donc ce n’est pas mon activité principale, je me concentre principalement sur mes études. De fait, je ne travaille qu’entre deux et cinq fois par mois. C’est le seul métier que j’ai jamais exercé.
Mon métier me plaît, parce que ce n’est pas juste un travail : c’est une culture. J’ai la chance qu’il n’y ait aucune compétition entre mes collègues et moi, on s’entend tou·tes très bien ! On se voit régulièrement, on fait des apéros… C’est un métier qui est extrêmement mal vu alors qu’en fait, je fais rien de mal. La paie me plaît aussi : je serais incapable de travailler pendant 25 h par semaine pour gagner ce que je gagne en 4 h.
Le principal problème est relatif à mon âge. Il a fallu que j’apprenne à mentir sur mon âge pour être plus en sécurité. L’âgisme chez les clients est bien présent, j’ai rencontré des problèmes que mes collègues de 25 ans et plus ne connaissent pas. Les clients pensent que parce que je suis jeune, je suis facilement manipulable. Ils rechignaient à mettre une capote, ils essayaient de m’arnaquer...
Le problème plus large de la puterie, c’est la vulnérabilité juridique et économique. On est le métier qui subit le plus les fluctuations financières. On ressent absolument tout : si quelqu’un a eu ses bourses d’études, ses allocations, si c’est la période des impôts, la fin du mois… Par conséquent, on peut avoir des mois entiers avec aucun argent et subitement gagner beaucoup d’un coup. C’est très stressant, on s’impose une grosse pression, comme travailler le plus possible avant le 25 du mois. Après, c’est la fin du mois, on a fatalement moins de clients. La météo joue aussi un rôle : s’il a plu la veille, on n’a pas de clients, pareil s’il fait trop chaud. La température idéale c’est entre 20 et 27 degrés, sinon on sait qu’on va manger des pâtes ce mois-ci.
Ce n’est pas un métier sans risque. J’ai déjà eu mal pendant un rapport et le client n’a pas voulu s’arrêter parce qu’il avait payé et voulait aller jusqu’au bout. Un autre a déjà enlevé la capote sans que je m’en rende compte. Malgré ça, j’ai eu plutôt de la chance, ce n’est pas le cas de tout le monde.
Du point de vue de la loi, ces actes sont des viols et agressions sexuelles. Sam a choisi de ne pas engager de procédure judiciaire pour les raisons exprimées plus bas dans l’article et d’autres qui lui appartiennent. Cela n’enlève rien à la gravité de ces actes.
Ce qui est terrible, c’est qu’on ne peut pas trop en parler ou se plaindre. Si tu as le malheur de témoigner, des abolitionnistes s’en servent pour diaboliser le travail du sexe, ou dire que « tu l’as bien cherché ». Iels te rendent coupable de ton métier et t’accusent d’entretenir le sexisme. Ca m'énerve parce que, par exemple, quand le Cash Investigation sur Lidl est sorti et a révélé les horribles conditions de travail, personne n’a dit aux caissier·es qu’iels auraient dû choisir un autre travail ou qu’iels l’avaient bien cherché.
En tant que personne transmasculine, le travail du sexe est plus dangereux. Il faut que j’aie une apparence et un comportement féminin·es pour ne pas me mettre en danger. Si un jour je me fais griller, qu’un client s'aperçoit que je suis un homme trans… je touche du bois parce que je serais en grand danger.
La transition doit se faire de façon beaucoup moins marquée. Avec une mammectomie [NDLR : ablation totale de la poitrine] ce serait quasiment impossible d’exercer. Au niveau vraiment physique, la prise de testostérone réduit la lubrification vaginale et les rapports vaginaux sont plus douloureux.
En plus de ça, il y a la dysphorie à gérer. Pour moi ce n’est pas un problème dans la mesure où je joue complètement un personnage. Je suis non-binaire et je n’ai pas d’apparence masculine « traditionnelle » même en dehors du travail donc rentrer dans ce rôle n’est pas compliqué pour moi. Ma clientèle est composée uniquement d’hommes cisgenres et hétérosexuels. Je ne cherche pas de clients en me présentant comme homme trans parce que je suis beaucoup moins pris au sérieux. Les clients pensent que j’ai juste la dalle et que je ne demande pas de rémunération, ils m’insultent, me mégenrent voire me prennent pour une femme trans. C’est vraiment trop compliqué de faire de la pédagogie, d’expliquer, pour au final pas beaucoup de résultats.
Ça m’est déjà arrivé qu’un client me pose la question de ma transidentité. J’ai répondu que je me sentais « pas vraiment meuf » mais jamais je n’utiliserai le terme d’« homme trans » avec un client.
Quand j’entends quelqu’un·e raconter n’importe quoi sur le travail du sexe, je fais de la pédagogie en apportant une connaissance très pointue. Donc je pense que certains membres de mon entourage s’en doutent. Il faut savoir que j’appartiens à une communauté queer et trans où le travail du sexe est commun, beaucoup plus que dans les cercles cis hétéro par exemple. Ça m’arrivé d’en parler à des potes proches quand c’est opportun ou avec des personnes que je sais être féministes et pro-sexe. C’est très sécurisant pour moi que des personnes le sachent. Je peux leur donner mes horaires de travail pour que quelqu’un·e s’inquiète si je disparais et qu’on ne se dise pas « Tiens mais il est où Sam ? » trois jours plus tard.
Par contre, il est hors de question que ma famille le sache. Mon frère a des soupçons parce que j’ai déjà parlé du sujet avec beaucoup de précision mais je ne lui ai jamais dit.
Souvent, quand on rencontre pour la première fois les collègues de sa ville, ça se passe très mal. J’ai déjà vu des putes se dénoncer entre elles à la police pour éliminer la concurrence et avoir plus de clients. La concurrence est terrible à cause de la précarité du métier. Mais dans les réseaux militants de travailleureuses du sexe, la diversité des métiers réduit la concurrence et augmente la solidarité. Il y a des domina, des camgirls, des escorts avec une clientèle forcément diversifiée. Ces réseaux sont vraiment utiles, j’ai fait la plupart de mon éducation sexuelle et juridique grâce à eux.
En ce qui me concerne, je n’ai jamais contacté le STRASS. Je trouve que c’est quelque chose de bien, qui montre que c’est un vrai travail où l’on se bat pour nos droits. Le fait que le militantisme des putes existe et s’affiche, c’est vraiment quelque chose de très fort. Mais malheureusement, le STRASS ne peut pas tout faire. J’ai un pote qui leur a demandé de l’aide et iels n’ont rien pu faire parce que ça aurait été considéré comme du proxénétisme. C’est dommage, mais ce n’est pas de leur faute, c’est celle de la loi française.
Une chose toute simple, c’est arrêter les insultes putophobes. Arrêtons de dire « fils de pute », les flics ne sont pas nos enfants ! Quand on s’intéresse au travail du sexe, il faut se départir de ses prénotions et ne pas avoir un regard paternaliste et victimisant sur celleux qui l’exercent. Si tu te rends compte qu’une personne est TDS mais qu’elle ne t’en a pas parlé, garde-le pour toi. Les messages de type « Je t’ai reconnu·e » ça t’empêche de dormir pendant une semaine. Tu te demandes qui c’est, si c’est un·e prof, un·e pote et surtout qu’est‐ce qu’iel veut ? Souvent c’est du chantage pour avoir un rapport gratuit : « Fais pas ta pute, on sait que tu l’es », « Tout Paris t’es rentré dedans, moi je peux le faire gratuitement non ? » Si tu reconnais une personne TDS, garde en tête pourquoi tu l’as reconnue. C’est toi qui a cherché à voir ou avoir du sexe.
Même si quelqu’un·e dit que qu’iel est TDS, il ne faut pas penser qu’iel veut absolument parler de son travail. S’iel le fait, il faut écouter. C’est important pour les gens de parler de leur travail dans un cadre posé et sans jugement. Enfin, ne pas hésiter à proposer de l’aide, par exemple en proposant de l’appeler après un rendez-vous.
Être un·e bon·ne allié·e ça concerne aussi les partenaires des TDS. On a souvent des problèmes de jalousie, de partenaires qui demandent d’arrêter, sauf que quand t’es TDS, tu as parfois du mal à faire un autre travail, à cause d’un handicap par exemple. En attendant, lutter contre un travail dans une société ultra‐capitaliste comme la nôtre, c’est tuer les travailleureuses.
En ce moment beaucoup de personnes TDS parlent de leur métier, surtout d’anciennes actrices porno comme Nikita Bellucci et Céline Tran. C’est vraiment important pour déconstruire les préjugés que d’avoir une libération de la parole. Je veux qu’on arrête de nous considérer comme les cancers de la société.
Je voudrais aussi qu’on arrête de considérer les clients comme des criminels, pour que ceux qui sont vraiment dangereux soient arrêtés. Aujourd’hui, quand on se fait agresser dans le cadre de notre travail, on ne peut le dire à personne, pas même au Planning familial. Si on pouvait faire la différence entre les clients qui ne nous ont pas agressé·es et ceux qui l’ont fait, ça sécuriserait beaucoup le travail.
Ensuite, la décriminalisation : je n’ai pas connu l’espèce « d’âge d’or de la puterie » où il y avait une majorité de clients respectueux. Quand la pénalisation du client est arrivée, ces clients respectueux sont partis. Aujourd’hui il y a moins de clients, ils sont plus violents. La baisse de la demande a entraîné une baisse des prix. Tes rapports sexuels sont bradés et c’est quelque chose de vraiment agaçant, parce que ça prend du temps, de la préparation physique et mentale. Ca amène à accepter des choses qu’on n’accepterait peut-être pas forcément si on avait le choix. La décriminalisation permettrait aux TDS de se reconnaître plus entre elleux et d’avoir une plus grande solidarité. On pourrait aussi avoir des formations, comme de l'autodéfense ou de l’aide juridique.
Je voudrais terminer mes études et à terme arrêter la puterie. En tant qu’homme trans, je ne vais pas passer ma vie avec des seins et ce que je gagne actuellement va me permettre de financer ma mammectomie. Après, je prévois de me poser avec mon copain, d’avoir des enfants et de mener une petite vie tranquille.
Nous espérons que cette interview vous a plu et remercions Sam pour sa participation. À bientôt pour de nouveaux portraits !
Domina : femme qui joue un rôle dominant dans la pratique BDSM. (retour au texte)
Camgirl : une camgirl, camboy ou camperson est une personne qui se montre via une webcam, souvent de façon sexuelle. (retour au texte)