11 octobre 2016

Quelque chose en elles : quand le théâtre parle d’inceste

Quelque chose en elles : quand le théâtre parle d’inceste

Lorsqu’on évoque un évènement traumatisant, on se pose rarement la question de l’après, du longtemps après. Quels sont les ravages d’une tragédie vécue dans l’enfance à l’âge adulte ? Peut-on jamais se reconstruire, se contente-t-on de l’oublier ? Quelque chose de Capucine Maillard, c’est quatre femmes aussi différentes qu’inattendues qui se découvrent au comptoir d’un bar, un soir de Fête de la musique. Ce sont des femmes qui apprennent à vivre malgré leur traumatisme, sur un ton léger et infiniment juste.

On imagine la pièce chargée de larmes avant même le lever de rideau : Cléo, Lucy, Michèle et Victoria se sont rencontrées à un groupe de parole réservé aux victimes d’inceste. Ce sont des femmes que tout oppose, aussi bien socialement que par leurs intérêts, et elles ont pourtant décidé de passer la soirée ensemble, et de pique-niquer sur le canal Saint-Martin. Les blagues ratées et les moments embarrassants s’enchaînent, la fête s’annonce courte. Jusqu’au moment où Victoria décide d’emmener les filles au bar où elle travaillait, fermé il y a peu et donc complètement vide. Le passage du canal bruyant à l’intimité de la pièce silencieuse change la situation du tout au tout. C’est à huis clos, dans une ambiance festive et quelque peu alcoolisée, qu’elles libèrent leur parole, celle d’enfants trahies, et de femmes qui cherchent à aller de l’avant, consumées par leur rage de vivre et leur malheur qu’elles portent comme une croix.

Les quatre femmes, assises au bar, leur marque estompée.

Les plus grosses marques de leur trauma se mesurent dans le rapport des quatre femmes à leur sexualité : Lucy, mariée, deux enfants et deux amants, est anorgasmique ; Michèle, divorcée, vit sa sexualité et son rapport aux hommes de façon explosive, se clamant haut et fort femme fontaine et enchaînant les nuits en boîte ; Cléo, encore vierge il y a quelques jours, s’est réfugiée dans la poésie ; Victoria cherche le grand frère qu’elle n’a jamais eu, plutôt qu’un amant.

C’est l’arrivée d’un autre personnage dans le bar qui perturbe la petite harmonie de ce groupe. La joie se transforme en rage d’être mutilées, privées de ce quelque chose qui les rendait normales, qui faisait qu’elles méritaient d’être heureuses. Il n’y a pas d’échappatoire, leur trauma est comme une étiquette collée sur leur front. Faire semblant ne sert à rien, l’inceste c’est comme une fatalité.

Les quatre femmes, assises au bar, leur marque plus forte que jamais.

Et pourtant, il s’est passé quelque chose. L’une d’elles a parlé. Pas seulement au sein de leur groupe de parole : elle est allée porter plainte. Peu importe l’issue, puisqu’elle s’est libérée des chaînes du silence. Elle est sortie de sa torpeur pour aller de l’avant, vers une vie « normale », vers la guérison. Elle avance. Et c’est peut-être une lueur d’espoir pour toutes les victimes : en parler, à n’importe qui, c’est déjà avancer, faire quelque chose. On n’esquive pas le traumatisme à coup de livre, de voyage ou d’hédonisme, on n’est pas non plus condamné·e à le porter toute sa vie. On avance à tout petit, petit pas.

Une des femmes, tenant sa marque dans une main, sa plainte dans l’autre.

Pour suivre la pièce et être au courant des prochaines représentations, renseignez-vous sur le site de la compagnie Aziadé ou sur Twitter @AziadeCompagnie.