8 septembre 2016

Expliquez-moi pourquoi tout le monde est problématique

Expliquez-moi pourquoi tout le monde est problématique
Nous avons souvent tendance à diaboliser les personnes sexistes, racistes, homophobes, etc. Après tout, ce sont forcément des mauvaises personnes qui se repèrent à 3 kilomètres, non ? C’est évident qu’iels font partie d’une catégorie bien à part de la population, identifiable au premier coup d’œil.

À noter : pour le confort de lecture, je ne cite que quelques types d’oppressions dans le texte, mais le propos s’applique bien entendu à toutes les autres y compris, sans que cela soit exhaustif, au validisme, à la grossophobie, à la psychophobie, etc.

Les racistes, les sexistes, les homophobes, ce sont les autres, et surtout pas nous, pas vrai ?

Comme c’est rassurant de penser cela, et de s’en convaincre. Après tout, personne n’a envie d’être sciemment une mauvaise personne. Personne n’a envie de se dire qu’iel peut avoir des comportements racistes, sexistes ou LGBTphobes dans la vie de tous les jours. C’est beaucoup trop flippant de se dire que nous pourrions avoir une part de responsabilité là-dedans. Comment pourrait-on avoir envie d’être associé·es à des choses aussi horribles ?

Et pourtant… Nous sommes tou·tes problématiques. Oui, oui, tou·tes ! Vous, moi, tout le monde. Nous sommes tou·tes susceptibles de dire ou de faire une grosse connerie raciste, sexiste, homophobe, you name it. Il va bien falloir l’accepter et l’assumer.

Comment pourrait-il en être autrement ? Nous vivons tou·tes dans une société patriarcale, raciste et LGBTphobe. Nous avons tou·tes été élevé·es dans cet environnement, nous baignons tou·tes dans les stigmates de ces idéologies avec les représentations problématiques dont on nous gave depuis l’enfance. Comment aurions-nous pu éviter d’absorber une partie de ces préjugés et de ces idéologies ? L’être humain est une éponge, on ne peut savoir et penser que ce que l’on connaît. Et même si avec le temps on apprend que le sexisme, le racisme et les LGBTphobies « c’est mal », cela ne suffit pas pour défaire complètement nos imaginaires et se débarrasser de tous nos biais cognitifs inconscients. Même la personne la plus éduquée du monde sur ces sujets n’est pas à l’abri de dire ou de faire quelque chose de problématique. Jamais. Ne croyez pas quelqu’un·e qui vous dit le contraire.

Nous vivons tou·tes dans une société patriarcale, raciste et LGBTphobe. Nous avons tou·tes été élevé·es dans cet environnement, nous baignons tou·tes dans les stigmates de ces idéologies avec les représentations problématiques dont on nous gave depuis l’enfance.

Si les oppressions n’étaient le fait que de personnes ignobles facilement identifiables, on en serait débarrassé·es depuis très longtemps. Si les seules personnes responsables de tous ces maux étaient celles qui crient sciemment des insultes à caractère raciste, sexiste, LGBTphobe ou qui tabassent les groupes minorisés, ça serait plus simple à éradiquer. Si seules les personnes encartées au Front national étaient problématiques, nous serions beaucoup plus tranquilles.

Non, si tout cela perdure, c’est parce que des « gens biens » pensent qu’iels ne sont pas concerné·es, qu’iels ne participent pas à tout ça puisqu’iels n’ont jamais eu l’idée de dire ou de faire intentionnellement quelque chose de raciste, sexiste, ou homophobe. Mais encore une fois, nous vivons dans une société raciste, sexiste et j’en passe ; bien souvent nous n’avons même pas conscience que ce que nous disons ou faisons est teinté par ces idéologies.

Parce que ce que nous faisons ou disons nous paraît « normal ». On a toujours vu ça, toujours entendu ça, toujours dit ça, toujours fait ça. On ne connaît que ça, alors on reproduit sans réfléchir à ce que cela signifie vraiment. Ça ne paraît pas méchant ou insultant au premier abord. Et puis surtout, on n’a jamais voulu faire de mal !

Mais c’est là où le bât blesse : l’intention et l’impact sont deux choses très différentes. Si vous écrasez le pied d’un·e ami·e, que vous l’ayez fait exprès ou non, ça ne changera rien au fait que votre ami·e a mal au pied. Est-ce que ça fait de vous une mauvaise personne ? Franchement, ce n’est pas le débat. L’important dans une telle situation, ce n’est pas vous, ou ce que cet acte dit de vous, mais bien la souffrance infligée à l’autre, et comment on peut faire pour réparer ça.

Il faut que l’on dépasse tou·tes ensemble ce genre de dialogues non productifs :

– Ce que tu as dit/fait est raciste/sexiste/LGBTphobe !
– Comment oses-tu me dire ça, à moi ? Moi qui suis une personne si gentille ? Moi qui au contraire soutiens ces combats ? Tu exagères, tu te trompes d’adversaire, ce n’est pas moi l’ennemi·e !
– Peut-être, mais ça n’empêche que ce que tu viens de dire est raciste/sexiste/LGBTphobe. C’est blessant !
– Mais non, mais je disais pas ça comme ça. Je disais pas ça méchamment, j’ai jamais voulu blesser quelqu’un·e. Enfin, tu me connais ! C’est pas de ma faute si tu l’as pris comme ça.

Voilà ce que ça donne quand nous sommes trop occupé·es à vouloir nous distancier des « méchant·es » racistes/sexistes/homophobes. Voilà ce que ça donne quand notre priorité est de nous rassurer sur le fait qu’on est toujours des bonnes personnes, et de ne surtout pas être vu·es comme une mauvaise personne par autrui.

Voilà ce que ça donne quand, encore une fois, on ne veut ni écouter ni voir les effets que nos actions ont sur les gens et la façon dont elles entretiennent les oppressions. Voilà ce que ça donne quand on dévie constamment la conversation sur nos ressentis à nous plutôt que de s’intéresser pour une fois aux ressentis que nous avons provoqués.

Une « bonne personne », quoi que cela veuille bien pouvoir dire, peut faire des mauvaises actions. Est-ce que cela veut dire qu’il faut s’en laver les mains ? Bien sûr que non. Ce n’est pas parce que nous sommes tou·tes potentiellement problématiques et que nous le resterons toujours un peu, malgré tous nos efforts, qu’il ne faut pas prendre ses responsabilités.

– On doit te faire soigner.
– Dis-moi, tu es très forte pour une fille.
– Non, je suis juste très forte.
– Je ne voulais pas t’offenser...
– Ça ne veut pas dire que tu ne l’as pas fait.

L’idée de cet article n’est pas de vous rassurer en vous disant : « Ne vous inquiétez pas, c’est pas grave ce que vous avez dit ou fait, on sait qu’au fond vous êtes de bonnes personnes. » Au contraire, il est là pour vous aider à vous rendre compte que oui, c’est grave, et oui, vous pouvez mieux faire, et non, ce n’est pas vous le sujet principal de la discussion.

Et cela commence par apprendre à écouter ce que les concerné·es vous disent quand iels estiment que vous dépassez les bornes. Même quand vous êtes surpris·e, même quand vous vous sentez « attaqué·e personnellement » ou que « ce n’est pas dit très gentiment » car la colère de celleux que vous blessez est légitime, et la forme n’efface jamais le fond !

Mettez deux secondes vos ressentis de côté, et faites l’effort de comprendre pourquoi ce que vous avez dit ou fait est problématique.

Et surtout, excusez-vous sincèrement ! Pas de formules de type : « Je suis désolé·e SI je t’ai blessé·e ou SI tu l’as mal pris » ; le mal EST fait, ce n’est pas une supposition. L’erreur n’est pas le ressenti de la personne blessée mais bien votre propos ou votre action. À la place, dites plutôt : « Tu as raison, j’ai merdé, je comprends maintenant pourquoi c’est problématique. »

Pensez aussi à remercier la personne qui vous a fait part du problème : ce n’est jamais facile pour un·e concerné·e de dire à une personne qu’elle a dit ou fait quelque chose d’oppressif, car iel a souvent peur que ça se retourne contre ellui. C’est la double peine : non seulement iel est blessé·e par votre comportement, mais en plus s’iel ose en parler iel s’en prend plein les dents et se voit rétorquer qu’iel affabule.

Enfin, il ne suffit pas de s’excuser ; prenez également l’engagement de ne plus recommencer et de continuer à vous éduquer sur le sujet. Parce que ça serait trop facile de s’excuser et de faire la même chose ou presque le lendemain. Ce qui compte, c’est de changer durablement ses comportements.

Parce que finalement c’est peut-être ça « être une bonne personne » : reconnaître et assumer ses erreurs, et essayer de s’améliorer chaque jour pour faire le moins de mal possible autour de soi. Et ce n’est surtout pas crier sur tous les toits « je suis une bonne personne » pour tenter vainement de convaincre les autres, ou pire, pour essayer de s’en convaincre soi-même…

C’est la dure leçon que nous devons tou·tes apprendre !

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