
Disclaimer : Faute de temps, nous n'avons pu parcourir que les catalogues BD et albums des différents stands, à défaut de pouvoir faire le tour des romans jeunesse. Cet article n'a pas vocation à être exhaustif sur l'intégralité des titres disponibles durant le SLPJ 2017.
Rappelons tout d'abord que le salon de Montreuil n'est pas le seul rendez-vous français en littérature jeunesse, mais qu'il est le plus important en France et en Europe (après celui de Bologne, en Italie), accueillant en moyenne 175 000 festivalier·e·s chaque année ainsi que nombre d'éditeurices internationalaux. On y trouve de tout : de l'album pop-up aux romans pour adolescent·e·s en passant par des BD appréciées autant par les enfants que par les adultes.
Dans tout cet étalage de couleurs, beaucoup de clichés genrés et peu de personnages racisés, non valides et/ou LGBT+. Nombreux sont les récits de princesses (qui pètent ou qui attendent d'être sauvées) et d'aventuriers en herbe. Pas de doute, nous sommes bien dans le monde ultra genré du marketing de l'enfance.
Suite au débat sur « la diversité dans la littérature jeunesse, quelles réponses des bibliothèques ? » auquel participaient Penda Diouf, responsable de la bibliothèque Ulysse (Saint-Denis), Diariatou Kébé, présidente de l’association Diveka et Laura Vallet, bibliothécaire jeunesse et autrice du blog Fille d’Album, plusieurs éléments sont ressortis sur la diversité de représentation des personnages dans la littérature jeunesse.
Tout d'abord, on peut saluer l'existence de maisons d'édition travaillant activement à démonter les stéréotypes de genre, dans des ouvrages dont c'est le sujet principal. Les éditions Talents Hauts proposent des titres comme La Déclaration des droits des filles et La Déclaration des droits des garçons, qui déconstruisent le monde et l'éducation genrée des enfants. La maison d’édition La Ville Brûle a quant à elle toute une collection jeunesse, appelée « Jamais trop tôt », axée sur la lutte contre les stéréotypes. Pas si différents de Claire Cantais et Sandra Kollender parle, par exemple, de handicaps physiques et mentaux, visibles et invisibles, de manière à atteindre les plus jeunes. Ni poupées ni super-héros, également de Cantais, avec Delphine Beauvois, propose aux enfants des leçons de vie simples sur la déconstruction de genre. Mais ce type d'œuvres existe chez de petit·e·s éditeurices depuis les années 1970, en dehors de la production de masse qui, elle, reste stéréotypée. Elles touchent un public plus restreint et souvent déjà sensibilisé (pour les parents du moins) à ces questions.
Certaines maisons d'édition tentent également d'introduire plus de diversité genrée et raciale dans leurs histoires, sans que celle-ci en soit le thème principal, comme Milan avec sa collection « Mes P’tits Docs » (attention, tout n'y est pas parfait pour autant, notamment sur la représentation du handicap et de certains métiers genrés).
Mais lorsqu'on chausse les lunettes du genre (ainsi que celles des autres discriminations), on se rend vite compte que cette évolution est encore minoritaire et que lorsqu'un personnage noir apparaît dans une œuvre jeunesse, il risque la plupart du temps d'appartenir au cliché de læ sorcier·e ou de l'exotique sauvage. La problématique est la même pour les personnages non valides, un peu vus comme « un·e valide dans un fauteuil roulant » : ces représentations sont souvent peu réalistes et stéréotypées, voire édulcorées.
Par ailleurs, contrairement aux pays anglo-saxons, nous n'avons pas en France de statistiques sur la représentation raciale ou sexuelle. Elles sont pourtant nécessaires pour démontrer le besoin d'une politique volontariste dans ces domaines. Le cas européen est d'autant plus particulier qu'on y observe une volonté parfois maladroite de renverser les codes genrés, allant jusqu'à rendre l'œuvre tout aussi sexiste que n'importe quel conte de princesse venu. On en a un parfait exemple avec La Princesse qui pète, de Maud Roegiers, où une petite fille veut devenir une princesse mais ne peut pas parce qu'elle pète. « Et une princesse, ah, ça, non ! ça ne peut pas péter ! », dit le livre. Bien qu’elle tente de se débarrasser du petit monstre dans son ventre à l'origine des flatulences, elle continue de péter par la suite. Mais tout est bien qui finit bien parce que « Avec un peu de discrétion, on peut être une princesse dans toutes les situations [sic] ». On en revient à une morale proche du « sois belle et tais-toi » qui fait de la princesse un être éthéré, voire inhumain.
De ce débat sont heureusement aussi sorties quelques recommandations d'œuvres, parfaites à offrir à Noël. Les CD-livres de Didier Jeunesse, comme Yassir la Chance et autres contes marocains d'Halima Hamdane, offrent non seulement des personnages plus divers mais mêlent langues arabe et française dans les récits choisis. Comme un million de papillons noirs chez Bilibok, de Laura Nsafou (AKA MrsRoots) et Barbara Brun, raconte la difficulté d'une petite fille à assumer et à aimer ses cheveux crépus naturels. Cet album a été publié grâce à un financement participatif, hors des sentiers battus et des principales maisons d'édition, mais sa réussite totale montre la présence d'une demande pour ce type de sujets sur le marché. Des œuvres soulevant la question de la suprématie occidentale et réfléchissant à une certaine déconstruction de la blanchité existent également, comme La Petite Fille qui voulait voir des éléphants de Sylvain Victor, qui présente une héroïne blanche qui s’étonne, une fois sur le continent africain, de découvrir tout autre chose que les clichés exotisants véhiculés en Occident. Le point de vue est celui d'une blanche qui prend conscience que son modèle n'est pas universel.
Comme un Million de Papillons Noirs, de Laura Nsafou et Barbara Brun.
On trouve malheureusement assez peu de littérature jeunesse ayant pour personnages des afro-descendant·e·s et afropéen·ne·s. Ces dernier·e·s ont peu de récits dans lesquels se retrouver, qui font miroir à leur vécu(s) et aident à la construction de l'enfant. Les histoires centrées autour de héro·ïne·s noir·e·s se déroulent globalement en Afrique ou traitent majoritairement de migration ou de réfugié·e·s, comme La Bille d'Idriss, de René Gouichoux. Le white saviorism n'est jamais loin lui non plus. Pour une meilleure représentation des populations racisées dans la littérature jeunesse, l'association D'un livre à l'autre en est venu à créer, il y a quelques années, son propre salon littéraire : celui du Livre jeunesse afro-caribéen, organisé au mois de novembre à Clichy.
L'autre grand absent du salon de Montreuil, ou du moins des albums jeunesse, c'est le sexe. Nous ne parlons pas ici d'érotisme ou du rapport sexuel en tant que tel, mais de sexualité, que les éditeurices confondent souvent. Cette pudeur amalgamante fait de tout ce qui touche aux organes génitaux et aux attirances romantiques et sexuelles un sujet tabou dans la littérature jeunesse. Malgré mes recherches sur les différents stands, chez les petites et grandes maisons d'édition, je n'ai trouvé aucun personnage principal LGBT+, que ce soit dans les oeuvres de fiction ou éducatives. La seule exception à cette règle nous ramène à nouveau chez La Ville Brûle puisqu'il s'agit de Les Règles, quelle aventure, d'Élise Thiébaut et… Mirion Malle, qu'on ne présente plus tant on connaît son engagement militant. Dans cet essai illustré destiné aux pré-ados, on parle menstruations avec humour et réalisme tout en prenant en compte les personnes transgenres, non binaires et les différentes orientations sexuelles.
Les Règles....Quelle aventure ! d'Elise Thiébaut et Mirion Malle.
D'autres livres publiés ces dernières années existent pourtant, les plus déconstruits et complets étant édités chez Milan. Pour les plus petit·e·s, L'amour et les bébés, de Pascale Hédelin, est une bonne porte d'entrée vers la sexualité, quoique le titre ramène l'acte sexuel à la procréation. Pour les pré-ados, deux tomes existent dans cette même maison d'édition, Girls No Panic de Hayley Long et Boys No Panic d'Adrian Dawson, qui abordent les questions de la masturbation, de l'orgasme et des changements qu'amènent la puberté dans nos corps. Ne les ayant pas intégralement lus, je ne peux cependant garantir qu'ils ne soient pas hétéro-centrés. Je regrette par ailleurs que leur première de couverture soit aussi caricaturale sur l'opposition des deux genres : rose et bleu, avec une position lascive et avec un cœur pour la fille contre une position debout, centrée sur la curiosité du personnage, pour le garçon.
Heureusement, à force de fouiller le salon et les différents stands, on peut tout de même tomber sur quelques perles d'écriture (et de dessin), démontant avec plus ou moins de subtilité les clichés de genre et laissant une place plus importante à des personnages divers et variés.
Au-delà de ses contenus stéréotypés et des efforts louables de certain·e·s auteurices et maisons d'édition en la matière, la littérature jeunesse souffre d'une importante discrimination dès l'écriture : nombre de dessinatrices se voient renvoyées à ce genre par défaut, les éditeurices réservant souvent la BD ado et adulte à ces messieurs (voir à ce sujet le tumblr Paye Ta Bulle). Certain·e·s éditeurices sont par ailleurs uniquement intéressé·e·s par la bande-dessinée marketing et déversent leurs clichés genrés, racistes et/ou homophobes sur les étals de librairie. Nous en parlerons bientôt dans un article dédié. Pour plus de recommandations soyeuses, nous vous conseillons la très belle chaîne de Mx Cordélia et ses bilans lecture jeunesse, ado et adulte, centrés autour des représentations LGBT+, ainsi que les threads (Twitter) et articles de Mangaverse, notamment son très plaisant calendrier de l'Avent constitué de bandes-dessinées toutes plus vibrantes les unes que les autres.
Association Artemisia
La diversité, grande absente de la littérature jeunesse, chez Slate.