2 août 2017

Un autre regard sur les corps avec La Fille Renne, photographe et ostéologue

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Un autre regard sur les corps avec La Fille Renne, photographe et ostéologue
Cet article fait partie du dossier Portraits professionnels
Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Cécile aka La Fille Renne, une photographe et ostéologue de 28 ans. Elle aime les sciences naturelles, coudre des peluches mignonnes, le post-rock, le thé, les Cervidae, la mer, voyager et les modifications corporelles.

Tu utilises la photographie argentique depuis plusieurs années désormais, quelle dimension cette technique apporte-t-elle à ton travail ?

L’argentique est un support qui permet d’être très créatif·ve. Les possibilités de mix de boîtier + objectif + pellicule et les expérimentations avec la chimie sont infinies, donc les possibilités de rendus aussi pour une même scène. On peut sans cesse se renouveler et trouver du matériel différent à utiliser. Et je ne me lasse pas du grain de l’image, qui, je trouve, rend mes images plus intéressantes que si je les avais prises avec un appareil photo numérique.

Spooky Valentine.

Comment as-tu abordé la question de la photo de modèles au début ? Cela a-t-il toujours été une démarche féministe ?

Je trouve l’anatomie humaine fascinante, c’est un sujet que j’ai étudié à l’université et que j’ai ensuite transféré à la photo assez naturellement.

Ma démarche féministe est venue plus tard, petit à petit, à force d’accumuler les shootings avec des femmes, d’observer certaines réactions sur internet à certaines photos (surtout le nu), de me rendre compte que ce milieu reste très masculin et gangréné par certains comportements. Des commentaires comme « elle est moche et grosse », « son hygiène semble douteuse », « dommage qu’elle soit grosse », « c’est dommage cette nudité incessante dans ton travail » m’ont très vite permis de me rendre compte que même au XXIe siècle, avec cette image de la femme hyper-sexualisée omniprésente dans les médias, et même sur internet, beaucoup de gens perçoivent la nudité ou même le fait de ne pas rentrer dans la (très restreinte) norme physiquement, comme très négatif. Et ça m’a donné envie de me battre pour montrer que le corps nu n’est pas sale (100 % des humains ont un corps, difficile de faire plus banal), que peu importe le corps que l’on a, les femmes peuvent toutes être belles et montrer leur corps si elles en ont envie, de façon sexualisée ou non. Peu importent la taille, le poids, les formes, les couleurs, les cicatrices, les taches de rousseur, les modifications corporelles, les poils, etc. Je pense qu’on est de plus en plus nombreuxes à travailler sur le body-positivisme et j’espère que cela permettra de changer un peu les mentalités et de limiter tous ces comportements méprisants comme le slut-shaming, le fat-shaming, le body-shaming, etc. C’est aussi comme ça que je suis arrivée à faire des séances de photographie thérapeutique. Je me suis également très vite lassée de ces photos de nu féminin très sexualisées prises par des hommes avec toujours les mêmes poses qui semblent toutes sortir du même fantasme d’homme hétérosexuel. Et comme c’est un milieu qui reste très masculin, on en voit partout, tout le temps. J’avais envie de proposer autre chose, d’autres poses, une ambiance plus intimiste et des photos qui peuvent montrer d’autres facettes du corps que celle sexuelle. Bref, une vision plus féminine et féministe.

C’est aussi un milieu où, en plus des attaques sur internet, les modèles doivent parfois faire face à des photographes masculins qui sont des prédateurs. Certaines subissent du harcèlement, des agressions, des viols parce que ces photographes profitent d’une position de force et ce n’est pas tolérable. Donc, en plus des images que je produis, ma démarche féministe va aussi dans le sens de dénoncer un certain nombre de choses sur internet et aider à fermer le circuit à certains prédateurs. C’est un milieu où les femmes doivent vraiment se serrer les coudes.

Peut-on rapprocher ton travail, ton approche de la photo, à ta formation d’ostéo ? Est-ce que cela influence l’œil de la photographe ?

Je ne me suis jamais posé la question… mais je pense que ce qui revient dans les deux cas c’est le sens du détail. Et bien sûr, c’est ma passion pour l’anatomie et son étude qui m’a ensuite conduite à photographier du nu.

Marlène Kambourian.

Comment abordes-tu chaque séance d’une manière générale ? Choisissez-vous le type d’appareil, le lieu, etc. ensemble, ou læ modèle a-t-iel une idée en tête avant de te contacter ?

En amont je me mets d’accord avec læ modèle pour un lieu et un type de séance (nu, portrait ou lingerie) et de rendu (des images très clean, de l’expérimental, les deux ?). J’aime bien que les modèles viennent avec leurs habits et des idées, car c’est une séance que l’on construit ensemble, je ne suis pas seule dans le processus créatif. Je choisis mes appareils et pellicules en fonction du rendu voulu et de mon envie du moment. Globalement, à part lorsque j’ai un projet très précis en tête, je prévois peu les choses.

Et comment se déroule l’après-séance ? (développement des photos, retour des modèles...)

Il faut savoir que l’après-séance est tout aussi longue (parfois beaucoup plus) que la séance en elle-même. Je développe les pellicules couleur dans ma salle de bain (sinon je vais au laboratoire photo), j’attends qu’elles sèchent, je les scanne sur mon ordinateur puis je détoure et j’enlève les poussières avec Photoshop. Pour finir je les envoie au modèle et iel valide les photos qu’iel est d’accord pour publier.

Raconte-nous l’un de tes meilleurs souvenirs de séance photo ?

Question difficile, j’ai plein de très bons souvenirs, surtout lorsque je travaille avec des ami·e·s ! Souvent cela dure des heures, on boit du thé, on mange des gâteaux pendant les séances, on rigole beaucoup, donc forcément, ça fait de bons souvenirs.

Tu as collaboré avec Sacha Kimmes pour sa collection de lingerie, comment cela s’est-il passé ?

La première fois que j’ai collaboré avec Sacha, c’était pour sa collection « Petit Chat ». Elle m’a contactée par mail, j’ai tout de suite dit oui et on s’est retrouvées à Paris un week-end, avec les modèles Sabrina Sako et Métaux Lourds, une autre photographe, Lily Hook, et deux ami·e·s photographes qui ont beaucoup aidé et pris des photos backstage, Britney Fierce et Romuleald. On a passé une journée à shooter dans un bel appartement (celui de la décoratrice Dalai Mama), avec de la musique, du thé, en changeant de pièce sans arrêt. C’est un des meilleurs souvenirs de shooting de ma vie.

Lors de notre seconde collaboration pour le lookbook « A Late Afternoon », Sacha m’a envoyé des pièces sur-mesure directement chez moi et j’ai shooté avec la modèle Lady Biche, en équipe beaucoup plus restreinte du coup.

Il m’arrive également d’inclure régulièrement une pièce de sa lingerie dans mes shootings, ses sous-vêtements sont tellement beaux !

Britney Fierce, Lily Hook et Sabrina Sako, série Sunday Panties.

Te considères-tu militante féministe (de par ton travail photo) ? D’autres causes te tiennent-elles à cœur, et si oui lesquelles ?

Entre ça et tout ce que je relaye sur les réseaux sociaux comme Twitter et dans ma vie IRL, oui je me considère comme militante féministe. Je pense que l’art de façon générale permet d’avoir un véritable impact lorsqu’il s’agit d’idées et de militantisme.

Lutter contre les préjugés sur les orientations sexuelles et les questions de genres ou encore contre le racisme me tient aussi à cœur. Je n’arrive pas à croire que l’on vit dans un pays où l’on a quasiment tou·te·s accès à des ressources incroyables avec internet, mais où il est encore toléré de tenir des propos homophobes, transphobes, racistes ou d’agresser sexuellement des femmes sur une chaîne de TV nationale.

Comment vois-tu la suite de tes projets photo ? (sets Patreon, livres...)

Je continue d’avancer ! Je prends des photos lorsque j’en ai le temps, j’ai quatre projets de livres en cours pour reprendre certaines sections du blog (heureusement, au milieu il y a le second volume de mon portfolio, ce qui ne demande pas de rédaction) et j’ai du retard sur Patreon, mais ça arrive ! Je suis contente que des plateformes comme Patreon se développent, cela devient vraiment pratique et facile de soutenir financièrement un artiste dont on apprécie le travail. Qui sait, à moyen terme cela me permettra peut-être d’investir dans du matériel argentique professionnel ou encore de réaliser mes propres tirages à la maison !

Prune.

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